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1er novembre 1954 : L’insurrection algérienne commençait

Dossier paru dans Lutte ouvrière, n° 323, du 5 au 12 novembre 1974, p. 10-11

DANS la nuit du 31 octobre au 1er novembre 1954, entre minuit et deux heures du matin, une trentaine d’attentats éclataient simultanément sur l’ensemble du territoire algérien.

Autour de Mostaganem, dans l’Oranais, plusieurs grosses fermes sont attaquées, ainsi que le transformateur d’Ouillis.

Dans l’Algérois, des incendies sont allumés dans une fabrique de papier à Baba Ali, dans une coopérative à Boufarik et à Dra el Mizan deux policiers sont tués. A Alger même, une centrale électrique des faubourgs et l’immeuble de la radio, en plein cœur de la ville, sont attaqués.

Dans le Constantinois où les attentats ont été les plus nombreux, ce sont des casernes, des postes de gendarmerie et des commissariats qui sont touchés. A Tkout, la gendarmerie est encerclée pendant plusieurs heures. A Arris, au cœur même des Aurès, c’est toute la ville qui est investie par les combattants nationalistes qui tiendront leur position jusqu’au soir du 1er novembre.

UNE POIGNEE D’HOMMES

Ces hommes qui sont à l’origine de la lutte armée contre l’impérialisme français sont une poignée. Militants du MTLD (mouvement pour le triomphe des libertés démocratiques), ils refusent l’évolution de leur organisation vers le réformisme et le légalisme.

Dès le début de 1954, d’âpres discussions se sont développées au sein du MTLD. Quelques militants, anciens de l’OS (l’organisation chargée de l’activité illégale du MTLD, qui a été dissoute par la direction de ce mouvement en 1949), décident de préparer l’insurrection armée. Neuf hommes – les « chefs historiques » – décident la création du CRUA (Comité Révolutionnaire pour l’Unité et l’Action) qui prépare pratiquement le déclenchement de la lutte armée. C’est ce CRUA qui, le 1er novembre 1954, va donner naissance au FLN.

Ainsi, en cette veille du 1er novembre 1954, seul un petit groupe s’engage
dans l’action. Derrière ceux qui ont pris la décision d’engager la lutte, il n’y a que quelques centaines d’hommes. Ils ne sont même pas sûrs d’être suivis. Ils espèrent au moins que leur geste va permettre d’attirer l’attention de l’opinion sur le cas de l’Algérie. Mais ce petit groupe d’hommes bien organisé va jouer un rôle décisif. Car la situation est mûre pour la révolte en Algérie.

UNE SITUATION EXPLOSIVE

La population algérienne tout entière est excédée par le régime colonial.
Plus de 20 % des terres (les meilleures) ont été volées aux Algériens au
cours de cent vingt-cinq années de colonisation. Toute la production agricole du pays est axée sur la satisfaction des besoins de la métropole, aux mains, la plupart du temps, des colons européens. Près de 60 % de cette production est exportée ; sur des centaines de milliers d’hectares, le blé a fait place à la vigne (alors que les musulmans ne boivent pas de vin). Le résultat, c’est que les Algériens vivent dans la faim et la misère. En 1871, chaque habitant disposait de cinq quintaux de blé par an, en 1953, il n’en dispose plus que de deux.

D’industrialisation, point, alors que les chômeurs s’entassent dans les villes et que plus d’un Algérien sur huit est sans travail. 90 % des enfants algériens ne sont pas scolarisés. Un médecin pour trente mille habitants en Kabylie, soit trente fois moins qu’en France. Voilà quelques aspects de ces fameux « bienfaits » de la civilisation que se plaisent à vanter les tenants de la colonisation ! Sans parler du régime policier honni, des élections truquées, et surtout le souvenir qui n’est pas près de s’effacer des quarante mille Algériens massacrés par l’armée française lors des manifestations de Sétif en mai 1945.

Dans ces conditions, alors que la Tunisie et le Maroc sont sur le point d’obtenir leur indépendance, alors que les combattants indochinois viennent d’obliger l’impérialisme français à capituler, c’est toute la population algérienne qui va se reconnaître dans les « fellaghas », qui va les soutenir et petit à petit rejoindre leurs rangs. Dès le 3 novembre, Jacques Chevallier, secrétaire d’Etat aux Forces armées dans le gouvernement Mendès-France, député et maire d’Alger, doit reconnaître que les Aurès sont « pratiquement en état d’insurrection ».

