Editorial paru dans Lutte ouvrière, n° 253, semaine du 3 au 9 juillet 1973

SOLIDARITE AVEC LA LIGUE COMMUNISTE !
LIBEREZ KRIVINE ET SES CAMARADES !
LA Ligue Communiste est dissoute. Les perquisitions de la police, tant au siège de la Ligue qu’au domicile de ses militants, se multiplient. Alain Krivine, son principal dirigeant, est arrêté et incarcéré. Inculpé au titre de la loi « anti-casseurs », il risque entre un et cinq ans d’emprisonnement et une énorme amende, puisque, d’après cette loi, les dirigeants de la Ligue Communiste peuvent être tenus pour responsables de tous les dégâts occasionnés par qui que ce soit (y compris, bien sûr, la police elle-même) au cours d’une manifestation à laquelle ils ont appelé.
Une nouvelle fois, Marcellin et le gouvernement tentent de frapper, et le plus fort possible, une organisation d’extrême-gauche.
Qu’ils le fassent sous couleur de lutter contre tous les extrémismes, qu’ils le fassent en tentant d’amalgamer le mouvement fasciste Ordre Nouveau et une organisation communiste révolutionnaire, qu’ils ajoutent l’hypocrisie à l’arbitraire ne peut tromper aucun travailleur conscient.
Pour les besoins de la cause de Marcellin, Ordre Nouveau a été mis dans le même sac (ou plutôt couché sur le même décret) que la Ligue Communiste.
Mais le 21 juin, pendant que les nostalgiques de Hitler et de Mussolini pouvaient tenir un meeting raciste en plein Paris sous la protection de la police de Marcellin, cette même police s’attaquait aux manifestants d’extrême-gauche.
Mais c’est le local de la Ligue Communiste qui a été saccagé par les policiers de Marcellin venus perquisitionner. Mais, aujourd’hui, c’est Alain Krivine qui est emprisonné et c’est dans la chasse aux militants de la Ligue Communiste que les hommes du ministre de l’Intérieur sont lancés.
Non, le gouvernement ne tient pas la balance égale entre l’extrême-droite et l’extrême-gauche. Et d’abord parce que prétendre tenir la balance égale entre les tenants du racisme, ceux qui ouvertement prêchent la haine contre les travailleurs émigrés et qui se réfèrent à Hitler et aux nazis, et puis ceux qui protestent contre les agissements fascistes et qui entendent s’y opposer, c’est, dans les faits, prendre position en faveur des premiers, c’est protéger le racisme et le fascisme. C’est ce que font Marcellin et le gouvernement.
Et cela ne peut étonner de la part de ces hommes au pouvoir. Leurs discours du dimanche sont peut-être consacrés à parler de liberté et à flétrir la barbarie nazie mais, dans la pratique quotidienne, ce sont eux qui multiplient les entraves et les tracasseries pour les travailleurs émigrés (comme la circulaire Fontanet) ; ce sont eux aussi qui ont procédé et procèdent en ce moment même à des centaines d’expulsions hors de France d’étrangers coupables d’avoir voulu défendre leurs droits élémentaires contre l’arbitraire des patrons, de la police ou de l’administration ou encore plus simplement parce qu’ils étaient connus comme des militants ayant lutté contre la dictature qui pese sur leur pays.
Cela ne peut étonner, surtout de la part d’hommes politiques qui s’appuient sur une police gangrenée par le racisme, parmi laquelle certains rêvent de ratonnades comme au bon temps de la guerre d’Algérie et n’hésitent pas à frapper et tuer comme ils l’ont fait encore récemment à Versailles où un travailleur algérien a été abattu dans un commissariat. Une police dont bon nombre d’hommes, et notamment de cadres, ont des sympathies fascistes et l’ont montré l’autre soir, à Paris, en faisant une escorte aux nervis d’Ordre Nouveau sortant de leur meeting et en les raccompagnant en grande pompe à leur local.
