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Kurt Landau : Avant la Conférence Nationale de l’opposition allemande

Article de Kurt Landau paru dans La Vérité, n° 32, 5 septembre 1930, p. 8

Le 21 septembre se tiendra à Berlin la Conférence Nationale de l’Opposition allemande – une semaine exactement après les élections du Reichstag qui mettent en ce moment le Parti dans un état d’excitation et d’illusions florissantes.

La Conférence nationale est la première conférence de l’Opposition unifiée du P.C.A. : elle a lieu cinq mois après la conférence dite « Conférence d’unification » du 30 mars 1930, au cours de laquelle l’Opposition de Wedding et du Palatinat s’est unie à la minorité du Leninbund. Celle unification marqua un pas décisif dans le développement de la gauche allemande : elle fut le rassemblement de cadres oppositionnels qui s’étaient violemment combattus dans le passé et qui menaçaient de s’étioler dans leur « fier isolement ». L’unification des deux groupes le 30 mars, ne fut pas une fusion mécanique. Dès le début, il était évident que l’édification d’un nouveau groupe, se débarrassant des erreurs funestes du passe ne s’effectuerait que lentement, au cours du travail, et non sans frottements intérieurs.

Face au Parti

Dans le passé les cadres oppositionnels se sont laissé isoler du noyau prolétarien du Parti sans opposer de résistance suffisante. Ce phénomène, que nous pouvons constater dans la plupart des pays, s’est manifesté en Allemagne d’une façon particulièrement forte dans le Leninbund. L’exclusion de plusieurs milliers de militants de gauche par la direction centre-droite et plus tard par la direction centriste du P.C.A. au cours des années 1926, 27 et 28, a favorisé la conception, selon laquelle les cadres révolutionnaires se trouvent en dehors du Parti.

Cette conception servit de base à Maslow, Ruth Fischer et Scholem jusqu’en 1928 ; lorsqu’il reconnurent qu’il n’en était pas ainsi, que malgré Thælmann le P.C.A. avait une base fortement ancrée dans le prolétariat allemand et qu’une véritable gauche avait pour lâche de lutter non pas contre le Parti, mais contre la direction du Parti, ils rendirent tout effrayés les armes devant la direction du Parti. Ce fut là également le développement des véritables chefs de l’Opposition de Wedding (Riese, etc.), à l’exception de Weber qui rentra sans bruit dans la vie privée. Les ouvriers qui les avaient suivis, abandonnèrent à eux-mêmes les deux chefs « historiques » (de Maslow à Weber). Le gauche allemande, qui avait toujours montré dans le passé une série de caractéristiques non-léninistes, accentua plus fortement ses traits négatifs après la faillite de ses directions historiques. Dans l’ancienne opposition, on vit des tendances anti-syndicales et sectaires se faire jour, tandis que l’école de Maslow, de l’héritage duquel Urbahns prit possession, donna naissance à un système dans lequel l’ignorance crasse, la confusion inouïe et le Brandlérisme le plus plat s’unissaient à des manies ultra-gauchistes. L’Opposition de gauche unifiée a liquidé ce passé d’une façon radicale. Immédiatement après la conférence d’unification, elle s’est mise à se diriger vers le noyau prolétarien du Parti. Elle reconnut de plus en plus nettement, que le rôle de l’Opposition de gauche n’est pas celui d’un facteur indépendant dans le mouvement ouvrier, mais que sa tâche essentielle consistait à lutter dans le Parti contre le liquidationisme et le centrisme.

Cette attitude intérieure de l’Opposition de gauche fut déterminée par la conviction que l’I.C., malgré ses lourdes et funestes erreurs, joue encore un rôle progressif. Il est possible que l’I.C. et le P.C.A., par l’action systématique de l’Opposition de gauche soient préservées de l’effondrement vers lequel s’achemine forcément le centrisme.

Mais l’effondrement de l’I.C. serait le coup le plus terrible qui pourrait frapper la classe ouvrière. Ce serait nier le rôle dirigeant du Parti et retomber dans la théorie de la spontanéité qui a joué un grand rôle en Allemagne (Rosa Luxemburg), que de ne pas reconnaître que l’effondrement du parti révolutionnaire équivaut à un recul de la révolution prolétarienne pour des années.

Certains camarades ont tendance à sous-estimer les processus intérieurs qui se déroulent encore aujourd’hui sous la surface de la vie du Parti. Vu d’une façon purement extérieure, le P.C.A. offre aujourd’hui limage à peu près suivante : une nouvelle génération qu’aucune hésitation idéologique n’inquiète, s’est formée et n’est venue au Parti qu’au cours des deux ou trois dernières années. Les anciens cadres éprouvés sont complètement éliminés ; une petite partie de ces derniers est dans notre camp ; les erreurs de la direction et la carence des anciens groupes d’opposition ont poussé une autre partie dans les bras de la droite, la plus grande partie a quitté le parti et forme la grande masse des « passants », dont le mouvement communiste de tous les pays est tellement riche.