LA GUERRE COMMENCE

Pourtant, le gouvernement – dans lequel se retrouvent Mitterrand et Christian Fouchet – ainsi que la grande presse s’accordent pour se féliciter de l’attachement indéfectible de l’Algérie à la France et pour voir dans les événements de la Toussaint 1954, l’œuvre d’un complot étranger. Mais malgré ses propos qui se veulent rassurants, le gouvernement français n’est pas rassuré. D’entrée, la répression sera féroce.

Trois compagnies de CRS, des gardes mobiles, plusieurs bataillons de parachutistes seront envoyés en renfort en Algérie. Les ratissages, les arrestations massives, les perquisitions se multiplient. Le 5 novembre, le MTLD est dissous, des dizaines de militants nationalistes sont arrêtés, de nombreux journaux sont saisis. L’arbitraire règne en maître.

Mais cette fois la coupe est pleine. La répression fera surgir de nouveaux combattants par centaines. C’est une guerre qui commence … une guerre qui durera plus de sept ans.

H.C.


8 ans de lutte sous une direction nationaliste bourgeoise ont fait céder l’impérialisme français, mais n’ont donné ni la liberté ni le socialisme au peuple algérien

POUR se libérer de la tutelle de l’impérialisme français, le peuple algérien a payé très cher : huit années de combats héroïques, un million de morts, le dixième de sa population. C’est devant cette résolution admirable et irréductible que la bourgeoisie française a dû finalement céder. Seulement, ce n’est pas sur la liberté qu’a débouché la lutte de libération nationale, mais sur la dictature militaire de Boumédienne. Au lendemain même de l’Indépendance, en 1962, Ben Bella éliminait déjà les opposants de toutes tendances et mettait au pas la seule organisation de masses, le syndicat, qui pouvait refléter, même timidement, les revendications de la classe ouvrière : l’Union Générale des Travailleurs Algériens. S’appuyant sur l’armée des frontières commandée par Boumédienne, il écartait ses anciens rivaux comme ses anciens alliés : Boudiaf, Ferhat Abbas, Khidder, Ait Ahmed … Par la même occasion, Ben Bella faisait place nette au chef de l’armée permanente et le rendait indispensable. Le 19 juin 1965, Boumédienne éliminait à son tour Ben Bella et instaurait une dictature militaro-policière qui jugule les aspirations du peuple algérien depuis maintenant près de dix ans.

La longue lutte du peuple algérien pour sa liberté méritait certes un autre résultat. Mais le drame de notre époque consiste justement hélas, en l’absence de partis prolétariens socialistes, en ce que l’immense potentiel révolutionnaire de la paysannerie pauvre et du prolétariat des pays sous-développés n’a encore servi que de masse de manœuvre aux objectifs politiques de leur bourgeoisie nationale. L’Algérie en est l’un des exemples les plus tragiques.

Car, hélas, l’héroïsme et les sacrifices ne suffisent pas pour faire une révolution socialiste.

Pour ce faire, il faut au prolétariat un parti qui défende son programme et sa politique. Un parti qui se refuse aux « fronts nationaux » de toutes sortes, un parti qui montre que le combat ne peut pas justement s’arrêter à l’indépendance : qu’il faut dès le début engager la lutte sous la direction du prolétariat et sur son programme, n’hésitant pas à prendre toutes les mesures économiques et sociales qui s’imposent.

Renoncer à cela, c’est à coup sûr, une fois l’indépendance si chèrement conquise voir les lois économiques de l’impérialisme régner sans merci, l’exploitation et la misère continuer par l’intermédiaire d’un gouvernement « indépendant » certes, mais bourgeois, prêt à mettre au pas son propre peuple. Voilà la voie que prépara le FLN algérien.

