Catégories
presse

Il y a 20 ans : La révolution algérienne

Dossier paru dans Rouge, n° 272, 1er novembre 1974, p. 9-12

1er novembre 1954
1er novembre 1974

L’année 1954 fut désastreuse pour l’impérialisme français. Elle fut excellente pour les peuples colonisés en lutte pour leur libération nationale et sociale. En mai, à Dien Bien Phu, le corps expéditionnaire français capitulait devant les forces armées de la révolution indochinoise. Ce fut un séisme politique dans l’empire colonial français. Les militants anti-colonialistes y trouvèrent plus qu’un exemple : la preuve que la lutte était possible, que la victoire était possible. Le 1er novembre 1954, les combattants de l’avant-garde algérienne déclenchaient l’insurrection contre l’occupant colonial. La lutte du peuple algérien allait durer sept ans et huit mois. C’est contre toute l’armée française aux portes de la métropole que la lutte allait s’engager, et non contre un corps expéditionnaire éloigné de ses bases. Elle allait affronter plus d’un million de colons français et européens fortement enracinés dans le pays.

Pour quelques années, les combattants algériens allaient se trouver presque totalement isolés dans le monde, livrés à eux seuls, ne recevant le soutien politique ou matériel d’aucun Etat, dénoncés d’abord, abandonnés ensuite par les organisations ouvrières de la métropole. Le Parti socialiste était au pouvoir à Paris et le Parti communiste soit directement, soit indirectement, par l’intermédiaire de son appendice, le Parti communiste algérien, s’était coupé de l’avant-garde combattante algérienne après la condamnation calomniatrice qu’il avait faite de l’insurrection du 1er novembre 1954.

Ce qui allait bientôt devenir le Front de Libération nationale avait lancé un mouvement dont il n’imaginait pas la portée mondiale à venir. La société française allait être touchée profondément dans ses valeurs morales et dans ses structures politiques, la jeunesse radicalisée définitivement, le Parti communiste déséquilibré, une nouvelle période caractérisée par la renaissance des luttes politiques sur une grande échelle était ouverte. Tout l’empire colonial français risquait de craquer sous les coups de butoir du FLN algérien. Afin d’en limiter les conséquences, des statuts d’indépendance factice, de nature néo-coloniale furent accordés au Maroc, à la Tunisie, aux peuples d’Afrique noire. La lutte du peuple algérien incarna à elle seule pendant plusieurs années toutes les aspirations à la lutte des peuples colonisés.

Il convient, vingt années après le déclenchement de la révolution algérienne, de rappeler ce que fut cette lutte et l’immensité de ses conséquences dans le monde et aussi de rendre hommage à ceux, algériens d’abord, français ou autres ensuite, qui en ont été la force et la conscience.


Le 28 octobre 1954, les six dirigeants de l’insurrection algérienne se faisaient photographier dans la Casbah d’Alger. Petit geste dédié à l’histoire qui montrait bien que, selon les six, la détermination à la lutte et les préparatifs du déclenchement étaient au point.

Mais au même moment, les forces politiques traditionnelles, qui contestaient à leur manière l’ordre colonial de l’intérieur de son système, organisaient des manifestations revendicatives dont les thèmes étaient une meilleure promotion musulmane à tous les postes de l’administration (coloniale s’entend !), et une augmentation salariale. Ces forces politiques qui s’exprimaient par le truchement des syndicats notamment, n’étaient autres que le Parti Socialiste de Guy Mollet et le Parti communiste algérien, « fédération algérienne » du Parti Communiste français.