Non, Pompidou, Messmer, Marcellin et tout le gouvernement ne tiennent pas la balance égale au service des libertés. Ils sont dans le camp des exploiteurs. Ils sont donc dans le même camp que les racistes et les fascistes.
Aujourd’hui, c’est la Ligue Communiste qui est visée par le pouvoir. Mais laisser faire serait, pour tout le mouvement ouvrier, laisser se créer un grave précédent. N’oublions pas l’exemple de la loi anti-casseurs qui fut votée prétendument contre les seuls gauchistes mais qui, maintenant, pend comme une épée de Damoclès sur toutes les organisations ouvrières, sur tous les manifestants de gauche et sur tous les grévistes.
L’interdiction de la Ligue Communiste est une atteinte au mouvement ouvrier tout entier.
Aucun travailleur ne peut rester neutre devant la décision du gouvernement.
Toutes les organisations qui se réclament de la classe ouvrière doivent être aux côtés de la Ligue Communiste.
Solidarité avec la Ligue Communiste !
Libérez Krivine et ses camarades !
APPEL POUR LA CONSTITUTION D’UN COMITE NATIONAL CONTRE LA REPRESSION
Voici le texte d’un appel lancé par un certain nombre de personnalités politiques, artistiques, scientifiques, culturelles pour la constitution d’un Comité national contre la dissolution de la Ligue Communiste.
Lutte Ouvrière apporte tout son soutien à cette initiative.
En dissolvant conjointement Ordre Nouveau et la Ligue Communiste, en les mettant ainsi sur le même plan, le gouvernement veut faire croire qu’il répond aux aspirations d’une grande partie de l’opinion publique.
Il entend traduire des militants politiques, dirigeants de la Ligue Communiste devant la Cour de Sûreté de l’Etat selon la « loi anti-casseurs » et pour « tentative de meurtre ».
Nous considérons qu’il est de notre devoir de dénoncer cette opération. Si le gouvernement avait voulu réellement atteindre « Ordre Nouveau », organisation raciste et néo-nazie, il lui suffisait d’appliquer la loi de juillet 1972 qui réprime les activités racistes et d’incitation à la haine raciale. Loin de le faire, il n’invoque et utilise la loi de 1936 que pour procéder à un amalgame scandaleux destiné à mettre hors la loi une organisation d’opposition à cause de ses dernières campagnes politiques.
Comble d’hypocrisie, l’arrêté dissolvant la Ligue Communiste se garde bien et pour cause de mentionner l’objet de la contre-manifestation du 21 juin : empêcher Ordre Nouveau de tenir en plein Paris un meeting visant à susciter la haine et le mépris à l’égard des travailleurs étrangers et à développer une campagne raciste dont les événements de Grasse montrent la possibilité.
Nous ne sommes pas dupes : la dissolution de la Ligue Communiste témoigne d’un tournant redoutable et signifie une provocation vis-à-vis de l’opinion publique.
Nous exigeons :
– L’abrogation de l’arrêté de dissolution de la Ligue Communiste,
– La levée de toutes les inculpations des responsables ou des militants de la Ligue Communiste et de tous les militants inquiétés à la suite du 21 juin,
– La libération immédiate de tous les emprisonnés politiques et notamment d’Alain Krivine et de Pierre Rousset.
NOUS APPELONS A LA CONSTITUTION D’UN COMITE NATIONAL SUR LA BASE DE CET APPEL POUR ENGAGER LA LUTTE ET FAIRE ECHEC A LA REPRESSION.
Le communiqué de Lutte Ouvrière
Voici le texte du communiqué qui a été diffusé à la presse par Lutte Ouvrière dès l’annonce de la dissolution de la Ligue Communiste :
Lutte Ouvrière proteste vivement contre la mesure gouvernementale interdisant la Ligue Communiste. A l’arbitraire s’ajoute l’hypocrisie puisque cette décision est assortie de l’interdiction d’Ordre Nouveau, alors qu’il y a huit jours ce même gouvernement a mis tous ses détachements de police au service de la tenue du meeting raciste de l’organisation fasciste Ordre Nouveau.