Certes, il n’y a pas de fatalité. Et entre le 1er novembre 1954 ou quelques hommes courageux jetèrent le défi du peuple algérien face à la suffisance de l’impérialisme français, jusqu’à l’indépendance, il n’était pas exclu que dans le feu de la lutte, le prolétariat algérien ait pu forger sa propre direction, malgré la capitulation honteuse de la gauche française. Une direction qui l’aurait mené au combat pour ses objectifs propres et la victoire commune du prolétariat d’Algérie et de France contre leur ennemi commun : la bourgeoisie française.

Ces hommes-là n’ont pas existé.

En l’absence d’une direction révolutionnaire, l’évolution future du drame algérien était inscrite dans la nature du FLN lui-même, dans la mesure où il réussissait à garder la direction de la lutte contre l’impérialisme français.

Le programme explicite du FLN, dès 1954, s’affirmait ouvertement bourgeois.

La proclamation diffusée au lendemain de la Toussaint 1954 déclarait :

« Notre mouvement se présente sous l’étiquette de Front de Libération Nationale, se dégageant ainsi de toutes les compromissions possibles et offrant la possibilité à tous les patriotes algériens de toutes les couches sociales, de tous les partis et mouvements purement algériens, de s’intégrer dans la lutte de libération sans aucune autre considération … »

Sous couvert de rassembler toutes les énergies dans la lutte contre l’impérialisme français, on demandait aux travailleurs et aux paysans pauvres d’Algérie d’oublier qu’ils avaient des intérêts propres à défendre et de se subordonner à une direction représentant « les intérêts de la nation », c’est-à-dire les intérêts bourgeois pour l’Algérie.

De ce que serait l’Etat de cette Algérie indépendante, les dirigeants du FLN, dès le début s’en préoccupèrent beaucoup. Pendant que les maquis livraient dans les djebels les combats décisifs contre l’armée française, le FLN organisait à l’abri des frontières tunisiennes et marocaines une armée moderne et bien équipée. Si elle ne joua guère de rôle dans la lutte pour l’indépendance, elle fut destinée à devenir l’armée permanente du futur Etat algérien. Et ce ne fut pas par hasard si c’est à Boumédienne, commandant de cette armée, qu’échut le pouvoir suprême en 1965.

C’est pour les mêmes objectifs politiques de l’après-indépendance, que le FLN préparait, dès le début de la guerre, le règne du parti unique. Les récalcitrants n’allaient avoir le choix qu’entre se soumettre ou disparaître. Et pour son hégémonie, le FLN trouva dans les mitraillettes ses arguments les plus convaincants.

Ne voulant à aucun prix d’une politisation des masses, se refusant absolument à se soumettre à leur verdict, les dirigeants nationalistes ont été amenés à régler toutes leurs querelles à coups de couteau ou de mitraillette et non de façon démocratique : et ceci dès les premiers mois de la lutte : règlements de comptes sanglants entre le FLN et le MNA dès 1955, règlements de comptes non moins sanglants au sein même du FLN à partir de 1957.

Les dirigeants du Front avaient appelé les masses aux armes pour la libération nationale. Mais ils craignaient avant tout de voir ces masses continuer la lutte au lendemain de l’indépendance, pour la satisfaction de leurs propres revendications.

Et l’évolution qui amena Boumédienne finalement au pouvoir était contenue en germe dans toute la politique menée par le FLN depuis le début de la guerre. Seule une lutte autonome des masses aurait pu l’empêcher et ouvrir d’autres perspectives au peuple algérien. Mais c’est précisément une telle mobilisation autonome que les dirigeants de l’insurrection algérienne craignaient plus que tout et qu’ils mirent tout en œuvre pour éviter.

Huguette CHEVIREAU.


La gauche française et la guerre d’Algérie

LA réponse du gouvernement français au déclenchement de l’insurrection fut claire. Mendès-France déclarait :

« Qu’on n’attende de nous aucun ménagement à l’égard de la sédition, aucun compromis avec elle … Jamais la France, jamais aucun Parlement, jamais aucun gouvernement ne cèdera sur ce chapitre fondamental ».

Et Mitterrand, alors ministre de l’Intérieur, ajoutait en écho :

« L’Algérie, c’est France et des Flandres au Congo, il y a une seule nation, un seul Parlement. C’est la constitution, c’est notre volonté ».

