Editorial de Charles Paveigne paru dans La Cause du communisme, n° 9, 2ème trimestre 1985, p. 4-7

Ce numéro de la Cause du Communisme poursuit notre réflexion sur la crise que traverse le monde capitaliste contemporain, en l’élargissant au champ politique.
Notre dernière parution abordait en effet essentiellement les bases économiques de la crise. Bien que cet aspect de l’analyse soit loin d’être épuisé, et, qu’au contraire, de nombreuses questions nous aient été posées pour éclairer tel ou tel point de ce premier exposé, nous avons estimé qu’il était nécessaire de commencer à tracer immédiatement un lien entre les aspects économiques et les aspects politiques de la crise.
Non seulement parce que des évènements comme la faillite massive et
spectaculaire de la gauche (analysée « au jour le jour » dans le journal Pour le Parti) ou « l’effet Le Pen » et le développement d’une droite fascisante nous y pousse. Mais surtout parce qu’on ne peut comprendre la crise que comme celle d’un système qui forme un tout. Tout : le monde entier est touché. Tout : le capitalisme n’est pas seulement un rapport d’exploitation ou un taux de profit. C’est, bien plus fondamentalement, un rapport entre des hommes, des classes. Et, déterminés par ce rapport d’exploitation et d’aliénation, des idées, des lois, des partis, des formes d’Etat, une culture, bref tout un appareil idéologique et politique. Et c’est l’ensemble de cela qui est en crise, qui détermine les caractères de la crise.
La crise amène les classes, toutes les classes, à rechercher des voies nouvelles et de nouvelles idées, ou prétendues telles, pour un nouveau système puisque les anciennes ont fait faillite. Les gestionnaires et partis traditionnels du capitalisme sont déconsidérés par leur incapacité, ridiculisés par la fatuité de leurs discours. Le « consensus » républicain, c’est-à-dire l’alliance de classe fondamentale grande et petite bourgeoisie, et son expression politique traditionnelle, le parlementarisme, s’effritent. Plus encore que la grande, la petite bourgeoisie enrage de la crise. Et elle est par nature sensible aux idéologies les plus démagogiques, en même temps que persuadée que sa place intermédiaire lui donne un rôle d’arbitre, de détentrice du « bon sens », de représentant de l’intérêt commun de la grande famille nationale. Bref, qu’il est temps et nécessaire qu’elle rentre directement sur la scène politique pour mettre à la raison ces bourgeois et ces prolétaires qui ne pensent qu’à leurs intérêts de classe égoïstes.
Ainsi, et compte tenu de sa force électorale, son évolution est-elle un facteur important de l’actuel glissement à droite de tous les partis, gauche y compris. La base de ce glissement est que tous n’ont d’autre programme que : « la bonne santé de la France, c’est la bonne santé du capitalisme français ». Donc ils doivent tous mettre en œuvre ses exigences de profit accru. Mais il est accéléré par l’enragement des masses moyennes, si nombreuses dans un vieux pays impérialiste, excitées par les idéologues « libéraux » et fascisants (ce sont les mêmes à ce niveau).
En l’absence d’une force révolutionnaire prolétarienne, seulement à l’état d’ébauche actuellement, ce glissement à droite apparaît comme le phénomène politique dominant aujourd’hui. D’où l’importance de l’analyser pour en saisir les fondements et déterminer si cela change les tâches actuelles du mouvement ouvrier, notamment dans le sens d’une défense de la démocratie bourgeoise.
La gauche ne combat pas la droite. Tout juste se sert-elle de certains
de ses excès les plus évidents comme d’un repoussoir (Le Pen et la torture par exemple). C’est qu’au fond son projet : « le socialisme en politique, le capitalisme en économie » est de type fascisant dans sa logique. D’ailleurs le premier terme de la proposition ne reçoit pas le début du commencement d’une application. A cela rien de très étonnant. Le projet du PC ou du PS est de rétablir la bonne santé du capitalisme français, par le « fabriquons français » ou une « meilleure gestion ». Ce n’est que sur cette base – qui suppose l’exploitation accrue des travailleurs (le chômage, les restructurations, la flexibilité, la chasse aux immigrés, etc …) – qu’ils peuvent promettre « le socialisme en politique », c’est-à-dire plus de richesses à distribuer, ce qu’ils appellent une meilleure « justice sociale ». Avec la crise mondiale même ce pseudo « socialisme » là est impossible, sauf à vaincre tous les concurrents. Et nous disons que le fascisme est aussi ce projet : une nation dominatrice pour la richesse de ses membres (la formule le « national-socialisme » est identique à la précédente). La seule différence est que le fascisme propose de mettre en œuvre, sans attendre, sans fioritures ni états d’âme, les moyens pour y parvenir : état dictatorial, guerre, tandis que la gauche s’effraie parfois elle-même de ce qu’elle doit faire.