Ce prétendu équilibre dans la répression ne saurait abuser personne. En fait, en prononçant la dissolution de la Ligue Communiste, le gouvernement tente de faire passer sa police pour une victime, alors que ses exactions, ses brutalités, ses passages à tabac, voire ses meurtres, sont tristement connus.
Lutte Ouvrière assure les militants de la Ligue Communiste de son entière solidarité morale et matérielle.
Le 28 juin 1973.
Lutte Ouvrière.
Contre l’interdiction de la Ligue Communiste, solidarité de toutes les organisations de la classe ouvrière
Ce texte est celui d’un tract diffusé dès le vendredi 29 juin dans toutes les entreprises ou existe un bulletin Lutte Ouvrière.
Le Conseil des ministres a décidé de dissoudre la Ligue Communiste, d’engager la chasse à ses militants et de poursuivre devant la Cour de sureté de l’Etat ses dirigeants.
Ainsi donc, ce gouvernement qui, la semaine dernière, avait mobilisé sa police pour protéger le meeting ouvertement raciste de l’organisation fasciste Ordre Nouveau, tire prétexte des affrontements qu’il avait lui-même provoqués pour interdire une organisation révolutionnaire.
Avec une hypocrisie monstrueuse, il ose prétendre tenir la balance égale en frappant de la même interdiction Ordre Nouveau et la Ligue Communiste.
Quelle balance égale ? Les nostalgiques de Hitler et de Mussolini peuvent tenir des discours de haine raciste contre les travailleurs émigrés, en plein Paris, sous la protection d’une police plus nombreuse que les abrutis venus pour écouter les slogans fascistes. La même police, et c’est tout un symbole, peut raccompagner en parfaite entente les nervis fascistes casqués jusqu’à leur local, pendant qu’elle matraque les manifestants antifascistes. Où est la balance égale lorsqu’on frappe de la même interdiction des partisans ouverts de l’infamie fasciste et ceux qui ont protesté contre leurs agissements ? Et ces mêmes hommes du pouvoir font des envolées lyriques pour flétrir en paroles les crimes fascistes, versent des larmes de crocodile sur les millions de victimes de l’ignoble barbarie raciste et font les saltimbanques émus devant les pierres tombales au Mont Valérien ou ailleurs.
Non, le pouvoir ne tient pas la balance égale. Malgré toutes les formules de rhétorique antifasciste, le gouvernement et l’Etat qu’il dirige sont fondamentalement dans le même camp que les nervis fascistes, dans celui des exploiteurs et des privilégiés.
Le gouvernement a donné d’autant plus volontiers satisfaction à la haine anti-gauchiste de sa police que nombre de membres de cette force de répression ne se distinguent des fascistes d’Ordre Nouveau qu’en ceci qu’ils portent l’uniforme de service.
Pompidou et les siens essaient de tenir le beau rôle au-dessus de la mêlée, mais ils s’appuient sur une racaille dont les sentiments sont du côté des nostalgiques de Hitler.
Aucun travailleur ne peut rester neutre devant la décision du gouvernement !
Toutes les organisations qui se réclament de la classe ouvrière, quelles que soient leurs divergences, doivent être aux côtés de la Ligue Communiste !
Elles doivent dénoncer la décision ignominieuse d’un gouvernement qui protège les fascistes et témoigner leur solidarité envers une organisation révolutionnaire victime de la répression !
Le 28 juin 1973.
Lutte Ouvrière.
Quand le PCF et la Gauche organisent la solidarité…
Samedi matin, le « Collectif de défense des libertés » annonçait qu’il avait décidé de tenir un meeting mercredi 4 juillet à 18 h 30 au Cirque d’Hiver, à Paris, pour protester contre la dissolution de la Ligue Communiste. Ce Collectif, rappelons-le, groupe notamment le PCF, le PS, le PSU, les Radicaux de Gauche, la CGT, la CFDT et la FEN.
On ne devrait évidemment qu’avoir à se féliciter d’une telle réaction des organisations de gauche et des syndicats. Venant après la réaction du PCF qui, contrairement à une longue habitude, a protesté contre la dissolution de la Ligue Communiste, cela peut paraître très positif.
