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Jean Rous : « Indépendance, tel est le vœu du Parti du peuple » nous dit Messali Hadj, son leader et son prophète

Article de Jean Rous paru dans Franc-Tireur, 7e année, n° 328, 30-31 mars 1947, p. 1 et 3

Messali Hadj

L’ALGERIE CHERCHE SA VOIE (II)

De notre envoyé spécial Jean ROUS

Alger, mars. – La grande personnalité mystérieuse de l’Algérie, le prophète de l’indépendance, Messali Hadj, a bien voulu nous recevoir dans sa résidence surveillée de Bouzaréa, petite commune près d’Alger, qui domine la verte plaine encerclée par les monts de Kabylie.

Messali, comme nous l’appelions familièrement quand nous participions avec lui aux cortèges et aux meetings antifascistes de 1934, habite une modeste villa, gardée farouchement par des militants du parti du peuple algérien.

Plus que sa belle barbe et mieux que son regard a la fois doux et illuminé, ce sont ses prisons et toute la dure épreuve qu’a été sa vie militante qui expliquent l’immense popularité dont il jouit dans le peuple musulman. « Vive Messali ! Libérez Messali ! » Toute la Casbah en porte le témoignage.

De 1934 à 1936, il a prêté main-forte aux partis ouvriers de France, mais il fut mal payé de retour, avec la dissolution de l’Etoile nord-africaine, contre laquelle fumes peu nombreux à nous élever.

Depuis, il n’a guère connu que la prison, la déportation, l’exil. Prison en 1937, en 1939 ; 16 ans de travaux forcés en 1941, sous Vichy, exil à Brazzaville. De nouveau prison et résidence surveillée. A quand la libération ?

Certes, il ne porte en lui aucune rancœur vis-à-vis de la démocratie française. Mais il lui faut quelque mérite. C’est à peine s’il souligne avec émotion que son fils, né d’une union avec une Française, a subi dès l’âge de 13 ans, les persécutions policières.

Avec quelle franchise et quelle spontanéité il a bien voulu avec nous, durant de longues heures, répondre à nos questions et discuter en toute cordialité.

Voici d’ailleurs un bref résumé des « questions » et des « réponses » :

Quelle est, selon vous, l’attitude des musulmans d’Algérie vis-à-vis de la France ?

– D’une manière générale, les musulmans sont déçus et mécontents. Tous les régimes qui se sont succédé ont apporté leur cortège de répressions et de misères : dissolution de l’Etoile nord-africaine en 1936, condamnations en 1937, arrestations en 1939, condamnations par Vichy en 1941, système fasciste du travail obligatoire, pouvoir discrétionnaire des administrateurs, de 1940 à 1943. Enfin, l’atroce répression qui a suivi les événements de mai 1945.

A la suite de tous ces événements, il y a une sorte de divorce, une absence de confiance.

Quelles reformes préconisez-vous ?

– Le temps des réformes partielles est révolu. Ce qui peut satisfaire le peuple algérien, c’est un grand geste de la France, conformément aux aspirations nationales de ce pays. Ce grand geste, c’est la reconnaissance de l’indépendance algérienne.

Qu’entendez-vous par indépendance ?

– J’entends par là l’expression et l’exercice de la souveraineté populaire ; autrement dit, le peuple algérien doit pouvoir manifester sa volonté par une Constituante souveraine, élue au suffrage universel.

– Qu’entendez-vous par peuple algérien ?

– Je veux dire tous les Algériens, sans distinction de race ou de religion : Algériens musulmans, européens, israélites.

En raison des excès commis par le colonialisme, ne craignez-vous pas de représailles ?

– L’Algérien n’est pas en principe xénophobe. Il est généreux. Il a montré qu’il savait vivre en bonne intelligence avec les Juifs, par exemple.

Non, je suis sûr que l’Algérien n’est pas raciste !

Ne croyez-vous pas que, dans l’étape actuelle, l’indépendance totale est impossible ?

– A notre époque, la communauté des intérêts est telle qu’on ne saurait parler d’une indépendance absolue, pour les uns, comme pour les autres. L’interdépendance des peuples est un fait dominant.

Mais dans le cadre de cette évolution générale, chaque peuple doit être libre de disposer de son sort.

Une fois l’indépendance du peuple algérien acquise, il saura déterminer, selon cette loi de l’interdépendance, ses relations avec la France.

Quelle est votre politique au point de vue social ?

– Le mouvement de l’Etoile nord-africaine continué par le P.P.A. est un mouvement profondément prolétarien. Il est dans le socialisme. Sans doute nous poursuivons actuellement l’objectif de la libération nationale.

Mais le colonialisme étant un fait social, il est évident que se posera la question de l’émancipation sociale.


Avec Messali Hadj, nous avons recueilli le point de vue du partisan de l’indépendance, du chef du parti du peuple algérien.

Ferhat Abbas nous donnera celui des partisans du Fédéralisme, au nom de l’ « Union démocratique des amis du Manifeste ».

J. R.

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