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Yves Dechézelles : Libérez Messali Hadj !

Article d’Yves Dechézelles paru dans Le Libérateur, 1ère année, n° 18, 12 septembre 1954, p. 1-2

Un gouvernement quel qu’il soit ne peut régler tous les problèmes à la fois. L’on comprend qu’il s’efforce de les régler l’un après l’autre, suivant l’ordre d’urgence qu’il a fixé par avance et que les circonstances peuvent l’amener à modifier en cours d’exécution.

Mais, à côté des problèmes proprement politiques, existent de telles violations du droit et de si graves atteintes à la liberté qu’un gouvernement d’esprit démocratique ne peut les laisser subsister sans se déconsidérer.

L’un des cas les plus criants est celui du leader algérien Messali Hadj.

Depuis 1918, Messali a vécu en France de très longues périodes. Il a partagé la vie des ouvriers de la région parisienne et a été étroitement mêlé à toutes les luttes contre le fascisme et l’impérialisme.

En février 1934, à la tête de milliers de compatriotes, il se rendait à la Place de la Nation pour protester contre les menées fascistes.

Vers la même époque, le délégué du parti socialiste S.F.I.O. sollicitait l’appui de Messali pour briser les manœuvres propagandistes de de La Rocque qui cherchait à embrigader des Nord-Africains dans son organisation. L’action de Messali tua dans l’œuf ces tentatives.

En 1936, la pacifique Abyssinie était l’objet de l’ignoble agression italienne. Des meetings de protestation furent organisés par l’Etoile Nord-Africaine. Le 5 décembre 1936, Messali partait pour Genève avec la délégation du Front populaire, pour protester et agir auprès de la S.D.N.

Du 14 juillet 1935 au 14 juillet 1936, Messali, à la tête de trente mille compatriotes et sous la bannière de l’Etoile Nord-Africaine, fut de tous les meetings, protestations, défilés du Front populaire. Il participa également à son congrès.

En 1937, le gouvernement dissolvait l’Etoile Nord-Africaine. Dissolution injuste, odieuse, que le Parti socialiste devait plus tard désavouer.

Messali continue de lutter inlassablement contre le colonialisme.

1941 – Vichy sollicitait Messali pour « collaborer avec le gouvernement de l’époque ». Il refuse avec mépris. La sanction ne se fait pas attendre. Le 17 mars, le Tribunal militaire le condamnait, pour reconstitution de parti dissous, à vingt ans de travaux forcés, à vingt ans d’interdiction de séjour, à la privation de ses droits politiques et civils, à la confiscation de ses biens.

8 Novembre 1942. – Les Alliés débarquent en Afrique du Nord. Cependant le régime vichyste subsiste quelques mois encore, sous une forme plus ou moins camouflée. Ce n’est qu’au mois d’avril 1943 que les communistes et les partisans du général de Gaulle sont libérés. Messali et ses amis le sont en même temps qu’eux. Ce n’est que justice.

Cependant, quelques jours plus tard, Messali Hadj est envoyé en résidence forcée à Boghari. Il a subi le sort des résistants et des communistes : on va maintenant lui infliger un sort bien pire que celui réservé aux collaborateurs.

Le 14 décembre 1943, il est conduit à In-Salah, dans l’extrême Sud algérien, puis ramené à Chellala au début de janvier 1944.

Le 20 avril 1946, il est conduit à Brazzaville, puis il est traîné de force dans presque tous les territoires africains.

La légalité républicaine ayant été rétablie, ces mesures de résidence forcée étaient absolument illégales.

La violation du droit était si flagrante que l’on tenta – mais un peu tard – de la masquer. Ce n’est que le 20 juin 1946 – plus de trois ans après sa sortie de la maison centrale de Lambèse, qu’on se souvint qu’il avait été condamné nécessairement à l’interdiction de séjour, et qu’on lui notifiait à Bamako un arrêté du Préfet de Constantine, lui faisant défense de résider ou de paraître dans un certain nombre de départements et de localités.

Or, toute mesure d’interdiction de séjour doit être notifiée à l’intéressé avant qu’il ne quitte les lieux pénitentiaires.

Au cours de l’année 1946, Messali était ramené en France puis en Algérie où il s’installait à la Bouzaréah … Messali pouvait du moins circuler dans les parties du territoire métropolitain ou algérien qui ne lui étaient pas interdites.

Le 30 octobre 1946, le Ministre de la Justice rendait officielle la situation dans laquelle Messali se trouvait depuis sa sortie de prison, trois ans et demi plus tôt. On le graciait pour sa peine de travaux forcés. Aux députés de son parti, le M.T.L.D., on laissait espérer la levée prochaine de l’interdiction de séjour.

Non seulement cette promesse ne fut pas tenue, mais sa situation fut considérablement aggravée par la suite. Un arrêté du Gouverneur général de l’Algérie, en date du 23 avril 1952, lui interdisait l’accès du département de Constantine. Un deuxième arrêté, en date du 14 mai 1952, étendait cette interdiction à l’Algérie entière.

Le même jour, le ministre de l’Intérieur surenchérissait. Il interdisait à Messali Hadj l’accès de tous les départements de France et de l’Algérie, à l’exception du seul département des Deux-Sèvres.

Messali, à la suite d’un véritable enlèvement, était conduit de force à Niort où il est encore contraint de séjourner et où il est soumis à un contrôle permanent de la police et à des mesures vexatoires de toutes sortes.

La situation faite au leader algérien est manifestement illégale. En étendant abusivement, onze ans après, le prononcé de la condamnation, et neuf ans après la libération du condamné, la portée de l’interdiction de séjour – mesure sans précédent à l’égard d’un interdit de séjour – le Ministre de l’Intérieur et le Gouverneur de l’Algérie ont violé manifestement les dispositions formelles des décrets du 30 octobre 1935 et du 18 avril 1936, qui réglementent la matière.

Un recours a été aussitôt formé devant le Conseil d’Etat. Ce dernier n’a pas encore statué alors qu’un homme sur le territoire français est depuis des années privé de sa liberté.

Une situation semblable ne peut pas durer sans menacer gravement la liberté de tous les citoyens. Par une série de mesures aussi arbitraires qu’illégales, l’ancien Ministre de l’intérieur a rétabli le régime de surveillance de haute police qui existait sous l’Empire et le régime de la résidence forcée en honneur sous l’occupation.

Il est intolérable que la loi puisse être violée ouvertement et cyniquement par les ministres qui sont chargés de l’appliquer et de la faire respecter.

Il importe que tous les démocrates français fassent campagne pour que cesse une atteinte aussi scandaleuse à la liberté individuelle, et pour que Messali Hadj puisse librement retourner dans son pays.

C’est là un point important sur lequel on jugera aussi le Gouvernement Mendès-France.

Yves DECHEZELLES.

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