Hélas, le bruit court qu’à ce meeting de solidarité, qui les concerne au premier chef, non seulement aucun représentant des groupes révolutionnaires mais même aucun ex-militant de la Ligue n’aurait droit à prendre la parole. La Gauche a décidément une bien curieuse manière d’affirmer sa solidarité !
Cependant, nous demandons à tous nos lecteurs d’engager vivement tous les militants communistes ou cégétistes qu’ils côtoient à se rendre à ce meeting.
D’abord, parce que plus ils seront nombreux et plus, tout de même, une certaine démonstration de solidarité aura été faite envers la Ligue Communiste. Et, malgré les mesquineries et les réserves de leurs dirigeants, tous ceux qui s’y rendront le feront – que Marchais ou Séguy le veuillent ou non pour affirmer une certaine solidarité avec l’organisation révolutionnaire victime de la répression.
Et puis aussi, ils pourront, si effectivement aucun militant de l’ex-Ligue n’a la parole, juger de visu la duplicité de cette Gauche et de leurs dirigeants qui, sous la pression des faits, protestent de leur solidarité mais font tout pour censurer les gens dont le gouvernement a déjà dissout l’organisation.
J. M.
en bref… en bref… en bref…
Halte aux expulsions d’étrangers
Coup sur coup, en l’espace d’une dizaine de jours, deux étudiants étrangers ont été expulsés de France. Mohamed Laribi, de nationalité algérienne, étudiant à l’école d’ingénieurs et moniteur de physique à l’université d’Aix-Marseille, a été place dans un avion en partance pour Alger le mercredi 27 juin. Cheikh Tidiane Fall, de nationalité sénégalaise, a été de la même manière expulse pour Dakar le 20 juin.
Les deux victimes se seraient livrées à des activités politiques ! Récemment, un autre étranger avait été expulsé d’une façon aussi expéditive et arbitraire parce qu’il avait chez lui quelques revues d’extrême-gauche !
Ainsi, sous ce régime de l’éclairé Pompidou, il est réputé que c’est un crime pour un étranger d’avoir des idées politiques, de s’y intéresser, de les défendre. Ou du moins, il est réputé que c’est un crime de ne pas afficher les idées politiques du gouvernement. Car si les expulsions d’étrangers de gauche ou d’extrême-gauche se multiplient, on n’a encore vu personne mis de force dans un avion pour avoir été trouve porteur de La Nation ou être un lecteur assidu de Minute.
Et, pour la sauvegarde de sa sacro-sainte politique, le gouvernement ne craint pas d’aller très loin. Car deux autres procédures d’expulsion ont été engagées : l’une à l’encontre d’un enseignant syrien, l’autre à l’encontre d’un pasteur suisse, responsable à Marseille de la CIMADE (service œcuménique d’entraide). Tous deux avaient pris position en faveur de travailleurs émigrés en lutte. Eh oui ! Etre pasteur, et en outre suisse, ne met pas à l’abri de l’arbitraire policier du gouvernement français, quand on a commis le « crime » d’être membre du Comité de solidarité aux travailleurs émigrés de Marseille !
Contre ces violations répétées des droits élémentaires de la personne humaine, la protestation doit s’amplifier : il n’est pas admissible qu’il y ait deux poids deux mesures, en matière de droits politiques, entre français et étrangers. Exigeons les mêmes droits politiques pour tous !
Fresnes :
Mort d’une fillette de huit ans interrogée par la police
Une fillette de huit ans, Malika Yezid, est morte à l’hôpital de la Salpétrière le 28 juin. Sa mort est due à la brutalité de la police.
Le dimanche 24, deux policiers sont venus dans la cité de transit de Fresnes, où réside la famille Yezid, pour rechercher le frère aîné de Malika, qui fait l’objet d’une mesure de placement par un juge pour enfant de Créteil. Ayant cru voir fuir le jeune, les policiers ont aussitôt accuse la fillette de l’avoir prévenu de leur présence. Ils l’ont alors interrogée pendant un quart d’heure et, d’après les parents, giflée violemment. Celle-ci fut transportée dans le coma à l’hôpital.
