Article paru dans Le Combat syndicaliste, 27e année, nouvelle série, n° 125, 8 octobre 1954, p. 4
En douze secondes, un terrible séisme ravageait la région d’Orléansville, dans la nuit du 8 au 9 septembre. Plus de 1.400 morts, plus de dix mille blessés, des dizaines de milliers de personnes sans toit.
Ce triste bilan ne suffisait pas en lui-même. Le racisme, lui, n’a pas été tué, démontrant toute l’horreur du capitalisme dans une de ses formes les plus abjectes : le colonialisme. Les démonstrations de ce racisme à la suite du séisme sont innombrables. Les premiers « secours » envoyés sur les lieux de la catastrophe ont été des renforts de troupes chargés de cerner les détenus politiques algériens et tunisiens du bagne d’Orléansville.
Le déblaiement, l’organisation des secours, la distribution des soins et des vivres, l’évacuation des blessés, se sont effectués en priorité au secours des Européens d’Orléansville, tandis que de nombreux blessés agonisaient, des cadavres pourrissaient, entraînant les épidémies, dégageant parfois à deux kilomètres à la ronde une immonde odeur, des fellahs grelottaient de froid et de faim dans les douars. Ce n’est que quatre jours après le tremblement de terre que l’on s’apercevait qu’il y avait 400 morts sous les décombres du douar Beni-Rached à 25 kilomètres d’Orléansville.
Grands secours pour les Européens, parcimonieux pour les Algériens. Oh certes ! le cinéma, la presse nous ont présenté un beau tableau de solidarité. Nous disons que ce tableau est faux.
Et nous devons poser la question : comment seront répartis les fonds des collectes officielles ? Nous n’avons pas confiance dans cette solidarité de commande faite à grand renfort de cliques et de torchons tricolores de la journée nationale du 20 septembre. Elles témoignent de l’hypocrisie hideuse d’un régime qui profite d’une terrible catastrophe pour monter une immense comédie destinée à se donner un visage humaniste. Les témoignages venus d’Algérie, les manœuvres faites dans certaines villes de France pour s’approprier les collectes organisées par les Algériens eux-mêmes, nous font douter d’une juste destination de ces fonds.
A Versailles, à Maisons-Laffitte (Seine-et-Oise), dans le 18e, d’importantes sommes d’argent collectées par de jeunes Algériens ont été confisquées de force par la police.
Le gouvernement a versé une somme de 100 millions alors que les dégâts s’évaluent à plusieurs milliards. Pour la répression, la guerre, l’armée, c’est par milliards que l’argent coule.
Belle affaire pour le capitalisme, le colonialisme, que ce séisme. Mais le deuil, les larmes, la propagande, les torchons en berne ne nous font pas oublier l’assassinat des 45.000 Algériens de mai 1945, les blessés d’Oran du 3 mai 53, les Algériens tués dans les rues d’Algérie et de France, les emprisonnés, les torturés, l’exploitation d’un peuple crevant de misère dans des bidonvilles, des gourbis de boue séchée. Nous participons à la douleur d’un peuple d’autant plus fortement que le colonialisme français s’approprie moralement les victimes avec un cynisme inqualifiable. Aussi cruel que cela puisse paraître à le dénoncer en de pareilles circonstances, ces 1.500 morts ne sont rien à côté du nombre effrayant des victimes algériennes du capitalisme colonial, capitalisme tout court.
La véritable solidarité démontrée par les ouvriers français dans les collectes des organisations ouvrières envers leurs camarades algériens, ne doit pas s’arrêter là. La véritable solution est maintenant dans une solidarité de lutte pour chasser d’Algérie, d’Outre-Mer, de France, le chacal capitaliste.