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A Santiago comme à Alger… Dictatures

Editorial paru dans Le Monde libertaire, n° 721, 13 octobre 1988, p. 3

DU pain ! criaient ceux que la Convention de 1792 avait acculé à la famine. Ils étaient aux Tuileries, devant ce palais de malheur, et tous les faubourgs parisiens comprenaient alors parfaitement que la République n’était qu’une putain et qu’elle se vendait au plus offrant.

Deux cents ans plus tard, après avoir connu les affres du colonialisme français et républicain, ils sont des centaines de milliers à crier, eux aussi, du pain ! Ils sont des centaines de milliers de jeunes dans cette Algérie martyrisée, traumatisée, sans liberté ; ils sont là, crient leur désespoir, leur mal de vivre, leur révolte face à la soldatesque néo-coloniale qui stoppe ce pays depuis vingt-six ans.

Que peuvent-ils espérer ? Que peuvent-ils légalement revendiquer ? Un retard économique redoutable, une démographie galopante, enfin un obscurantisme politique et religieux insupportable plongent ce malheureux pays dans une détresse matérielle et morale dont peu de Français soupçonnent toute l’ampleur du désastre.

Nos amis algériens, des deux côtés de la Méditerranée, sont exploités, aliénés, déportés, censurés, enchaînés et toujours condamnés au silence. Ohé ! les grandes gueules du Parti socialiste ; les forts en thèmes ; tous ceux qui nous parlent de liberté, d’égalité, de fraternité. Vous allez un peu la ramener ! Allez-vous reprendre la position verticale et cesser de vous prosterner devant vos idoles ? Allez-vous enfin dénoncer l’odieux silence que l’Etat français fait respecter, impose à la communauté algérienne vivant en France ? Etes-vous capables de nous dire que les limites de l’impossible ne peuvent pas être, tous les jours, repoussées ? Et que, pour des raisons économiques et politiques, on ne peut pas éternellement se taire !

Que bien sûr 800 000 travailleurs algériens ça pèse lourd dans la balance du pouvoir, mais que l’on ne peut pas, quand on se prétend socialiste, réduire au silence tous ces hommes et ces femmes, sous prétexte que Mitterrand est copain comme cochon avec le camarade dictateur Chadli !

Allons, un peu de courage, abolissez la censure, laissez nos amis, faites taire l’ambassade et la préfecture, respecter les Algériens, respecter tous les immigrés. Et quant aux anars, ils reprendront le discours d’Albert Camus, ils vous parieront de cette belle terre d’Algérie.

Les enfants algériens sont en insurrection. Dépolitisés, désabusés, exaspérés, ils sont enfin à l’image de l’« Homme révolté » : dignes, libres, magnifiques ! Ils rompent la fatalité, ils reprennent leur destin en main !

Les enfants d’Algérie nous donnent une belle leçon. Comme eux, reprenons le grand discours de la liberté, comme eux, démontrons à tous que les termes de liberté et de justice sont synonymes, comme eux, faisons partager aux hommes l’amour de la liberté retrouvée et tendons la main aux camarades algériens.

Après s’être débarrassés du colonialisme français, les hommes d’Algérie affrontent la dictature du parti. Avec eux, haut les cœurs ! avec eux, debout les hommes d’esprit ! Ils sont, tous ensemble, pareil à Sisyphe ; mais comme le disaient certains vieux individualistes anarchistes : « Ils ont commencé à contourner le rocher et, s’il le faut, contraints et forcés, ils le briseront ».

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