De nouveaux cadres inexpérimentés, éduqués selon les méthodes de caserne, voilà les bases sur lesquelles s’élève un bureaucratisme démoralisé, impuissant, ignorant et dix fois « retourné ».

Certains doutent qu’un processus de regroupement, de différenciation soit possible dans un tel organisme. Rien n’est plus faux que ce point de vue. Les jeunes cadres inexpérimentés qui sont dans le Parti et qui sont en liaison constante avec un cercle de sympathisants, dont ils ne se différencient pas particulièrement, sont une partie non encore formée du prolétariat révolutionnaire. Leur confiance dans la direction n’est pas encore ébranlée par l’expérience. Les nouvelles luttes politiques dont l’avenir très prochain sera riche, prouveront à ces cadres aussi, l’insuffisance de l’armature théorique et pratique du centrisme au pouvoir. L’expérience ébranlera ces cadres aussi dans leur confiance aveugle dans la direction, – du moins la partie la plus avancée de ces cadres. Lorsqu’ils connaîtront la lutte de l’Opposition de gauche, même s’ils ont lutté contre la gauche, ils trouveront le chemin vers nous ; ils deviendront, eux aussi, des « passants » si la gauche ne sait pas lutter âprement et méthodiquement pour la conquête du noyau prolétarien du Parti.

Dès aujourd’hui, il existe des prémices d’un tel développement. L’allure à laquelle les cadres du Parti reprendront conscience dépendra en grande partie de l’Opposition de gauche elle-même, de la justesse de sa politique, de sa tactique, de l’activité et du dévouement des militants de l’Opposition de gauche.

Le développement de l’Opposition depuis la conférence d’unification

Dans le domaine de la juste appréciation du rôle du Parti et de son propre rôle, l’Opposition allemande a traversé, dans les cinq mois qui se sont écoulés depuis la Conférence d’unification, un profond processus de clarification. Les questions actuelles de la révolution russe furent mises en avant dès le moment où la discussion s’éleva au sujet du conflit sino-russe, elles furent profondément développées dans la lutte contre le groupe Urbahns. Apres la conférence patronale, cependant, ce furent surtout les questions de la tactique syndicale, et de l’application du front unique, qui passèrent à l’ordre du jour.

Il était inévitable que certains camarades ayant vécu trop longtemps dans l’atmosphère étouffante des cliques ne pussent s’habituer à la vie nouvelle de l’Opposition, pleine de questions politiques et lourde d’un travail énorme. Après peu de temps, ils quittèrent l’Opposition de gauche (Neumann, Joko, Grylewyez). Ces départs, inévitables en face de l’unification et du regroupement intérieur des cadres oppositionnels, restèrent limités à l’organisation de Berlin. Ils furent à tous égards largement compensés par le passage du meilleur rayon du Leninbund (Berlin IV) à l’Opposition de gauche, en avril-mai.

Des organisations de province, ce sont celles de la Saxe et du Palatinat qui se sont le mieux développées.

A la veille de luttes décisives

L’accentuation de la crise politique en Allemagne, mettra bientôt le Parti devant des questions décisives. On verra bientôt que la direction centriste est incapable de faire le plus petit pas tant soit peu sérieux dans la lutte contre le régime de dictature, l’offensive patronale et le fascisme. Le 18 juillet, lorsque l’article 48 (dictature Hindenburg) fut instauré par un coup d’Etat, le mot d’ordre du P.C.A. : « grève politique de masse contre la dictature fasciste », s’éteignit sans réveiller le moindre écho. L’offensive générale contre les salaires démontra l’impuissance et le néant de l’Opposition syndicale rouge. (Mansfeld et Nord-Ouest).

Mais dans la lutte contre le fascisme, que le Parti ne découvrit que le 23 juin, lendemain de la victoire électorale des socialistes-nationaux en Saxe, la direction du Parti s’est idéologiquement effondrée. Elle publia le 24 août, une « déclaration de programme » dans laquelle elle combat le fascisme, en adoptant ses phrases nationalistes et en parlant – tout comme Treviranus – de l’Allemagne « désarmée » et de la « haute trahison » du parti socialiste, « agent de l’impérialisme français et polonais ». Au lieu de mener la lutte pour la conquête des millions d’ouvriers réformistes, la direction du parti tente de faire une brèche dans les masses fascistes, en adoptant un programme de national-bolchévisme à grandes phrases. Au lieu de tracer les voies de la lutte, la direction du P.C. annonce les « directives du pouvoir soviétique qui vient », et les mesures qui suivent la victoire révolutionnaire.

L’Opposition de gauche d’Allemagne est à la veille de luttes très graves. La conférence nationale du 21 septembre doit servir à préparer ces luttes

KURT LANDAU.

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