La préfecture de police cherche à dégager la responsabilité de ses sbires, en prétendant que ce ne sont pas les flics mais le père de la gosse qui l’aurait frappée parce qu’elle aurait traite les policiers de « sales flics ». Version bien improbable, surtout lorsqu’on connait le comportement des flics vis-à-vis des Nord-Africains, mais qui, de toute façon, ne changerait pas grand-chose.
Ce qui est certain, c’est que c’est l’intervention brutale des policiers et le fait qu’ils aient interroge pendant un quart d’heure cette gosse de huit ans qui sont la cause de sa mort.
Mohamed Boudia assassiné en plein cœur de Paris
Après la mort de Mohamed Boudia, qui suit de près celle d’autres militants et dirigeants d’organisations palestiniennes, chacun se souviendra des déclarations publiques des dirigeants sionistes donnant, de Tel-Aviv, le signal de la chasse, de par le monde, aux cadres des groupes favorables à la résistance palestinienne.
Depuis, les tueurs en service commandé ont frappé. Rien qu’à Paris, deux militants, Hamchari et Basil Kubaissi, ont été assassinés dans les derniers mois. Les meurtriers n’ont jamais été retrouvés bien que la police, après avoir essayé de faire croire à la thèse d’accidents, déclare « poursuivre son enquête ».
Une nouvelle fois, la presse et les autorités ont tente d’accréditer la thèse selon laquelle la victime transportait elle-même un engin explosif et aurait succombe à sa propre maladresse. Depuis, comme lors des meurtres précédents, la version a dû être modifiée. L’OLP a déclaré que Mohamed Boudia était membre du Fath et la thèse de l’assassinat est maintenant quasi officielle. Mais, une fois encore, il serait vain de penser que la police française puisse retrouver les assassins. Les mercenaires de Tel-Aviv disposent, en France, de trop d’appuis, ils entretiennent de trop bons rapports avec leurs collègues français, barbouzes en civil ou en uniforme, pour que l’enquête soit rapidement menée et les responsables interpellés. A sa manière, le pouvoir participe ainsi à l’entreprise d’extermination des militants palestiniens.
A propos du 21 juin …
Une lettre de Henri Weber, directeur du journal « Rouge »
Le 21 juin, neuf organisations d’extrême-gauche appelaient à manifester contre la tenue d’un meeting d’Ordre Nouveau à Paris : meeting ouvertement raciste contre « l’immigration sauvage ». Lutte Ouvrière n’a pas jugé bon de participer à cette initiative.
Aujourd’hui, prenant prétexte des heurts entre manifestants et policiers, Marcellin a décrété la dissolution de la Ligue Communiste et annoncé que des « peines exemplaires » seraient infligées à ses principaux dirigeants.
Le débat est engagé dans la gauche traditionnelle et l’extrême-gauche sur la nécessité et les formes de la lutte contre les groupes fascistes. Il doit être mené sans démagogie moralisante et plus généralement contre l’accentuation de la répression anti-ouvrière.
Ordre Nouveau méritait-il d’être combattu ?
La question ne date pas d’aujourd’hui. Elle s’était déjà posée le 11 mars 1971, quand ce groupe décida de tenir un meeting néo-nazi au Palais des Sports à Paris. A cette époque, Lutte Ouvrière avait déjà refusé de participer à une contre-manifestation unitaire ; pour elle, Ordre Nouveau n’était absolument pas un danger réel : « A l’exception de quelques facultés, en aucun endroit Ordre Nouveau n’ose s’attaquer aux militants de gauche, moins encore aux militants ouvriers ». S’il le faisait, il faudrait riposter énergiquement. Sans cela on en reste à faire de la « gué-guerre », à « faire de la publicité » à ceux qu’on prétend combattre.