Ce contraste illustre exactement la coupure profonde qui pouvait déjà exister entre les forces brutes de la révolution algérienne, dans les campagnes, dans certains secteurs du prolétariat urbain, parmi les 700.000 prolétaires algériens en France et en Europe, doublés de leurs familles, et les autres, en opposition à l’ordre colonial, mais pas en rupture avec lui. Ces dernières reconduisaient en Algérie et dans d’autres régions de l’empire colonial français le réformisme que pratiquaient les maisons-mères dans la métropole, le P.C.A. par rapport au P.C.F. notamment. Leur lutte n’était pas différente de celles que menaient P.C.F. et C.G.T. en France, elle y était rattachée, comme force d’appoint. Jamais la nécessité d’une lutte radicale, au besoin armée, structurée clandestinement, n’a été mise à l’ordre du jour par le mouvement communiste franco-algérien. Cela ne veut pas dire que ce mouvement n’a pas été sujet à répression de la part des autorités coloniales, loin de là, cela veut seulement dire que ces organisations réformistes ne parlaient pas aux masses algériennes le langage de la libération nationale et n’envisageaient aucunement auprès des secteurs les plus conscients de l’intelligentsia de la classe ouvrière ou de la paysannerie algériennes, le problème de la destruction de la présence coloniale et la conquête de l’indépendance. C’était déjà se couper des secteurs combattifs, déjà prêts ! C’était peut-être aussi déjà se placer dans un camp qui n’était pas celui de l’ordre colonial, mais qui n’était certainement pas celui de la révolution algérienne. Le résultat de cette politique ne se fait pas attendre. Alors que le 1er novembre, l’insurrection est réelle, que le commencement de la lutte a secoué l’Algérie de part en part, et donc aussi la bourgeoisie et la classe ouvrière française et leurs organisations respectives. Alger Républicain, le quotidien du Parti communiste Algérien écrit le 9 novembre dans un éditorial à propos de cette insurrection qu’il s’agit d’assassins, d’aventuriers. C’est grave, très grave, car il en découle immédiatement une division politique et organisationnelle entre toutes les forces sociales et politiques algériennes, arabes ou européennes d’origine qui ont toutes intérêt à la liquidation du colonialisme. Il en découlera inévitablement une prise de position identique dans le fond par le parti communiste français qui affirma les mêmes positions qu’Alger Républicain dans dans les colonnes de l’Humanité. Il s’agit là d’un crime politique, non pas tant à cause de la nature calomniatrice de pareilles positions mais a cause des conséquences – alors incalculables – de ces positions politiques. Les travailleurs algériens étaient 700.000 ou plus, en France principalement, au 1er novembre 1954. Bien vite cette masse de travailleurs algériens va se souder à la lutte de libération, et encore bien plus, ils vont en devenir la ressource économique centrale. Ainsi, 80% du budget de guerre du F.L.N. provient d’Europe, surtout de France. Le poids dont va peser la Fédération de France du F.L.N. sera à tout moment déterminant par la suite.

Mais elle ne pourra jamais organiser de réelles actions de front unique avec les organisations du prolétariat français qui se déroberont à cette tâche centrale pour la période. C’est par elle que les achats d’armes en Allemagne se feront, car ces armes ne seront jamais offertes normalement par l’URSS ou la Tchécoslovaquie. Cuba révolutionnaire n’existe pas encore.

L’Egypte de Nasser apportait son obole en armement comme la Yougoslavie de Tito et la Chine de Mao à partir de 1959 déversera ses bazookas et une importante aide matérielle non directement militaire. Le FLN était seul et ne pouvait compter que sur ses propres forces et celles, très petites de ceux qui, en France, allaient tout consacrer de leur activité militante à la cause algérienne.

Telle était, grossièrement rappelée, la situation des combattants algériens à l’aube de 7 années de combat. Cet état d’isolement ne fait que renforcer la puissance, la détermination et la foi en leur lutte des combattants algériens. Et ceci est encore plus manifeste quand, au sein même des masses arabes du Maroc à l’Irak en passant par l’Egypte, jamais aucune solidarité systématique n’a été développée en faveur de la lutte algérienne. Il fallait bien que les masses algériennes soient prêtes au combat pour apporter la solidité nécessaire à cette lutte, sinon comment expliquer qu’une « poignée de putschistes aventuristes aux méthodes condamnables » aient pu faire ce qu’ils ont fait ? La rupture qui s’est produite entre les forces immobilistes traditionnelles du réformisme algéro-francais et les forces, oubliées, des masses algériennes, dont les cadres du FLN qui en seront issus, analphabètes à 90 % dans les deux langues, français et arabe, cette rupture allait produire à distance les conditions de l’émergence au sein de la métropole de nouvelles générations de militants révolutionnaires en contradiction avec la ligne du PCF avant tout. Presque seule dans le monde colonial, l’Algérie combattante, isolée, sans direction révolutionnaire, marxiste, sans aide des « grands frères étrangers », allait défricher les premiers sentiers de la voie qui allait conduire, en France et en Europe occidentale, aux grandes luttes de la classe ouvrière. Ils étaient loin de l’imaginer, les 6 dirigeants de l’insurrection du 1er novembre 1954, et encore davantage ceux qui étaient en première ligne. Ce 1er novembre 1954, une phase nouvelle de notre histoire révolutionnaire, encore implicite, était commencée.

