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Kurt Landau : Lettre d’Allemagne. Encore les élections aux Conseils d’entreprises

Article de Kurt Landau paru dans La Vérité, n° 29, 28 mars 1930, p. 3

Berlin, mars

Les élections aux conseils d’entreprises ont commencé. Les résultats déjà connus confirment pleinement les pronostics que nous avons brièvement esquissés dans la Vérité du 14 mars. Dans de nombreuses entreprises où le Parti présentait pour la première fois des listes rouges, celles-ci obtiennent des succès appréciables. Mais là où l’année passée il enregistrait des victoires éclatantes, là où il avait donc à présent à satisfaire l’attente et l’espoir des ouvriers, la justement, le Parti subit des défaites parfois désastreuses. Dans notre dernier article nous avons déjà pris comme exemple le cas des conseils d’entreprises de la Société berlinoise des transports. Le 15 mars ont eu lieu les élections au conseil d’entreprise pour 1930. Elles ont été une lourde défaite pour le Parti. Contre 10.797 voix en 1929, il n’en obtient que 6.317, tandis que la liste des syndicats a fait un bond de 5.934 (1929) à 10.146 voix.

Le résultat des élections aux conseils d’entreprises dans l’usine rouge de Leuma, qui, à bon droit, passait jusqu’ici pour une des places fortes du communisme, sont presque aussi catastrophiques. Le Parti tombe ici de 9.256 voix en 1929 à 4.763 voix, tandis que la liste syndicale qui avait eu l’année passée 5.914 voix, obtient 5.093 voix, n’enregistrant ainsi qu’une perte minime ; la diminution du nombre des ouvriers s’exprima presque exclusivement par la diminution des voix communistes, tandis que la liste fasciste, fait typique, gagna encore 500 voix.

Ces résultats sont d’autant plus alarmants, qu’ils réfutent d’une manière très nette, la doctrine de « l’essor révolutionnaire permanent ». Mais ce n’est pas tout. Les chiffres de ces élections ne sauraient être considérés isolément ; en relation avec les chiffres du mouvement syndical, ils caractérisent les processus fondamentaux qui se déroulent au sein des masses.

Malgré un chômage augmentant énormément et englobant plus de 3 millions de travailleurs, le nombre d’adhérents des syndicats s’accroit sans cesse. C’est le cas même dans les industries où il y a eu des scissions assez importantes, dans le bâtiment, par exemple, où existe maintenant à côté du syndicat l’union industrielle du bâtiment, union relativement forte et soi-disant « révolutionnaire », ainsi que l’organisation des charpentiers qui s’en est détachée.

La poussée des masses vers les syndicats, visible aussi bien par le chiffre de l’accroissement syndical que par les élections des conseils des grandes entreprises, dans lesquelles les syndicats ne représentent encore que de petites minorités, bien qu’ils enregistrent d’importantes augmentations de suffrages, voilà un symptôme très significatif.

Ce tournant ne signifie pas du tout que l’évolution des masses vers la gauche, que nous avons constate à plusieurs reprises) serait déjà en train de régresser. Au contraire, ce tournant ne fait que prouver davantage encore que le degré de maturité de l’évolution vers la gauche est tout différent de l’appréciation qu’en donne le Parti. Le rassemblement de centaines de milliers de travailleurs autour des syndicats caractérise le stade initial du développement vers la gauche, la forme tout à fait primaire de la conscience de classe – la conscience de la nécessité de l’organisation de classe.

Si, au cours des deux dernières années, pendant lesquelles ces processus se sont fait jour de plus en plus nettement, la direction du Parti avait su poursuivre une politique bolchéviste, nous aurions aujourd’hui un parti de masses, non pas d’après les bulletins de vote, mais selon sa capacité d’action. Au lieu de former dans les syndicats une forte aile gauche, rassemblant – sans se préoccuper des questions de partis – sur le terrain de la lutte de classe les éléments conscients en une minorité organisée, la direction, par ses lamentables oscillations a mené le Parti dans un état de confusion extrême et a favorisé aussi bien le renforcement des tendances hostiles aux syndicats que celles qui défendent le syndicalisme pur.

Dans ces conditions la poussée vers la gauche s’exprimant par l’afflux vers les syndicats, a provoqué en même temps un affaiblissement de l’influence de la capacité d’action du Parti. En outre, il devient de jour en jour plus évident que les masses n’ont rien moins que confiance dans la politique du parti socialiste. Des douzaines de fonctionnaires communistes adversaires résolus de la social-démocratie, ont quitté le Parti ou se sont laissé exclure, mais ils ont refusé de se laisser pousser hors des syndicats en obéissant au Parti qui leur donnait des ordres enfantins et stupides.

Jusqu’à présent les droitiers profitaient seuls du mécontentement grandissant dans le Parti. Mais justement ces temps derniers des symptômes significatifs se sont fait jour : de nouvelles oppositions se forment au sein du Parti (surtout en réaction contre sa politique syndicale) qui refusent absolument de s’unir à la droite.

Les premières tentatives de la véritable gauche du Parti de se rassembler à nouveau, de se libérer des traditions du passé, de prendre avant tout dans la question syndicale une orientation nouvelle a immédiatement provoque des remous au sein de la droite. Dans leur quotidien, Die Aberterpolitik du 13 mars, ils font une large tentative de rapprochement avec les adhérents de l’opposition internationale de gauche qui sont encore dans le Parti, l’opposition de Wedding et du Palatinat. Ils s’adonnent à l’espoir illusoire qu’il y aura un jour une lutte commune de la gauche et de la droite contre le centre.

Le développement ultérieur leur apportera une déception amère. La gauche qui se regroupe nouvellement combattra la droite dans l’avenir aussi âprement que dans le passé. – K. L.

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