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Daniel Renard : A l’action pour libérer Messali Hadj !

Article de Daniel Renard paru dans La Vérité n° 341, du 15 au 28 octobre 1954 ; suivi de « Le M.T.L.D. contre les capitulards (2) » par Pierre Lambert

LA grande salle de la Mutualité était pleine de Nord-Africains ce dimanche 3 octobre 1954, 20 heures. Ils étaient venus de partout, de Gennevilliers et de Nanterre du XXe arrondissement et de la place d’Italie.

Pour l’heure, ils n’avaient qu’une exigence : « LIBEREZ MESSALI HADJ ».

A cette revendication précise et clamée bien haut, quelques Français, dont Yves Dechézelles, et trois organisations – la CGT, le Parti Communiste Français et le Parti Communiste Internationaliste (section française de la IV Internationale) – étaient venus apporter leur soutien et leur appui.

La presse, et particulièrement celle dite de gauche, n’eut que très peu de mots pour saluer cette manifestation. « L’Observateur » n’en dit rien. Pourtant, son rédacteur en chef, Gilles Martinet fut l’un des orateurs. « Franc-Tireur » se borna à écrire deux lignes à la fin d’un petit entrefilet paru en troisième page. C’était un peu plus court que le discours que fit, au cours de ce meeting, un de ses rédacteurs, spécialiste des questions coloniales : Jean Rous. Quant à « L’Humanité », elle prit quarante-huit heures de réflexion avant de faire paraître un petit articulet où il était question de « personnalités ». Il est vrai que le Parti Communiste avait limité ses frais de représentation à l’envoi d’un dénommé Lachenal, que personne ne connaissait.

Par le transfert de Messali Hadj aux Sables-d’Olonne, la signification de la déportation prend un ton nouveau. Sans parler du regain d’intérêt de l’opinion publique, émue par ce nouvel incident, il met en lumière la véritable nature du gouvernement Mendès-France et les difficultés grandissantes auxquelles il se heurte pour réaliser sa politique coloniale.

Il n’est un mystère pour personne que depuis des semaines les « discussions tunisiennes » piétinent, marquant le pas face à une action renouvelée, et croissant en vigueur des fellaghas. Au Maroc, les « terroristes » [prennent] de plus en plus d’ampleur, et le gouvernement, contraint de conserver Ben Arafa sous la pression des colons de Casablanca, se voit interdire tout dialogue avec les nationalistes, qui exigent, préalablement, à toute autre chose, le retour de Ben Youssef.

Pris à la gorge entre la lutte révolutionnaire des masses nord-africaines et la volonté des colonialistes de ne faire aucune concession, le gouvernement français se retourne vers la seule politique dont il dispose : la force. L’envoi du contingent en Tunisie répond comme en écho aux nouvelles mesures prises contre Messali Hadj. Les intérêts des colons du golfe de Gabès sont identiques à ceux des gros planteurs de la plaine du Chéliff.

MAIS LE NOUVEL ATTENTAT CONTRE MESSALI HADJ NE S’ARRETERA PAS LA. Il n’est qu’une première mesure, qui doit aller, normalement, logiquement, vers la disparition de ce chef nationaliste, protestation vivante face à l’hérésie qui s’intitule « les trois départements français d’Algérie ».

C’est pourquoi il n’y a plus de temps à perdre. C’est pourquoi la libération de Messali Hadj ne peut plus rester l’apanage des Algériens seuls. Elle devient l’affaire de tout le peuple de France, de tous les travailleurs, de toutes les organisations syndicales et politiques ouvrières. Parce que la lutte du peuple français rejoint celle du peuple algérien pour s’affranchir de l’exploitation économique et sociale, parce que la lutte du peuple algérien pour sa libération nationale cat un appoint décisif dans la lutte des travailleurs de France contre leurs propres exploiteurs, et parce que Messali Hadj est avant tout la cible et la victime de gouvernements français, sa libération est au premier chef une question intéressant tous les démocrates et révolutionnaires français.

La formation du « Comité national pour la libération de Messali Hadj » et les quelques initiatives qu’il a prises, dès sa formation, vont dans ce sens.

Comme le disait notre représentant dans le discours chaleureusement applaudi qu’il fit à la Mutualité le 3 octobre 1954 :

« Vive la libération de Messali Hadj !

« Vive l’Algérie libre et indépendante !

« Vivent l’unité et l’action des peuples de France et d’Algérie ! »

Daniel RENARD.