G. VERGEAT


La réalité sociale et économique de l’Algérie indépendante

En l’absence du mouvement ouvrier, le mouvement national fut dirigé par la petite-bourgeoisie. A l’indépendance, en 1962, la petite-bourgeoisie s’empare de l’appareil d’Etat colonial et occupe les positions abandonnées par les colons français. Regroupée autour de l’ « armée des frontières », la petite-bourgeoisie s’efforce de contourner, de dévier, de récupérer un mouvement de masse de grande envergure dont le symbole fut l’auto-gestion spontanée des entreprises et des domaines agricoles abandonnés par leurs patrons français.

L’inexpérience du prolétariat, l’absence d’organisations de classe du
prolétariat et la domination politique de la petite-bourgeoisie permirent cette récupération et aboutirent à l’essoufflement du mouvement des masses. Le 19 juin 1965 (coup d’Etat militaire dirigé par Boumédienne) correspond à une clarification du rapport entre les classes.

LE CAPITALISME D’ETAT ALGERIEN

Les débuts du régime Boumédienne furent marqués d’abord par la répression du mouvement des masses et ensuite par les garanties données à la bourgeoisie (petits industriels, commerce de gros…), avantages qui furent codifiés par la promulgation d’un nouveau code des investissements. Boumédienne, c’est aussi le renforcement des institutions locales de l’appareil d’Etat, destiné à sceller l’alliance avec les notables locaux (gros propriétaires…), c’est le sens qu’ il faut donner à la création des APC (Assemblées Populaires Communales).

Mais la caractéristique essentielle fut le rapide développement du secteur d’Etat.

LE DEVELOPPEMENT DU SECTEUR D’ETAT

En effet, si Boumédienne permit un essor important de l’investissement privé dans le textile, la chaussure, etc … recyclant ainsi l’accumulation de capitaux issue du pillage effréné des années 62-63. Il a surtout permis l’émergence d’un secteur d’Etat (sociétés nationales) qui devint le moteur de r économie algérienne et l’instrument privilégié pour la création d’une bourgeoisie algérienne. Ce secteur s’est construit d’une part en regroupant les entreprises « autogérées » (mais qui l’étaient de moins en moins), d’autre part par la nationalisation progressive de presque tous les secteurs de l’économie encore tenus par des firmes étrangères. Cela a commencé par la nationalisation des mines (1966). L’épisode le plus connu fut la nationalisation, le 24 février 71, des intérêts pétroliers français.

Le secteur d’Etat c’est d’abord l’ensemble des industries installées par le colonialisme français.

Et à mesure que s’opérait cette concentration des moyens de production aux mains de l’Etat, les projets des technocrates devenaient cohérents. En fait, ignorant les contradictions inhérentes à la nature de classe de l’Etat, et les limitations que le marché mondial était capable d’imposer, les technocrates du pouvoir crurent qu’il leur était possible de planifier un développement « harmonieux » de l’économie algérienne. C’est la politique d’industrialisation de Boumédienne (certes, l’Etat était le patron de tous les secteurs décisifs de l’économie et il a pu sembler que les planificateurs algériens avaient plus de prise sur l’économie, qu’on échappait à l’anarchie capitaliste. Il n’en est rien : les appétits divers ont parasité les efforts, voire réduit à néant certains projets car la recherche du profit personnel restait le moteur de l’économie et l’existence d’un secteur privé assurait cette continuité du capitalisme).

LA  » REVOLUTION INDUSTRIELLE »

L’industrialisation, ce fut le pré-plan triennal 67-69 et surtout le premier plan quadriennal 70-73. Le pré-plan triennal servit à rôder la machine, le régime prit conscience des moyens formidables dont il disposait. Ce plan prépare le premier plan quadriennal (formation de cadres, lancement d’un minimum d’ « infrastructure » industrielle).

L’INDUSTRIE INDUSTRIALISANTE

Le plan choisit de développer l’industrie, délaissant l’agriculture. Il
s’agissait de développer l’industrie lourde, une infrastructure industrielle (sidérurgie, pétrochimie … ). L’option était « l’industrie industrialisante ». Cela signifie qu’il fallait installer de grosses unités industrielles qui provoquent la floraison d’une cascade de petites unités en amont (fournissant les matières premières ou en aval (utilisant les produits de la grosse unité). Exemple : une usine d’autos permet la naissance d’une usine de verrerie et d’une entreprise fabriquent de la peinture, etc.