Les militants de la Ligue défendaient un point de vue différent : sans partager les effrois des maoïstes qui annonçaient chaque semaine la venue du fascisme en France, ils prenaient au sérieux les activités des groupes d’extrême-droite : certes Ordre Nouveau était un groupe numériquement faible, pratiquement sans assise sociale à la différence du MSI italien, ou du NPD allemand. Mais c’est un des éléments de l’arsenal répressif légal et para-légal dont dispose le pouvoir contre les travailleurs et les révolutionnaires (flics, barbouzes, SAC, CDR, CFT … ). Le gouvernement peut y recourir avec une certaine efficacité – même sans qu’ils soient très gros, surtout si les luttes se développent.
C’est pourquoi la lutte anti-fasciste, l’apprentissage de l’auto-défense ouvrière sont des activités politiquement justifiées, qui tranchent avec l’éducation réformiste et légaliste.
Le durcissement du régime actualise le débat
Devant la montée des luttes sociales, hanté par des difficultés de succession bourgeoise à l’UDR, le gouvernement a réagi par un durcissement très sensible : Druon à la Culture, le légionnaire Messmer Premier ministre, le tortionnaire Bigeard responsable militaire à Paris en sont les vivants symboles. Mais cela se manifeste directement dans la politique patronale et gouvernementale à l’égard du mouvement ouvrier : envoi de plus en plus systématique des flics contre les grèves (comme à Fos ou à Besançon) ; utilisation de commandos de nervis (comme à Peugeot-St-Etienne ou à la Sécurité sociale de Montpellier) ; tentative de légalisation de la CFT, etc.
« En aucun endroit Ordre Nouveau n’ose s’attaquer aux militants de gauche … », écrivait Lutte Ouvrière en 1971. C’était déjà inexact ; cela devient archi-faux : les dernières semaines ont vu se multiplier des attaques fascistes contre des vendeurs de journaux : un militant de la Ligue à l’hôpital à Tours, plusieurs blessés à Nice ; dans le quinzième, à Paris, un militant dans le coma pendant plusieurs jours. Généralement Lutte Ouvrière ne juge pas nécessaire d’en parler. Elle refuse même, dans le 15e de participer à un meeting unitaire de protestation.
« Encore moins aux militants ouvriers » …
Mais dans le commando anti-ouvrier de Peugeot – Saint-Etienne un de ces nervis armés de chaînes de vélo abandonna un tract d’O.N. sur le terrain …
Mais la campagne contre les immigrés n’est pas une intoxication réservée aux petits-bourgeois étudiants.
Les développements récents de la situation rendent l’argumentation classique de LO encore moins opérante.
Comment lutter ?
(trois questions)
1) Se battre pour l’interdiction d’un meeting néo-nazi est-ce redorer le blason de la démocratie bourgeoise ?
Dans sa réponse à la proposition qu’avait faite auparavant la Ligue pour une contre-manifestation unitaire, la direction de LO développait une étonnante réfutation : demander l’interdiction d’un meeting fasciste à Marcellin c’était … risquer de faire passer Marcellin pour un démocrate aux yeux des travailleurs ! … Avec le même raisonnement on pourrait reprocher à ceux qui revendiquent des augmentations de salaires, de semer des illusions sur la « générosité patronale » …
Mais dans le dernier numéro de LO, Sylvie Fréjus va plus loin : pour elle, l’annonce d’une contre-manifestation, c’est du « chantage au désordre » (sic). Ce vocabulaire n’a rien à voir avec celui de la classe ouvrière. L’ordre, c’est l’ordre des Marcellin !
2) Attendre passivement que « la population » comprenne ?
« La population ne comprend pas qu’on puisse interdire à certains, fascistes ou non, le droit de s’exprimer. » Voilà l’argument incroyable développé dans le même article de LO pour justifier son refus de participer à la manif du 21.
C’est l’argument classique des libéraux. Mais les militants de LO, comprennent-ils, eux, ce que ne comprend pas la population ? L’expliquent-ils dans la classe ouvrière ?
Raisonner ainsi c’est, camarades, capituler devant les préjugés légalistes et pacifistes qui expriment la pression de l’idéologie bourgeoise dans la classe ouvrière.
