Article de Kurt Landau paru dans La Vérité, n° 24, 21 février 1930, p. 3
Berlin, 14 février.
Le bureau de l’Internationale communiste pour l’Europe occidentale – l’institut créé pour des actions à date fixe et à l’ « échelle mondiale » – a lancé pour le 6 mars un appel à des « manifestations puissantes » rassemblant à la fois les ouvriers réduits au chômage et ceux qui travaillent dans tous les pays ! Il faut évidemment se réjouir de ce que des stratèges du nouveau cours aient découvert ces mois derniers le problème du chômage. Mais ce qui est moins réjouissant, c’est qu’ils ne posent pas le problème du chômage dans ses rapports avec la situation concrète de chaque pays, mais de cette façon ridiculement schématique dont nous avons déjà vu la faillite le 1er août, première journée internationale de lutte.
Depuis le Ve Congrès mondial on a pris l’habitude, dans l’I.C., de découvrir de temps en temps un « problème central » qui, selon l’essor révolutionnaire pour l’ensemble de la planète est proclamé ensuite problème central pour tous les pays.
Pendant l’été et l’automne dernier, c’était le mouvement international de grève devenu la grève politique de masse – sinon en réalité du moins dans les thèses de l’Exécutif ; maintenant c’est du soi-disant mouvement de masse révolutionnaire parmi les chômeurs dans les cinq parties du monde que le C.E. de l’I.C. attend la destruction des bases mêmes du capitalisme.
Demain ce seront sans doute les paysans révolutionnaires qui entreront dans un mouvement révolutionnaire, en l’honneur du congrès paysan international qui doit se tenir à Berlin vers le 15 mars, il semble que le bureau de l’Europe occidentale, dans sa sage prévoyance de ce « degré plus élevé de d’essor révolutionnaire » ait avancé la journée mondiale de lutte contre le chômage du 12 au 6 mars. Sans doute pour qu’il y ait un intervalle un peu plus grand d’un degré à l’autre.
De telles parades avec des « grandes journées de lutte » n’ont évidemment rien à voir avec la nécessité de faire entrer la masse des chômeurs dans le front général de lutte de la classe ouvrière. Mais certains mots d’ordre que le bureau de l’Europe occidentale a émis pour la journée de lutte, tel que celui de « création d’organisations de chômeurs » sont vraiment tout à fait dangereux.
Si ce mot d’ordre doit avoir un sens – c’est-à-dire s’il doit être moins stupide que celui du « secours de chômage équivalent au plein salaire » – cela ne peut être que de créer des organisations spéciales de chômeurs, donc des unions de chômeurs.
Ce mot d’ordre à lui seul révèle tout le manque de sérieux et l’ignorance extrême des bureaucrates phraseurs qui discréditent actuellement le communisme.
Quelle peut être la signification des unions de chômeurs ? Tout au plus celle de fixer, dans des formes d’organisation l’isolement dans lequel se trouvent déjà les chômeurs par rapport aux ouvriers d’usines. C’est-à-dire qu’elles feront le jeu des bureaucrates syndicaux ; car ceux-ci appuient dans la plupart des pays cet isolement (qui est, à un certain degré, la suite inévitable du détachement de l’ouvrier du processus de production) en expulsant les chômeurs des syndicats.
La formule d’unions séparées des chômeurs a pour point de départ l’illusion dangereuse selon laquelle les masses organisées des chômeurs pourraient améliorer leur terrible sort sans le secours des ouvriers d’usines et des syndicats. Il n’existe pas d’illusion parmi toutes celles de la 3e période qui poussent avec tant de rapidité qui soit aussi dangereuse que celle-ci.
Le chômage permanent tel qu’il se présente en Allemagne, en Autriche, en Angleterre, en Pologne, et place les communistes de ces pays devant la tâche d’empêcher, de toutes leurs forces, que les différends et les tensions entre ouvriers d’usines et chômeurs soient artificiellement accentués, comme les réformistes tentent de le faire systématiquement. Le chômage n’est pas, d’une manière générale, un facteur propre à renforcer le courant révolutionnaire dans le mouvement ouvrier. Au contraire. Il permet au réformisme de renforcer ses positions dans les usines, car la crainte du chômage est un des meilleurs alliés du réformisme. D’autre part il permet aussi au réformisme de chasser des usines les éléments les plus conscients et les plus révolutionnaires. Enfin, il n’y a aucun doute que plus longtemps il dure, plus le chômage est démoralisant, paralysant pour les ouvriers.
Pour que les grands dangers que fait naître le chômage ne soient pas absolument dévastateurs, il faut que toute séparation dans le domaine de l’organisation entre les chômeurs et les ouvriers travaillant soit évitée ; donc : pas d’unions séparées des chômeurs, mais lutte active dans les syndicats pour que les chômeurs ne soient pas exclus et pour que les hommes de confiance des chômeurs soient reconnus par les syndicats.
Mais ce n’est pas encore là la question essentielle ; ce n’est pas la forme d’organisation du mouvement des chômeurs qui est décisive, mais les méthodes de lutte contre le chômage. C’est d’elles que dépend la question d’organisation.
Si les limites de la lutte purement syndicale sont extrêmement restreintes dans la période actuelle, la lutte pour des réformes sérieuses en faveur des chômeurs, n’a absolument aucune chance de succès. Seules de grandes actions de masse de l’ensemble du prolétariat peuvent arracher provisoirement certaines concessions au capitalisme, seules des luttes de masse acharnées groupant chômeurs et ouvriers au travail peuvent leur apprendre qu’ils ne pourront vraiment améliorer leur situation d’une façon durable que par le renversement du régime capitaliste existant.
Y a-t-il quelqu’un dans l’I.C. pour douter de cette vérité élémentaire ? Même le bureau de l’Europe occidentale fait appel à « l’unité d’action révolutionnaire des chômeurs et des ouvriers ».
Nous y voilà. L’appel à la solidarité ne mènera jamais la masse des ouvriers dans la rue aux côtés des chômeurs. Et cet appel à la solidarité n’empêchera pas non plus les masses de chômeurs désespérés de favoriser la dépréciation des salaires. L’art d’un parti révolutionnaire ne consiste pas à lancer ces appels avec une abondance d’affiches géantes et par de bruyants discours, mais dans le fait de concentrer la lutte sur les questions auxquelles, dans leur intérêt propre, les ouvriers et les chômeurs sont également intéressés. Mais cela dépasse évidemment les limites d’un schéma, valable pour les cinq parties du monde et il faudrait que le front de lutte des différents partis s’adapte aux circonstances concrètes de leur pays. La situation de l’Allemagne est spéciale ; le parti devrait y mener toutes ses actions sous l’angle de la lutte contre le plan Young, action centrale à laquelle devrait être rattachée la lutte des chômeurs et des ouvriers contre la politique fiscale, douanière et sociale. Et la situation en Autriche est encore différente ; là le parti devrait faire entrer la lutte des chômeurs dans une action centrale contre le fascisme, pour un programme prolétarien de revendications immédiates.
Une seule chose est valable d’une façon générale pour tous les pays : la lutte ne peut pas être menée de la façon dont se le représentent les bureaucrates de l’appareil stalinien, au moyen de grandes parades, d’articles et de discours ronflants. – K. L.