Dans cette situation, notre tâche est d’abord de construire et conforter une idéologie capable de combattre sur tous les terrains la démagogie et les mensonges de l’idéologie fascisante, et cela comme nous l’avons dit, la gauche ne peut pas le faire. Prenons l’exemple du racisme. La gauche, en parole, prêche l’égalité, la fraternité. Mais l’égalité pour elle est affaire de discours, de principes humanistes, au mieux d’exhortations curetoniennes à « respecter son prochain ». La gauche proclame l’égalité mais, faute de vouloir et de pouvoir s’attaquer aux fondements capitalistes des inégalités, elle doit s’incliner devant elles et pratiquer les quotas, la chasse aux sans papiers, l’emprisonnement des jeunes prolétaires, etc …
La droite « libérale » et fascisante a, elle, l’astuce de reconnaître, à sa
façon, la réalité, de proclamer que les immigrés sont « différents » et de déformer et exacerber ces différences pour en faire son profit. Notamment pour affirmer que les différences sont toutes fondées sur la génétique, sont d’ordre biologique. Ainsi la place d’un homme dans la société, sa culture, sa façon de vivre, etc … ne seraient que l’expression des particularités de sa « race » et, au sein de celle-ci, de son hérédité, de la nature. Sur ces bases, et par un amalgame superficiel avec le darwinisme dans le règne animal, la lutte entre les races humaines, puis entre les individus au sein de chaque race est érigée comme le principe du progrès, le creuset sanglant et nécessaire pour que se dégagent les plus forts, l’élite, les chefs qui seront les auteurs de ce progrès.
Détruire cette idéologie élitiste et raciste, ce n’est pas se contenter de nier la réalité des inégalités et des différences par la proclamation du principe « les hommes sont égaux » et les belles paroles sur « les droits de l’homme ».
C’est d’abord montrer que cette idéologie ne parle pas un discours vrai sur les races et les inégalités. Les inégalités les plus essentielles, les plus vitales ne sont pas de race, mais de classe. La biologie n’a pas grand chose à voir pour décider qui travaille dans l’atelier, qui dans le bureau a moquette, qui a un travail abrutissant, sans intérêt et qui jouit ou supporte, sans trop de mal, son travail, qui habite la ZUP, qui les beaux quartiers, qui trime et qui profite.
Dans ces conditions, l’égalité est affaire non de proclamation, mais de combat. Encore faut-il savoir pour quoi.
Combat pour obtenir tous les droits politiques et sociaux égaux, notamment le droit de vote pour les immigres. Mais nous savons bien qu’obtenir des « droits » ne change pas vraiment la réalité des différences de classe. Ce serait tout juste un facteur d’unification du prolétariat multinational de France, en même temps que de prise de conscience de la limite de la revendication et des illusions sur les « droits ». En fait, sur ce terrain, la révolution prolétarienne doit poser non pas un droit égal pour des hommes inégaux mais des hommes égaux à l’aide d’un droit inégal.
Les droits égaux (politiques, culturels, sociaux, etc …) n’éliminent pas
non plus, y compris au sein de la classe ouvrière, les différences dites de « race » par l’idéologie dominante. En fait ce sont essentiellement des différences de cultures et de nationalités (d’essence bourgeoise donc). Elles tiennent aux différents stades de développement des nations d’où sont issus les prolétaires travaillant en France, c’est-à-dire aux spécificités géographiques et surtout historiques et sociales – notamment l’impérialisme – qui ont marqué ce développement. D’où, d’une part, le lien évident et nécessaire entre la lutte contre le racisme et pour l’égalité avec celle contre l’impérialisme français et pour le soutien aux peuples opprimés. Et, d’autre part, le fait que ces différences, de caractère essentiellement national, seront dépassées par la lutte pour l’égalité puis la fusion des nations.
Cette perspective est d’autant plus vraie si on tient compte du fait que les différences entre ouvriers de diverses nationalités sont exacerbées par la bourgeoisie sur la base d’une réalité : la concurrence entre ouvriers pour la vente de la force de travail. Supprimer cette concurrence est une nécessité si on veut fonder des relations humaines et fraternelles entre les individus. Ce qui implique la suppression de la vente de la force de travail, donc de la bourgeoisie et des classes fondements des nations.
Suppression des nations et des classes : seul le pouvoir du prolétariat dans tous les pays peut y parvenir. Bien sûr, il y aura alors toujours des noirs et des blancs, comme il y aura toujours des grands et des petits, des rapides et des lents, etc … Mais ce que le prolétariat supprimera, dans sa lutte pour passer du socialisme au communisme, ce sont les différences qui sont fondées sur les inégalités les plus détestables, celles qui dégradent les individus en les réduisant à la situation d’avoir des relations de type animal, de concurrence, de lutte, de haine. Différences entre exploiteurs et exploités, dépossédés et possédants des richesses intellectuelles et matérielles, acheteurs et vendeurs, voleurs et volés, etc … En réduisant à un minimum le travail contraint, en développant la possibilité pour tous d’une activité riche, créative, et libre, le prolétariat ne laissera subsister que les inégalités de dons et de goûts : certains seront plus poètes, d’autres plus scientifiques, d’autres encore plus philosophes ou plus sportifs, etc … Mais ici les différences ne sont plus fondées sur la division du travail, les rapports de classe, bref sur les inégalités issues de la place dans le processus de production ou du développement historique et social des nations. Elles ne sont plus facteurs de concurrence, d’opposition, d’exploitation, de haines. Elles ne sont plus inégalités mais les différentes richesses de chacun, dont personne ne s’inquiète de mesure la valeur ni d’en marchander avec âpreté l’échange et l’apparition car tous en tirent profit librement.