3) Combattre les fascistes, juguler l’intoxication raciste … avec des mots ?
Les révolutionnaires sont encore faibles. Les directions réformistes de la classe ouvrière n’empêchent pas les groupes comme ON de diffuser leurs répugnantes litanies racistes. Peut-on en tirer argument pour justifier sa propre passivité ?
Le 20 juin, le PCF organisait une manifestation pour la « défense des libertés ». Plus qu’une simple opération politique, elle traduisait une réelle inquiétude face au durcissement du régime. Les militants de la Ligue y ont participé, sur leurs propres mots d’ordre. LO s’est tenue à l’écart et a ironisé sur les drapeaux tricolores du PCF …
Le 21 juin, neuf organisations d’extrême-gauche appelaient à manifester contre le meeting d’Ordre Nouveau. LO s’est tenue à l’écart ironisant sur la « puérilité » de ceux qui « attendent de la démocratie bourgeoise qu’elle défende les libertés démocratiques » …
Sa seule réponse a été une vague référence à la nécessité d’une propagande anti-raciste dans la classe ouvrière.
Mais les idées racistes sont souvent portées par des organisations équipées pour les faire passer en pratique, et pas seulement par le contremaitre ou le cafetier du coin … Suffit-il de mots ?
Un bilan critique détaillé du 21 juin devrait être tiré dans l’extrême-gauche, sur la forme de la riposte, ses risques, la façon dont elle a été préparée et contrôlée. Mais encore faut-il s’être entendu AU PREALABLE sur le cadre politique général, et la compréhension de la lutte anti-fasciste.
Riposter à la répression
Ceci dit, quels que soient les désaccords sur la nécessité et la façon de mener la lutte antifasciste, les militants de la Ligue aujourd’hui interdite pouvaient s’attendre à autre chose de la part de LO : après le saccage des locaux de la Ligue par la soldatesque de Marcellin, après l’arrestation – dans des conditions scandaleuses – de Pierre Rousset, toutes les organisations d’extrême-gauche, même l’AJS, ont protesté publiquement. Pas Lutte Ouvrière.
Même après la dissolution de la Ligue, LO a sans doute été parmi les derniers à réagir. La tâche qui lui revenait était pourtant de prendre la tête d’une riposte unitaire contre cette répression dont l’enjeu concerne tout le mouvement ouvrier. Beaucoup ont clairement affirme leur solidarité totale avec les militants de la Ligue face à la répression. Jusqu’à ce jour, LO s’est contentée de protester …
Henri WEBER,
directeur du journal Rouge.
REPONSE ET MISE AU POINT
Il y a quelques reproches sous la plume de Henri Weber qu’il nous est impossible d’accepter car ils constituent une contrevérité flagrante.
Nous aurions été les derniers à réagir ? Le communiqué que nous publions par ailleurs en page 3 et qui a été rendu public immédiatement après l’annonce de la dissolution de la Ligue par le gouvernement fait foi du contraire. De même, et surtout, les 100.000 tracts (dont on trouvera également le texte en page 4) distribués dès le vendredi matin dans des dizaines d’entreprises. Sur ce terrain, qui nous semble justement essentiel, nous avons été non seulement les premiers à nous manifester de la sorte mais même les seuls jusqu’ici, au moment où nous écrivons, puisque, dans les différentes entreprises où existent des militants de Lutte Ouvrière, personne d’autre – ni les différents groupes d’extrême-gauche, ni les organisations de gauche, et en premier lieu le PCF – n’ont jugé bon de s’adresser à l’ensemble des travailleurs pour faire connaître leur protestation contre la dissolution de la Ligue.