Le M.T.L.D. contre les capitulards (2)

MALGRE la sympathie évidente dont sont entourés Me Kiouane, MM. Hocine Lahouel et Abd-El-Ghani par la presse française, il reste que l’impérialisme est contraint d’admettre la réalité.

« Le Monde » écrit :

Il semble bien qu’en définitive Messali l’a emporté, tant en France qu’en Algérie …

… Dirigée par des hommes qui semblent vouloir s’écarter des méthodes violentes et sortir de la clandestinité, (la formation des exclus) risque de se trouver dépassée par le M.T.L.D. messaliste dont les racines sont surtout prolétariennes.

Le journaliste du « Monde » note encore, avec effroi, que le M.T.L.D. va vraisemblablement en finir avec l’immobilisme dont la base objective et subjective était la capitulation devant l’impérialisme des ex-dirigeants exclus.

LA REVOLTE D’EN BAS

Les exclus, par ailleurs, ont été dans l’obligation d’admettre la réalité du rapport des forces :

A partir du 11 mars, déclarent-ils dans leur rapport kilométrique à leur soi-disant congrès d’août 54, la campagne fractionniste prit une nouvelle allure. La direction se trouve tout à coup inondée de motions provenant de différents points de, France et d’Algérie, et émanant des comités de Kesmas et des groupes ralliés aux ordres de Messali.

Ainsi, de son propre aveu, les comités de sections « inondent » la direction capitularde et approuve Messali. C’est donc que l’immense majorité du Parti condamne les Kiouane-Lahouel et Cie. D’un côté, avec Messali : le Parti, de l’autre, avec les exclus, une fraction infime.

L’accusation centrale formulée par les exclus contre Messali c’est d’avoir condamné la plateforme élaborée par le IIe congrès du M.T.L.D., tenu en avril 1953. Il est donc malhonnête de leur part d’affirmer que le différend n’avait qu’une base personnelle. En réalité, et le simple fait de mentionner la condamnation par Messali des résolutions du IIe congrès démontre les fondements politiques des divergences.

LE VERBIAGE DES REALISTES-REVOLUTIONNAIRES

Oui le IIe congrès est le développement d’une orientation de capitulation devant l’impérialisme, à peine masquée par le style, dont on pourra admirer la clarté par les quelques échantillons qui suivent :

Lisez, page 31 du rapport des exclus, au IIe congrès :

L’idée nationaliste est une force psycho-politique. Sur le plan de l’idée ou de la psycho-politique. ! ! !

Page 55 : Les U.S.A … heurtent nettement aussi la quintessence de la politique coloniale française. ! ! !

Ques-acco ?

Avec toute l’humilité qui sied dans un tel cas, les travailleurs algériens, les intellectuels révolutionnaires adhérents du M.T.L.D., doivent demander à Me Kiouane de leur expliquer « le heurt de la quintessence ».

Passons. Cependant, il serait erroné de simplement sourire du creux verbiage de ces docteurs en philosophie. En réalité, derrière ces phrases savantes, qui visent à impressionner le travailleur nord-africain, se cache la plus servile des adaptations à l’impérialisme. Ceci sous une accumulation invraisemblable de contradictions, reflétant l’antagonisme inconciliable de deux orientations.

UNE ORIENTATION CAPITULARDE

Les « docteurs » de l’ex-direction procèdent dans leur rapport au IIe congrès à une prétentieuse classification, des différents caractères de Parti révolutionnaire, quant à la pensée, quant au but, quant aux moyens ! ! !

Se classant eux-mêmes dans la catégorie des révolutionnaires quant aux moyens, ils écrivent :

Un révolutionnaire quant aux moyens est celui qui pour parvenir à ses buts utilise tous les moyens possibles autorises par le Droit. A ce titre également, le Parti est révolutionnaire.

Permettez, messieurs. En Algérie, si nous ne nous trompons pas, le Droit avec un grand D c’est le droit des colonialistes, qui exprime la domination totale et absolue de l’impérialisme. C’est un Droit qui justifie l’expropriation politique et économique de la quasi-totalité des Algériens. Si le M. T. L. D. n’utilisait que les moyens possibles autorisés par ce Droit, il abdiquerait sa qualité de parti révolutionnaire revendiquant l’indépendance pour le peuple algérien. N’utiliser que les « moyens possibles autorisés » par le Droit de MM. Naegelen, Léonard, Chevallier, c’est trahir le peuple. Avec une telle philosophie, il n’y aurait jamais eu ni d’Etoile Nord-Africaine, ni de P.P.A., ni de M.T.L.D.