Mais si le secteur d’Etat se réserve les « industries industrialisantes », le privé peut prendre une part des petites unités. Le plan quadriennal choisit d’affronter le marché mondial. Les produits algériens devaient être compétitifs. Aussi les unités installées étaient-elles caractérisées par une technologie ultra-moderne et donc par le nombre très réduit d’emplois qu’elles offraient (35 000 emplois non industriels).

TROIS GOULOTS D’ETRANGLEMENT

Le problème principal était que les contradictions internes à la bourgeoisie et à l’Etat algérien la rendaient incapable d’appliquer son plan. En outre :

– l’utilisation de techniques modernes mettait les projets à la merci de l’impérialisme, fournisseur de cette technologie, les usines sont livrées clefs en mains, la participation de l’industrie locale à leur construction est dérisoire : l’impérialisme a beaucoup aidé au développement de « l’industrie » du gaz naturel mais les grands projets industriels ont connu des retards de plusieurs années (usine d’autos abandonnée par Renault, sidérurgie d’El Hadjar retardée de plusieurs années, etc.) ;

– les unités modernes nécessitent une grande quantité de cadres et d’ouvriers qualifiés (c’est pour cela qu’on a parlé de rapatrier les émigrés algériens) ;

– et surtout, le nombre d’emplois offert est dérisoire comparé aux millions de chômeurs ; mais pour Boumédienne, le chômage, on s’en occupera plus tard. C’est sûr, paraît-il, il sera résorbé en … 1990. Mais durant le plan quadriennal, le chômage augmentait : le nombre d’emplois offerts est inférieur au nombre de jeunes arrivant sur le marché du travail, inférieur à l’exode rural …

LA QUESTION AGRAIRE

Par le développement de pôles industriels sans bouleversement simultané de la campagne, l’industrialisation algérienne accentue la cassure classique dans les économies des pays dominés, cassure entre un secteur très moderne marginal dans la société et un secteur traditionnel regroupant les masses paysannes, secteur aux forces productives peu développées. L’Algérie du plan quadriennal comme l’Algérie coloniale, ce n’est qu’une mince bande côtière. Et à 100 kilomètres d’Alger, les paysans utilisent des charrues en bois. On ressentit très vite cette contradiction. Des programmes spéciaux furent mis sur pied pour lutter contre les « disparités régionales ». En fait, les milliards de dinars d’investissement de ces programmes ne pouvaient changer le déséquilibre flagrant entre la ville et la campagne, entre les secteurs de pointe et l’économie traditionnelle. Et le train d’écoles, de mairies, de préfectures, de petites unités financées par ces programmes spéciaux permit un essor important de la bourgeoisie privée dans un domaine peu courant : le bâtiment et les travaux publics.

LA « REVOLUTION » AGRAIRE

Seule une solution de la question agraire aurait permis à la bourgeoisie d’affronter ces problèmes. Le projet de Révolution agraire avait cette ambition. Mais les contradictions de la bourgeoisie algérienne la rendent incapable d’assumer ce projet.

La « révolution » agraire visait à la création d’un marché national pour l’industrie et ce, par le développement des forces productives à la campagne. La consommation d’engrais, de tracteurs, etc. par l’agriculture donnerait un coup de fouet à l’industrie nationale et, par ailleurs, l’élévation du niveau de vie des paysans ouvrirait un marché très vaste pour les produits de consommation courante.

La « révolution » agraire réorganisa donc la production agricole : remembrement des parcelles, nationalisation des terres des gros propriétaires, création d’un prolétariat agricole travaillant dans des « coopératives ».

Parce qu’il touchait aux intérêts des propriétaires fonciers, le projet eut du mal à voir le jour. Il fut l’occasion d’un grand affrontement dans la bourgeoisie. Boumédienne abandonnant son rôle d’arbitre, mit tout son poids dans la bataille pour le projet qui se termina par l’éviction de Kaïd Ahmed (représentant des gros propriétaires terriens). C’est le point de départ de la crise du régime Boumédienne.

