Dossier paru dans Le Libertaire, cinquante-sixième année, n° 398, 23 septembre 1954, p. 1
AINSI, c’est une fois de plus le Gouvernement qui vient confirmer la justesse de nos affirmations : une nouvelle C.E.D. est en train de se former, sous le patronage cette fois de la Grande-Bretagne qui a jugé qu’il était grand temps d’intervenir directement. Donc, les propositions de Eden, plus ou moins arrangées par le maquignon Mendès et le jésuite Adenauer, vont donner vie à une Europe des généraux et des industriels.
Le discours de Mendès-France à Nevers, dimanche dernier, en est l’aveu. Le farouche antiallemand devient maintenant, tout comme un vulgaire internationaliste, partisan du rapprochement franco-allemand. Nous crierions « bravo » s’il s’agissait d’aider à la compréhension des prolétaires allemands et français. Mais il s’agit d’union économique, d’alignement des législations sociales, d’ententes industrielles et commerciales et les peuples français et allemands, toujours séparés en fait trouveront en face d’eux des patronats unis et des gouvernements complices. En passant, le sinistre Mendès, d’autant plus dangereux qu’il joue au démocrate, au socialiste, au pacifiste, n’a pas manqué de souligner que la France produisait des marchandises trop chères à cause des lois sociales, il a ainsi apporté sa caution à cet énorme mensonge du patronat français et sur lequel nous aurons l’occasion de revenir en démontrant dans notre prochain numéro le néant et l’imposture du plan Mendès-France de relance économique.
Et pendant que Mendès-France traficotait dans les chancelleries et vaticinait à Nevers, des milliers d’indigènes algériens de la région d’Orléansville crevaient de faim et de froid.
Nous le savons, nous avons été informés. Une délégation de nos camarades d’Alger s’est rendue sur ces lieux aussitôt après le sinistre, alors que la terre tremblait encore. Nos militants ont participé aux travaux de sauvetage, ils ont comme beaucoup de travailleurs de France et d’Algérie manifesté une solidarité active et spontanée. Mais ils nous ont dit aussi l’incurie du gouvernement qui a su faire surtout des discours et décréter la mise en berne du drapeau ! Nos camarades nous l’ont immédiatement signalé : alors que la catastrophe a frappé surtout les indigènes, les secours officiels ont été dérisoires, les douars ravitaillés au plus mal. Et tout cela alors que le gouvernement disposait de toutes les ressources, de tous les moyens. Les milliards qu’on trouve pour l’armée et pour aider les industriels, pourquoi ne pouvait-on les utiliser à sauver et secourir les victimes d’Orleansville ?
Mendès-France a préféré palabrer. Au fond, le séisme d’Orléansville est pour lui une bonne affaire. Il pourra dire : « N’avons-nous pas fait ce que nous pouvions ? N’avons-nous pas fait des discours et pris le deuil ? » Et demain, si le peuple bouge en Algérie, il dira encore : « Voyez ces ingrats pour qui nous avons été si émus et si charitables à Orléansville ! »
Au fond, rien d’étonnant : ceux qui ont fait massacrer ou laissé massacrer 40.000 Algériens en 1945 par les colons et les hordes pétaino-gaullistes, se moquent éperdument du sort de quelques milliers de fellahs.
Et puis, M. Mendès et sa clique, du R.P.F. au parti prétendu communiste, ont dû penser aussi que le providentiel tremblement de terre apaiserait les esprits et les détournerait des vrais problèmes. Mais que toute cette racaille bourgeoise se dise bien que le silence et le calme ne font que cacher le feu indomptable de la révolte du peuple algérien et la colère montante des travailleurs de France.
LIB
L’HORRIBLE BAGNE D’ORLEANSVILLE
La Radio Nationale annonçant le tremblement de terre a précisé le 9 septembre, à 13 heures : « C’est la prison qui, à Orléansville compte le plus de morts ». Elle devait préciser le soir du même jour « 8 détenus ont été écrasés dans leur cellule ».