Après le Vietnam, l’impérialisme français s’engageait dans une longue guerre de huit ans contre le peuple algérien.

Cette politique, il n’a pu la mener que parce que l’arrière était sûr, qu’il a bénéficié en fait de l’appui ouvert ou voilé de toutes les forces politiques de la société française. Ainsi, après les premiers attentats dans les Aurès à la Toussaint 1954, le PCF lui-même avait déclaré :

« Le PCF ne saurait approuver le recours à des actes individuels susceptibles de faire le jeu des pires colonialistes si même ils n’étaient pas fomentés par eux »,

pendant que sa succursale algérienne, le PCA ajoutait :

« Le Parti Communiste Algérien s’est toujours gardé de mots d’ordre inconsidérés ou d’actes individuels qui ne correspondaient pas à la volonté et aux possibilités réelles des larges couches de la population, qui seraient un élément de division parmi les travailleurs algériens ou qui risqueraient de faire le jeu des colonialistes ».

L’histoire a tranché, mais ces déclarations en disent long sur la volonté du PC d’aider la lutte du peuple algérien. De même, lorsque spontanément, les militaires du contingent « rappelés » après leur service pour faire la guerre, manifestent à la fin de 1955 et de 1956, ils furent laissés à eux-mêmes sans soutien des partis et syndicats.

Et le comble de la duplicité n’était pas atteint. En 1956, la victoire aux élections législatives du Front Républicain du « socialiste » Guy Mollet, victoire acquise par les promesses de paix négociée en Algérie, n’aboutissait qu’à un renforcement de la guerre. Mollet cédait aux colons « ultras d’Algérie ». Il obtenait des pouvoirs spéciaux avec le vote des députés du PC et envoyait le contingent en Algérie.

Tout au long de cette guerre interminable, les nationalistes algériens sont restés seuls à se battre. Directement ou indirectement, ouvertement ou d’une manière voilée toute la gauche, toutes les grandes organisations se réclamant de la classe ouvrière se firent les complices de l’impérialisme français.

Les Guy Mollet, les Mitterrand ou autres Mendès-France, n’en parlons pas. Ils ont ouvertement engage leur responsabilité politique dans la répression.

Le PCF, bien que critiquant la guerre en parole, se refusait de gêner en quoi que ce soit les gouvernements successifs de la IVe République. On ne l’a pas vu se battre pour l’indépendance immédiate et sans condition de l’Algérie. On ne l’a pas vu appeler à la fraternisation avec les combattants algériens. On ne l’a pas vu tenter de saboter l’effort de guerre de l’impérialisme français.

On ne l’a même pas vu prendre l’initiative d’un minimum d’action de solidarité pour défendre les militants algériens contre la répression. Jamais, au grand jamais la CGT ne donna l’ordre ne serait-ce que de débrayer pour protester contre l’arrestation d’un travailleur algérien militant du FLN dans une entreprise.

Les travailleurs algériens avaient le sentiment, pleinement justifié en la circonstance, de n’avoir rien à attendre de la classe ouvrière française.

Cette carence, cette trahison des organisations ouvrières ne pouvait que renforcer le caractère strictement nationaliste du combat d’émancipation algérien. Elle a favorisé le racisme dans la classe ouvrière, elle a contribué à creuser un fossé entre cette dernière et le peuple algérien.

Malgré la sauvagerie de la répression et son caractère massif, l’armée française n’a pas pu contenir et étouffer le FLN qui s’est assuré le soutien de la population algérienne. En fait, sur le plan militaire, ce fut très rapidement l’impasse. L’armée française était incapable de vaincre une guérilla appuyée sur un peuple et le FLN n’avait pas les moyens militaires de rejeter les centaines de milliers d’hommes qui ratissaient, quadrillaient et bombardaient l’Algérie.

C’est dans ce contexte là, et à cause de lui que l’impérialisme français s’est résigné à une solution politique sauvegardant l’essentiel de ses intérêts. Une des raisons essentielles de la venue de De Gaulle au pouvoir fut précisément d’imposer une telle solution à la fois à l’armée et au million de « petits Blancs » ultras d’Algérie d’un côté, et au FLN de l’autre. Il aura mis quatre ans pour y parvenir.

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