Mais ce projet de « révolution » agraire dont les exécuteurs sont les APC et autres institutions locales acquises aux secteurs retardataires de la bourgeoisie, fut dévié de son objectif original et l’on peut dire avec certitude que bien des propriétaires fonciers n’ont pas été nationalisés.

LES CONTRADICTIONS DU CAPITALISME D’ETAT

A l’ indépendance, la petite-bourgeoisie qui s’empara de l’appareil d’Etat colonial, a écarté la bourgeoisie industrielle et commerçante (très faible). L’accumulation de biens réalisée depuis lors par cette petite-bourgeoisie fit que, de plus en plus, les cadres de l’armée et autres bureaucrates des sociétés nationales investissent dans de petites entreprises de commerce. Dans cet Etat bourgeois, la bureaucratie est fondue, imbriquée dans la bourgeoisie industrielle naissante. Cette bureaucratie mène une politique bourgeoise. Les courants les plus « gauche » de cette bureaucratie n’ont œuvré qu’à la naissance d’une bourgeoisie industrielle. Pour tous ces arguments, on ne qualifiera pas cette bureaucratie de petite-bourgeoise, mais de bourgeoise.

Mais n’oublions pas la contradiction profonde du capitalisme d’Etat algérien. En effet, la bourgeoisie industrielle proprement dite n’est pas apte à mener une politique énergique, asseyant ses intérêts historiques. Parce qu’elle est liée à la bourgeoisie agraire (les gros propriétaires investissant en ville), elle ne peut réaliser la réforme agraire bourgeoise (renforcement du capitalisme dans l’agriculture).

Parce qu’elle est liée à l’impérialisme (les investissements se faisant souvent en liaison avec des firmes multinationales), cette bourgeoisie ne peut que prétendre à un rôle de bourgeoisie compradore.

C’est l’affrontement entre les masses et l’impérialisme, l’histoire toute particulière de la petite-bourgeoisie dans les années 60 qui permirent à la bureaucratie bourgeoise de jeter les bases de développement d’une accumulation nationale grâce au secteur économique d’Etat.

Mais puisque l’Etat algérien renforce une nouvelle bourgeoisie industrielle, puisqu’à l’abri du secteur d’Etat, le secteur privé se construit, puisque la bureaucratie, les cadres de l’armée deviennent des patrons de petites entreprises, la base sociale du capitalisme d’Etat s’effrite et l’équilibre interne da la bourgeoisie se transforme.

Au sein de la bourgeoisie, les tendances favorables à une économie
« libéralisée », c’est à dire : abandon du rôle moteur du secteur d’Etat, entrée en force de l’impérialisme et retour de la bourgeoisie locale à un rôle plus classique de bourgeoisie compradore, se font plus puissantes. L’édition par la SNED des articles de Hachemi Larabi, terne journaliste défenseur du secteur privé et la critique virulente de l’APS, agence de pressa officielle., à propos de ce livre montrent bien que le débat est là.

Toutes spécificités rappelées (place plus grande du secteur d’Etat, faiblesse de la bourgeoisie privée), le régime algérien va vers une « sadatisation », une évolution à l’égyptienne de la renaissance de la bourgeoisie privée.

LA CRISE

L’industrialisation n’a pas réglé le problème du chômage, elle l’a accentué. La présence et le développement de secteurs industriels a achevé de désorganiser la campagne. L’exode rural s’est accru.

La question agraire est le nœud de la situation dans un pays arriéré : 12 ans après l’indépendance. 20 ans après le 1er novembre 1954, la bourgeoisie piétine dans sa solution.

Sur le terrain de l’industrialisation la bourgeoisie fait l’expérience de son incapacité à réaliser son programme. Les ports sont engorgés (bientôt les aéroports alors que les pénuries de produits de première nécessité se font de plus en plus fréquentes. Les projets du 1er plan quadriennal attendent de voir le jour.

Les prix montent en flèche, les salaires n’ont pas grimpé depuis 1962. Le mécontentement des travailleurs est généralisé et il est de plus en plus violent.

C’est cette crise de la société algérienne, cette érosion du crédit qu’avait le régime auprès des masses qui a accentué les contradictions internes de la bourgeoisie et mené à l’affrontement d’août 74. L’affrontement a porté sur la commercialisation des fruits et légumes tout d’abord (voir article spécifique). Cette crise qui se conclut par un compromis a révélé l’isolement croissant de Boumédienne, dernier défenseur du secteur d’Etat et du projet capitaliste d’Etat. Elle a prouvé la force de Bouteflika et des fractions qui le soutiennent. L’équilibre bonapartiste est gravement compromis.