Refermons cette trop rapide parenthèse sur la question du racisme et de l’égalité. Elle avait surtout pour but de montrer que le combat idéologique contre les thèses fascisantes ne peut être mené que sur une base de classe, internationaliste. Et qu’il inclut d’y impliquer les perspectives communistes. Ceci dit le combat idéologique ne suffit pas. Il faut la force et l’organisation tant pour le mener (élaboration et diffusion de l’idéologie) que pour vaincre sur les autres terrains : politiques et militaires.
Car au fond, si le fascisme est bien une expression politique du capitalisme en crise, cela implique que construire une force contre le fascisme, c’est construire une force pour une autre solution à la crise. Force nécessairement indépendante et antagonique de tous les partis impérialistes, du PCF au RPR. C’est contribuer à rendre le plus clair possible pour chacun le choix entre un système qui mène l’humanité à sa destruction ou la destruction de ce système pour créer un monde nouveau.
S’opposer radicalement, c’est commencer à détruire. Et cette démarche
devient vitale pour de plus en plus de travailleurs, tout simplement parce qu’il existe pour eux de moins en moins de place pour une autre attitude que cette « légitime défense » à l’égard du capitalisme. Pour tous ceux à qui la bourgeoisie enlève travail et logement – et pire encore la dignité – tous ceux qu’elle condamne par ses campagnes anti-immigrés, ses quotas, tous ceux que son idéologie raciste et « sécuritaire » met dans la ligne de mire du fusil de n’importe quel BOF ou flic assuré de l’impunité ou qu’elle entasse dans ses prisons, toutes celles (particulièrement ici) que l’extension de la morale fascisante menace dans la liberté de leurs corps et de leur vie sociale, et pour beaucoup d’autres encore, il ne sera laissé d’autres possibilités que de détruire les idées, les lois, les organisations, les forces bourgeoises ou d’être détruits par elles.
Détruire, c’est créer une situation où nos besoins puissent s’exprimer et
commencer à trouver satisfaction. Interdire aux racistes le droit à la parole, les empêcher d’agir, refuser le chômage en occupant les usines sans se soucier de « casser » la production française, refuser la militarisation, les préparatifs de guerre, les interventions armées de l’impérialisme français … autant d’actes parmi beaucoup d’autres qui se manifestent sous nos yeux aujourd’hui comme embryons d’une lutte massive et décidée contre « le glissement à droite » de notre société et expriment des aspirations à d’autres besoins : solidarité, internationalisme, droit au travail et au temps libre, paix, etc …
La voie progressiste et communiste se construira dans la lutte contre la
voie capitaliste et fascisante. Prendre conscience de « l’alternative » est un processus dialectique qui exige de s’attacher à connaître, à analyser, à s’affronter à la voie bourgeoise et à la bourgeoisie pour pouvoir construire, en opposition, la voie prolétarienne. Le premier pas à faire, pour construire une force anti-fasciste, est d’abord de comprendre que le glissement à droite, la fascisation, n’est pas le fait du seul Front National même s’il en est aujourd’hui l’expression la plus achevée. Mais que c’est le fait, à des degrés divers, de tous les partis bourgeois (notamment les « quatre ») parce que ce processus est l’expression idéologique et politique de toute une classe, de tout un système en crise, et non pas un avatar, un excès, une excroissance auxquels pourrait s’opposer une quelconque partie saine, démocratique, de cette classe. Le premier pas c’est de situer le mouvement actuel de la bourgeoisie (et de la petite bourgeoisie) par rapport au mouvement du prolétariat, et non de se limiter aux problèmes du seul prolétariat et à rechercher des solutions immédiates adaptées au cadre capitaliste, des luttes » alternatives » partielles, locales. Analyser les préparatifs et l’ordre de bataille de l’armée ennemie pour préparer et mettre en œuvre les siens.
D’où, d’ailleurs, la nécessité absolue de l’organisation centralisée, du parti. Pour l’analyse et la formulation de la ligne politique, et parce que celle-ci nécessite la connaissance synthétique d’une foule d’informations et d’expériences. Et plus encore parce qu’un Etat-major est indispensable pour unifier, coordonner, diriger habilement tous les aspects du combat et en tirer en permanence les leçons. Luttes idéologiques, politiques et militaires doivent s’appuyer les unes, les autres, avec des priorités diverses suivant les situations. De même pour les différentes phases : préparatifs, mise en route, exécution, ou les différentes formes : pacifiques et violentes, cachées et ouvertes, etc …
Bref, la situation d’aujourd’hui, ce processus de fascisation, ne change finalement rien à notre tâche principale de reconstruire un parti marxiste-léniniste. Elle l’éclaire d’un jour et d’une urgence nouvelle.
Charles Paveigne
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