La prison a été détruite à 75 %.
Depuis, un communiqué de Mendès a indiqué « les détenus Tunisiens se trouvaient au moment du cataclysme dans des baraquements à l’extérieur du bâtiment central, on ne compte parmi eux, ni blessés, ni morts ».
S’ils se trouvaient dans des baraquements, cela veut dire que la prison était pleine.
C’est qu’à Orléansville ce n’est pas une prison ordinaire.
C’EST UN PENITENCIER. Il était depuis le début du siècle et jusqu’en 1926 un bagne épouvantable. On l’appelait alors « La portion centrale des camps de travaux publics ». C’était les Trav’s, le bagne pour les condamnés militaires. Ils y ont subi les tortures les plus épouvantables qu’on ait jamais connues dans le monde avant le fascisme.
Quels sont ceux qui se trouvaient ce mois-ci au pénitencier d’Orléansville ? Combien y avait-il de militaires ? Combien de politiques ? Combien de condamnés pour des délits, comme couper du bois dans les forêts ? etc.
Combien de morts y a-t-il ? Pourquoi étaient-ils condamnés ? Combien de blessés ?
Le Gouvernement est muet ! Les députés de toutes couleurs sont muets (y compris les députés communistes d’Algérie : Mmes Sportisse et Fayet). Les journalistes sont muets (y compris l’envoyé spécial de l’Humanité). Pourquoi ? Leur accord avec Mendès-France ne leur permet pas de parler.
Alors posez la question partout ! Il faut que le Gouvernement réponde.
Sinistrés d’Orléanville
Il faut savoir où ira l’argent collecté
Les travailleurs et toute la population ont manifesté une solidarité émouvante : les dons en nature et en argent se multiplient.
Remarquez d’abord que le gouvernement n’a fait qu’en appeler à la charité alors qu’il a tous les moyens pour loger les sinistrés (tentes et baraquements), pour les nourrir (stocks de l’Intendance en Afrique du Nord et en France), pour les vêtir (par la réquisition chez les rois du textile et à l’Intendance militaire), pour les soigner (Service de santé militaire et hôpitaux).
En tout cas une question se pose : Que deviendra l’argent versé par les travailleurs ? Le « Comité National d’action et de solidarité , est formé de ministres, mais son secrétaire est le patron, « l’administrateur civil, chef du bureau des affaires politiques » (Journal officiel du 14 septembre). C’est un Haut Personnage du ministère de l’Intérieur (ministère de la Police).
Or, dans les catastrophes précédentes on n’a jamais publié de compte rendu de la destination donnée aux sommes versées. L’argent collecté servira-t-il à rebâtir l’église ou « la plus belle sous-préfecture de France ? » Ou bien ira-t-il d’abord aux plus malheureux, les fellahs des douars ?
Quand on a entendu les discours radio-diffusés du ministre Mitterrand, on a le droit d’être inquiet : pas une précision n’était donnée sur l’effort à accomplir immédiatement par l’embauche de milliers d’ouvriers, payés au tarif syndical, les soldats compris, par la réquisition immédiate de tous les camions et moyens de transport de l’armée française en Afrique du Nord, etc.
Cela veut dire que la question des dons n’est pas tout ; ce qui importe c’est de contrôler à qui sont distribués les secours. C’est surtout d’obliger le gouvernement, qui a tout dans les mains, à secourir immédiatement les sinistrés au lieu de tirer des plans sur la comète.
C’est pour cela que les intéressés, et d’abord ceux qui sont peu aidés ou oubliés, les ouvriers et les fellahs des douars doivent constituer leurs propres comités de défense. A cette condition, ils pourront empêcher que trop de fonds versés servent à tout autre chose qu’à l’aide aux sinistrés.
Et, surtout, ils arracheront au gouvernement tout ce dont ils ont besoin pour vivre.