1er novembre 1954.

PROCLAMATION DU F.L.N.

Le 1er novembre 1954, le Front de Libération Nationale était encore une organisation méconnue de la population algérienne. Formé clandestinement, non encore apparu ouvertement, le FLN se faisait connaître auprès des masses par la distribution d’une proclamation par laquelle les raisons, les buts et les moyens de la lutte enclenchée étaient annoncés. L’extrait ci-dessous est le début de ce document historique.

« Peuple algérien,

Militants de la cause nationale,

A vous qui êtes appelés à nous juger (le premier d’une façon générale, les seconds tout particulièrement), notre souci en diffusant la présente proclamation est de vous éclairer sur les raisons profondes qui nous ont poussés à agir en vous exposant notre programme, le sens de notre action, le bien-fondé de nos vues dont le but demeure l’indépendance nationale dans le cadre nord-africain. Notre désir aussi est de vous éviter la confusion que pourraient entretenir l’impérialisme et ses agents administratifs et autres politicailleurs véreux.

« Nous considérons avant tout qu’après des décades de lutte, le mouvement nationale a atteint sa phase de réalisation. En effet, le but d’un mouvement révolutionnaire étant de créer toutes les conditions d’une action libératrice, nous estimons que, sous ses aspects internes, le peuple est uni derrière le mot d’ordre d’indépendance et d’action et, sous les aspects extérieurs, le climat de détente est favorable pour le règlement des problèmes mineurs, dont le nôtre, avec surtout l’appui diplomatique de nos frères arabo-musulmans. Les événements du Maroc et de Tunisie sont à ce sujet significatifs et marquent profondément le processus de la lutte de libération de l’Afrique du Nord. A noter dans ce domaine que nous avons depuis fort longtemps été les précurseurs de l’unité dans l’action, malheureusement jamais réalisée entre les trois pays.

« Aujourd’hui, les uns et les autres sont engagés résolument dans cette voie, et nous, relégués à l’arrière, nous subissons le sort de ceux qui sont dépassés. C’est ainsi que notre mouvement national, terrassé par des années d’immobilisme et de routine, mal orienté, privé du soutien indispensable de l’opinion populaire, dépassé par les événements, se désagrège progressivement à la grande satisfaction du colonialisme qui croit avoir remporté la plus grande victoire de sa lutte contre l’avant-garde algérienne. – l’heure est grave !

« Devant cette situation qui risque de devenir irréparable, une équipe de jeunes responsables et militants conscients, ralliant autour d’elle la majorités des éléments encore sains et décidés, a jugé le moment venu de sortir le mouvement national de l’impasse où l’ont acculé les luttes de personnes et d’influence, pour le lancer aux côtés des frères marocains et tunisiens dans la véritable lutte révolutionnaire.

« Nous tenons à cet effet à préciser que nous sommes indépendants des deux clans qui se disputent le pouvoir. Plaçant l’intérêt national au-dessus de toutes les considérations mesquines et erronées de personnes et prestige, conformément aux principes révolutionnaires, notre action est dirigée uniquement contre le colonialisme, seul ennemi et aveugle, qui s’est toujours refusé à accorder la moindre liberté par des moyens de lutte pacifique.

« Ce sont là, nous pensons, des raisons suffisantes qui font que notre mouvement de rénovation se présente sous l’étiquette de Front de libération nationale, se dégageant ainsi de toutes les compromissions possibles et offrant la possibilité à tous les patriotes algériens de toutes les couches sociales, de tous les partis et mouvements purement algériens, de s’intégrer dans la lutte de libération sans aucune autre considération… »

QUE SONT DEVENUS LES DIRIGEANTS DE L’INSURRECTION DU 1er NOVEMBRE 1954

Rabah Bitat : Maintenant ministre des transports dans l’actuel gouvernement.

Ben Boulaïd : mort au combat.

Didouche : Mort au combat.

Boudiaf : En exil.

Krim Belkacem : assassiné par Boumédienne à Francfort récemment.

Ben M’Hidi : fait prisonnier par Bigeard en Algérie et exécuté.

