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Coup de poing : Racistes dans le 15e

Article paru dans CAP, journal des prisonniers, n° 21, 1974, p. 5

« Dans la nuit du vendredi 25 au samedi 26 octobre, une vingtaine de policiers en uniforme et en civil font irruption, à Paris dans un petit café hôtel du 15e arrondissement, fréquenté en majorité par des travailleurs immigrés. Le chef annonce : « Pas besoin de sortir les papiers, on embarque tout le monde ». Nous sommes emmenés à la 8e Brigade territoriale, 21 rue de la Croix-Nivert et groupés dans une même pièce.

Au bout de quelques minutes, un Nord-Africain demande à aller aux toilettes. Les policiers lui répondent par des insultes et des ricanements, et l’enferment dans un cagibi, sous prétexte qu’il est un peu ivre. Quelques minutes s’écoulent, deux policiers s’aperçoivent qu’il fume une cigarette, se précipitent sur lui pour la lui faire écraser. Ils le bousculent et le jettent violemment contre le mur : « C’est interdit de fumer ». Les autres policiers encouragent leurs camarades, en espérant des « événements plus excitants ». Il est à nouveau malmené violemment, puis, ne pouvant plus se retenir, il urine sur le carrelage. Les policiers le jette par terre, lui font essuyer le sol avec sa veste et essaient de lui mettre la tête dans son urine. Le tout accompagné d’injures racistes sur « la saleté de ces mecs-là », « ils vivent dans la pisse », « pires que des animaux », « tu devrais lui faire lécher », etc.

Les personnes présentes commencent à réagir, quelques-uns parlent de porter plainte. Réponse à un Nord-Africain : « Toi, mon fumier, n’oublie jamais tes origines ». Un autre qui essaie d’intervenir est poussé violemment dans le cagibi et, comme il a le bras blessé, on lui conseille d’appeler ça « accident de travail ».

Sous la pression des personnes unies et décidées, les policiers finissent par lâcher prise, mais les insultes racistes continuent bon train. Pendant ce temps, la police opère un fichage systématique, avec fouilles et prise de photographie, ce qui est totalement illégal. On refuse évidemment de nous informer sur l’objet de cette opération.

En ce qui concerne cette affaire précise, les policiers étaient d’autant plus sûrs d’eux-mêmes qu’ils savaient que les travailleurs immigrés ne porteraient pas plainte. Car la police a les moyens de dissuasion efficaces (expulsion, etc.).

Nous apprenons le lendemain qu’il s’agissait d’une opération « coup de poing ». Bien que les buts officiels de ces opérations soient la lutte contre la délinquance, il semble que la police attache surtout de l’importance au fichage « illustré » de la population. »

Politique-Hebdo 2. 9. 74

MERCI AUX GARDIENS DE LA PAIX.

Place Cambronne (15e), dimanche 27 octobre 74, de 21 h. à 23 h., plusieurs cars de police et des policiers en uniforme, sous la direction d’un brigadier, mettent en place un bouclage total de la place et des rues adjacentes ; EN PRINCIPE ? SEULS LES AUTOMOBILISTES sont interpellés, coffres à bagages fouillés ; comme je me plante sur le lieu de l’un des barrages et échange avec les automobilistes et les flics quelques réflexions sur l’illégalité de cette opération (les vérifications d’identité ne sont légales que dans le cas de flagrant délit ou d’enquête judiciaire précise, et, décret-loi discutable et anticonstitutionnel, dans le cadre d’affaires de « drogue »), les policiers m’ordonnèrent de « dégager » ; je n’obtempérai pas, arguant des droits du piéton.

Là où l’opération « Coup de poing » se révèle comme raciste et ratissage anti-immigrés, c’est qu’aucun piéton d’apparence européenne n’est interpellé, même pas moi qui provoque les flics, mais que, par contre, TOUS les piétons d’apparence nord-africaine le sont systématiquement.

A un moment, deux Tunisiens, rentrant tranquillement chez eux, sont interpellés ; l’un a ses « papiers » sur lui et les présente, l’autre, le plus jeune, ne les a pas ; paniqué par le ton brutal des flics, il s’échappe dans la rue Croix-Nivert ; un groupe de flics le poursuit ; il se réfugie dans une ruelle adjacente qui, malheureusement, est déjà bouclée ; un car de police est dépêché sur les lieux, le fuyard est appréhendé ; ayant couru derrière les flics, de peut d’un incident ou de violences, je me place devant la portière ouverte du panier à salade et tends mes « papiers » aux flics en déclarant : « Je vous en fais cadeau, si vous prétendez que ce Monsieur est en infraction, maintenant je le suis aussi, je n’ai plus mes « papiers ». Réponse des flics : « Vous occupez pas d’ça, mêlez-vous de vos affaires », je suis bousculé, le Tunisien est engouffré dans le car et ça démarre.

Je retourne place Cambronne, explique au brigadier que la discrimination raciale dont fait preuve sa brigade, tombe sous le coup de la loi antiraciste de 1972 ; il me répond que « pour les étrangers, ce n’est pas la même chose, on est obligé de les surveiller, etc. » et que « quand à celui qui s’est échappé, c’est bien qu’il a quelque chose à se reprocher … ». Je réponds que si ce jeune homme s’est paniqué, c’est parce qu’il connaît sans doute la réputation des dépôts de police et commissariats français, et la manière dont les Nord-Africains y sont particulièrement « bien traités ».

Ce qui est inquiétant, c’est que les nombreux passants et badauds européens, et les clients des cafés avoisinants, témoins de cette opération qui dura 2 heures, aient trouvé normal que les Nord-Africains, eux seuls, soient interpellés, et pas eux.

Ces faits de discrimination raciale policière doivent être dénoncés, et la lutte contre cette pression policière qui s’accentue depuis quelques jours, pesant de plus en plus sur les travailleurs immigrés dans le 15e, doit s’organiser et concerne tous ceux, militants ou non, Français ou non, qui subissent une répression policière ou judiciaire.

Ces faits (rafles, descentes de police, provocations racistes protégées par la police ou accomplies par elle), bien qu’ILLEGAUX, semblent devenir tellement habituels qu’ils apparaissent comme normaux et pratiquement institutionnalisés aux yeux d’une population « française » frileuse et passive.

Autre fait divers : vendredi soir, le 1er novembre, dans le même quartier, je tombe sur un jeune flic en tenue, armé d’un long bâton noir (1 mètre), qui fait la chasse à un « voleur arabe » ; je lui explique que cette irruption dans notre quartier pacifique, armé de cette façon, est une provocation, et le raccompagne à son car de police ; là, une dizaine de flics, armés eux aussi de ce gros gourdin noir ; je leur dis que c’est un peu moche de leur part d’avoir envoyé dans notre quartier un innocent – provocation sans le savoir -. Alors, ils rembarquent tous et s’en vont.

Tout cela constitue un faisceau de preuves sur la pression raciste qui s’accentue depuis 10 jours, de la part de la police, et qui semble bien viser à lasser les travailleurs immigrés et les obliger à quitter le quartier. Nous sommes de nombreux témoins de ces faits.

P.S. : de nombreux autres faits de collusion racistes-police se produisent en ce moment dans le 15e, faits encore plus graves que ceux dénoncés ici, mais la sécurité de nos camarades immigrés nous oblige à les taire, c’est à ce point !

(faits dont, ainsi que plusieurs camarades, français et immigrés, nous avons été à la fois témoins, victimes et acteurs ces derniers jours).

signé : CAP-15e