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Kurt Landau : Lettre d’Allemagne. Les chômeurs et la journée du 1er février

Article de Kurt Landau paru dans La Vérité, n° 22, 7 février 1930, p. 3

Berlin, 2 février.

Pendant des semaines et des semaines, le parti allemand avait fait annoncer par la voie de ses 35 journaux que le premier février la masse des millions de chômeurs défilerait dans toute l’Allemagne. Les ouvriers des usines donneraient la preuve de leur solidarité. Bravant les lois d’exception de Zœrgiebel et de Severing, la classe ouvrière conquerrait la rue.

Le premier février devait être le commencement de grands combats de masses. La Pravda de Leningrad écrivait déjà :

Dans aucun pays la montée de la vague révolutionnaire et l’approche de l’effondrement de la stabilisation capitaliste ne sont aussi évidents qu’en Allemagne. Après le P.C. de l’Union soviétique, le parti communiste allemand est le parti bolchevik le plus fort. C’est pourquoi il ne faut pas s’étonner si c’est en Allemagne qu’on doit voir s’avancer la révolution européenne qui s’approche …

Les combats de barricades à Hambourg, l’infraction à l’interdiction des démonstrations dans beaucoup de villes allemandes, le défilé des armées de chômeurs sont, dans les circonstances actuelles, l’expression de la disposition révolutionnaire grandissante des masses. Les événements des derniers jours prouvent qu’une situation révolutionnaire approche à vive allure en Allemagne.

A mesure que la direction du parti s’énivre de ses propres prophéties et de phrases ampoulées, la social-démocratie augmente d’audace. Energiquement soutenue par la presse démocratique, celle de la social-démocratie fit de l’excitation contre le P.C.A. et propagea les mensonges les plus fantastiques. Plus le 1er février approchait plus il devenait clair que par une provocation de grande envergure, la social-démocratie espérait porter un coup définitif au parti et le chasser dans l’illégalité.

L’excitation de la social-démocratie trouva son complément dans les calomnies de la presse brandérienne, dénonçant les desseins soi-disant putschistes de la direction du parti.

En quoi consiste la défaite du 1er février

La direction et la presse du parti ne font évidemment que parler d’une « victoire ». Ainsi la Rote Fahne du 2 février écrit :

« Le parti communiste a atteint le fer février le but voulu : l’avance massive des régiments prolétariens en marche a broyé l’interdiction de démonstration du social-démocrate Grzezinski. »

La social-démocratie et la presse bourgeoise jubilent : les « plans révolutionnaires » ont échoué. La social-démocratie et la bourgeoisie savent fort bien que le 1er février n’était pas le « jour de la révolution » dans le calendrier d’aventures de Thaelmann. Mais ils savent aussi que le 1er février, le P.C.A. a subi une défaite sérieuse. Car le véritable but qu’il s’était assigné n’a de loin pas été atteint. Quelques milliers seulement sur les 350.000 chômeurs de Berlin ont obéi à l’appel du parti. Aucune des usines berlinoises dans lesquelles le parti obtint, tant de voix, comme c’était le cas l’année dernière où il eut un tel succès dans les élections des conseils d’usine, n’est entrée dans la grève de solidarité. La direction du parti n’a même pas pu inviter les usines à faire une grève de solidarité avec les chômeurs, car elle savait que l’appel serait inutile.

Dans le Berlin rouge où le P.C.A. réunit aux élections communales du 17 novembre 1929, autant de voix prolétariennes que le parti socialiste, l’appel du parti se perdit, et cela malgré l’amertume grandissante des masses, malgré le mépris croissant que le prolétariat de Berlin fait peser sur la direction du parti socialiste.

Pourquoi la défaite était-elle inévitable ?

Le P.C.A. est un parti de masse qui représente 3 millions de prolétaires. Il l’est malgré la politique aventurière de sa direction, malgré l’incapacité des Thaelmann, Neumann, Remmele, etc.

Mais les masses, tout en votant pour le parti, soit aux élections générales, soit aux élections de conseils d’usines, ne manifestent pas du tout par là qu’elles sont décidées à réaliser la révolution prolétarienne. Elles prouvent simplement qu’elles se désolidarisent de la politique contre-révolutionnaire du parti social-démocrate, ennemi de leur classe. Malheureusement il n’en est pas comme le dit la Rote Fahne :

« Dans les usines, chez les chômeurs, dans les rues des villes, dans les campagnes et dans les fermes, partout, la volonté d’en finir avec le système qui n’apporte que la faim et la misère pour les masses, grandit chez les travailleurs, la volonté d’en finir avec un système qui a prouvé son impuissance à garantir au peuple travailleur une existence simplement digne d’un être humain ! »

Les masses qui votent pour le parti, même celles qui le suivent dans ses actions, n’en sont pas encore là.

L’appel du parti pour le 1er février s’est forcément éteint sans remplir son but, car il n’appelait pas les masses à des revendications immédiates précises, pouvant toucher chaque chômeur, mais il ne fit que s’enivrer lui-même de phrases politiques générales, phrases qui ne pouvaient pas être, pour un ouvrier n’appartenant pas au parti, l’indication, le but à poursuivre pour aujourd’hui, et pour demain.

Voilà pour le 1er février. Dans un article plus long qui paraîtra dans la Lutte des Classes, nous considérerons plus en détails toute la politique actuelle du P.C.A. et surtout la question de savoir si les masses des chômeurs peuvent être l’avant-garde de la révolution allemande. – K.L.


L’agitation en Allemagne

Vers l’Octobre Rouge, dit la presse communiste allemande. « On n’exagère point en écrivant que l’Allemagne va vers un nouveau 1923 », écrit l’Humanité. Ce sont là des phrases assez neuves sous lesquelles il y a cependant le fait d’un mécontentement profond dans la classe ouvrière allemande. Les provocations de la social-démocratie au pouvoir et la politique de bluff du P.C.A. déterminent un état d’hostilités ouvertes constantes entre la police et certaines couches d’ouvriers chômeurs dont la vie est misérable.

Pour le 1er février, le P.C.A. avait annoncé une mobilisation générale du prolétariat. Il est sûr aujourd’hui, que malgré les actions isolées et quelques incidents sanglants, la masse ouvrière, notamment à Berlin, n’a pas suivi le parti.

A Hambourg, plusieurs bagarres ont éclaté entre ouvriers et policiers. Ceux-ci ont cherché à disperser les chômeurs rassemblés au Bureau Central du Travail. Ils tirèrent à coup de révolver. Les mineurs répondirent par des pavés. Selon la Rote Fahne, de nombreuses délégations d’usines demandent la proclamation de la « grève politique de masse » ; mais ces délégations ne représentent probablement pas grand’chose.

Des ouvriers du bâtiment exhortèrent les policiers à cesser de matraquer les chômeurs. En réponse les policiers assommèrent l’un d’eux. D’autres ouvriers qui travaillaient sur un chantier du bâtiment ripostèrent par une grêle de briques. Les policiers tirèrent alors une quinzaine de coups de révolver sur l’échafaudage. Un ouvrier fut blessé.

Certains quartiers de Hambourg sont entièrement cernés par la police. Quelques petites barricades ont été dressées, si l’on en croit la presse du parti.

A Berlin, pour le 1er février, la police a suivi les leçons de Tardieu. Arrestations préventives des dirigeants. Des automobiles ont sillonné la ville. A la moindre tentative de rassemblement, la police usait de la matraque.

Malgré ces troubles locaux et partiels, les masses ouvrières dans leur ensemble n’ont pas manifesté, et en tout cas, pas pour les buts qu’imagine prématurément le P.C.A.

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