Peut-être s’agit-il d’une erreur, de gens entraînés par le son de leurs propres paroles, creuses et prétentieuses ? En aucune façon, car le rapport des exclus continue en déclarant sentencieusement:

On ne conçoit pas de révolutionnisme ( !! ) sans relation directe et constante avec les faits réels. Pour influer sur ces derniers, IL FAUT DABORD SAVOIR LEUR OBEIR.
(Souligné par nous.)

Quelle écœurante et misérable justification de la plus misérable des philosophies d’esclaves, adorant leurs chaînes. Quels sont donc les « faits réels » de l’Algérie auxquels « il faut savoir obéir » :

Le fellah exproprié, le chômeur affamé, les élections truquées, la discrimination raciale, la répression, Messali déporté, les 45.000 morts de Sétif et de Guelma !

Non, mille fois non, un parti ne saurait être révolutionnaire s’il obéit à ces faits réels. Il lutte pour les détruire. En s’adaptant à « ces faits réels », l’ex-direction a refusé le combat, l’indépendance aux côtés des peuples frères du Maroc et de Tunisie.

L’aveu est de taille. Il sera complété et éclairé.

Dans leur rapport pour le IIe congrès, les exclus notent :

Il faut à présent penser à l’échelle nationale, ce qui doit inciter le Parti à considérer et à apprécier non seulement les forces qui sont en son sein, mais aussi les forces potentielles se trouvant hors de lui … Le Parti révolutionnaire doit tenir compte de ces forces et voir avec bienveillance tout progrès qui s’y fait, même sans son influence … Le progrès se constate soit en occupant une plus grande place dans un domaine partagé avec l’impérialisme, ou occupé exclusivement par celui-ci.

La boucle est bouclée : le Parti doit « apprécier et suivre avec bienveillance tout progrès dans la voie de la collaboration avec l’impérialisme … On ne saurait être plus clair.

Que Me Kiouane puisse, avec l’appui bienveillant de M. Chevallier qui revient de Tunisie après avoir organisé la répression contre les fellaghas et le peuple avec les contingents rapatriés du corps expéditionnaire d’Indochine, prospérer avec son cabinet d’avocat, sans aucun doute. Qu’il aille seulement demander aux fellahs « d’apprécier avec bienveillance la place qu’ils partagent avec l’impérialisme ».

Quel autre progrès le mouvement national peut-il s’assigner que d’arracher la revendication la plus élémentaire : la « terre aux fellahs », sans laquelle aucune amélioration du niveau de vie, si minime soit-elle, du peuple algérien n’est pas concevable ?

Et comment cette terre, dont il a été exproprié par la violence, avec tous les artifices du DROIT colonialiste, si cher aux avocats exclus, pourra-t-elle revenir au fellah, sans une lutte intransigeante pour l’indépendance nationale ?

Poser ces questions c’est y répondre.

L’INDEPENDANCE RELEGUEE AU MUSEE DES ACCESSOIRES

Ainsi, pour Abd-El-Ghani, auteur, sinon rédacteur exclusif du rapport pour le IIe congrès du M.T.L.D., le programme politique, c’est-à-dire l’indépendance, devient un problème tactique. Dans la hiérarchie des importances, le programme politique passe au troisième plan, derrière la politique des alliances et les élections.

Malgré sa teinture de marxisme, Abd-El-Ghani n’a rien compris au marxisme. En aucun cas, pour un parti révolutionnaire, le programme politique n’est un problème de tactique qui, comme tel, serait susceptible d’être modifié par la conjoncture immédiate. Par exemple, la participation ou le boycott des élections sont des problèmes tactiques.

Le parti révolutionnaire participe ou non aux élections, selon une appréciation de la conjoncture donnée. Sa tactique électorale reste toujours conditionnée et subordonnée à son programme politique qui, pour le M.T.L.D., reste en permanence le programme de la conquête de l’indépendance, pour autant que l’Algérie reste dominée par l’impérialisme français.

Tant il est vrai que pour Kiouane, Lahouel ou Abd-El-Ghani, c’est l’action intransigeante pour l’indépendance du M.T.L.D. qui doit disparaître, ils n’ont pas hésité dans leur rapport au IIe congrès d’avril 1953, à condamner le Parti parce qu’il a conditionné l’union à l’adhésion à l’idée de l’indépendance ! Pour ces gens-là, la lutte pour l’indépendance doit être reléguée au musée des accessoires.

La plateforme pour le Congrès National élaborée par les exclus consacre leur capitulation devant l’impérialisme. C’est ce que nous montrerons dans notre prochain article.

P. LAMBERT.

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