Ces six dirigeants de l’insurrection faisaient partie de la direction des neuf, dont les trois autres étaient au Caire auprès de Nasser alors dirigeant incontesté de la cause anti-impérialiste des masses arabes. Ils étaient :

Khider : assassiné par Boumédienne à Madrid il y a quelques années.

Ben Bella : emprisonné par Boumédienne en Algérie à la suite de son renversement par voie de coup d’état militaire le 19 juin 1965.

Aït Ahmed : en exil.

Le coup d’août 1974.

QUAND LES LOUPS S’ENTRE-DEVORENT

La crise de la société algérienne précipite la crise de la bourgeoisie et accroit ses contradictions. La faillite du régime, le mécontentement grandissant des travailleurs, les diverses fractions du pouvoir s’en renvoient la responsabilité. Août 74 les a vus au bord de la rupture. C’est au printemps que tout commence, pendant que Boumédienne lance à Constantine un appel à reconstruire le parti FLN et suscite une campagne de soutien à ce discours.

Bouteflika ministre des affaires étrangères prononce plusieurs discours d’un style nouveau rompant avec les références au « socialisme » et à « l’anti-impérialisme » qui caractérisent l’équipe Boumédienne.

Pendant ce temps, les CAPCS (coopératives de commercialisation mises sur pied par la révolution agraire) occupent les halles d’Alger chassant les mandataires privés. L’OFLA (Office des fruits et légumes) résiste à ce changement et organise la pénurie sur le marché des fruits et légumes. Début août El Moudjahid titre : 1 200 tonnes de pommes de terre jetées par l’OFLA. Un véritable appel à la révolte en cette période de pénurie. Quelques jours plus tard, c’est l’APW d’Alger (assemblée départementale) qui attaque l’OFLA, l’accusant d’héberger des mandataires privés et d’organiser la pénurie. Et puis plus rien … le vide pendant 10 jours. Pas d’information nationale sur les journaux. Jusqu’à la réapparition spectaculaire de l’ensemble des dirigeants lors de la signature des accords PAIGC-Lisbonne.

QUE S’EST-IL PASSE

« La révolution agraire » a ébranlé l’équilibre bonapartiste du régime algérien. Ses retombées minent encore cet édifice branlant. Parmi elles le problème des CAPCS (coopératives) et aussi le redécoupage administratif (31 wilayas au lieu de 15 actuellement) ; car cela signifie une redistribution du pouvoir et une restructuration des alliances (il s’agissait de nommer les préfets, les chefs de secteur de l’armée, etc…) ce qui nécessite un équilibre entre les diverses fractions de la bourgeoisie, ce qui n’était pas le cas.

QUE SIGNIFIE CET AFFRONTEMENT

Boumédienne était l’arbitre, le pivot de l’équilibre entre les diverses fractions. Par la bataille pour la révolution agraire, il perdit peu à peu cette position d’arbitre. Août 74 signifie que des fractions importantes du pouvoir contestent le rôle dirigeant qu’il a actuellement.

OU EN EST-ON AUJOURD’HUI

– Il y a eu un compromis. Boumédienne étant estimé indispensable dans le rapport de forces actuel.

– Sur les CAPCS et l’OFLA un compromis est trouvé … qui consiste à enterrer les CAPCS.

– Le nouvel équilibre est traduit par l’installation des préfets, etc… par des représentants des deux fractions.

Mais la « polémique » continue. Les journaux renferment d’une part des attaques contre les sociétés nationales, d’autre part contre les mandataires privés.

OU VA LE REGIME ALGERIEN

L’équilibre de la bourgeoisie autour du bonaparte Boumédienne est compromis. Appuyé par la bourgeoisie libérale, soutenu par une campagne politique de plusieurs mois, Bouteflika conteste le rôle dirigeant de Boumédienne et sa politique. Sa nomination à la présidence de la 23ème session de l’ONU lui donne une stature encore plus importante. Le système bonapartiste est mal en point. Boumédienne, quant à lui, lance des appels de plus on plus pressants aux militants du parti… Cela prend évidemment un contenu grotesque : « Il y aura une révolution socialiste en 1975 » ce sera décidé par décret.

Pour le 1er novembre 1974 Boumédienne comptait organiser la promotion d’officiers supérieurs (de nouveaux colonels…). Il est probable qu’à court terme devra cesser cet équilibre instable, un affrontement clarificateur, ou une réorganisation.

Est-ce pour le 1er novembre ?

Laisser un commentaire