Quant à notre solidarité, non seulement nous l’affirmions dans le texte de notre communiqué, mais nous l’avons fait savoir à un certain nombre de militants de l’ex-Ligue Communiste de façon tout à fait explicite. Nous voulons bien croire que les événements expliquent que Henri Weber n’ait pu se tenir au courant des réactions et des positions de Lutte Ouvrière. Le fait qu’il nous ait fait tenir aussi rapidement ce texte prouve pourtant, sans aucun doute, qu’une des propositions, entre autres, que nous avions faites aux militants de l’ex-Ligue Communiste celle de mettre une partie de notre hebdomadaire à leur disposition s’ils pensaient en avoir besoin – l’avait bien atteint. Regrettons donc simplement qu’il n’ait pas reçu en même temps l’expression de notre solidarité (et qu’il ne l’ait pas vue dans notre proposition). Regrettons aussi, même si nous voulons bien encore une fois le comprendre, qu’il n’ait pas jugé bon de s’informer ou pu le faire avant de nous adresser ses récriminations. En d’autres temps, nous ne le cachons pas, nous aurions estimé que Weber connaît suffisamment Lutte Ouvrière pour que le procès qu’il nous fait soit purement et simplement de la mauvaise foi.
Que les choses soient donc bien claires : notre solidarité totale, celle de Lutte Ouvrière comme celle de chacun de ses militants, est acquise aux militants de l’ex-Ligue Communiste. Nous l’avons déjà dit. Nous ne pensions pas que quiconque à la Ligue ait pu jamais en douter. Il paraît que les choses ne sont pas si simples. Nous le redisons donc ici.
En fait, Weber a tenu à profiter de la possibilité que nous lui offrions de s’exprimer par le canal de notre hebdomadaire pour polémiquer avec nous sur l’affaire du 21 juin. Cela le regarde et ne nous gêne pas.
Il nous faut lui dire tout de même que nous pensons que le fait d’être en butte à la répression donne droit pour la Ligue Communiste à toute la solidarité possible de notre part mais nullement à la reconnaissance que la politique suivie par elle était juste. Et puisque c’est de celle-ci que Weber entend discuter, discutons-en.
Ordre Nouveau : un ersatz d’adversaire pour les gauchistes
Oui, nous estimions que la manifestation du 21 juin était erronée. Et nous l’estimons toujours.
Non pas, bien entendu, que nous contestions la nécessité de s’opposer par la violence à la gangrène fasciste, ni le droit des organisations qui se réclament de la classe ouvrière de manifester contre et de s’opposer à une propagande raciste ouverte. Mais parce que se lancer à l’assaut d’Ordre Nouveau n’est pas faire œuvre sur ce plan mais seulement faire croire et se faire croire qu’on le fait. Car, aujourd’hui, Ordre Nouveau ne représente rien.
Ordre Nouveau, c’est quelques centaines d’abrutis, qui sont peut-être capables de se réunir pour écouter des discours racistes mais qui n’ont pas osé se manifester jusqu’ici contre la classe ouvrière. Les exemples donnés par Weber lui-même pour étayer la thèse inverse sont d’ailleurs éloquents. Pour prouver l’importance d’Ordre Nouveau, il en est à citer … le tract trouve sur un membre du commando patronal qui s’est attaqué à Peugeot – Saint-Etienne, ou à faire appel à toutes sortes d’exemples qui concernent toute une série d’organisations de droite ou d’extrême droite … autres qu’Ordre Nouveau lui-même.
Bien sûr, la bourgeoisie utilise, ici ou là, toutes sortes de bandes de nervis pour ses basses besognes. Mais alors, posons le problème de s’opposer à ces bandes-là, là où elles se manifestent !
A Simca, par exemple, un soi-disant syndicat indépendant fait régner la terreur et quadrille littéralement l’usine. Cela dure depuis des années et en permanence. Là, effectivement, nous avons affaire à une bande de nervis armés qui pèse directement sur les travailleurs. Quand la Ligue Communiste, du temps où elle existait, a-t-elle donc jugé bon de s’y attaquer ? Jamais. Et pour cause : parce que, comme tout le monde, elle savait fort bien que cela aurait exigé une mobilisation des travailleurs qu’elle-même, comme toutes les autres organisations révolutionnaires, a toujours été bien incapable de susciter, c’est-à-dire aurait exigé des liens des organisations révolutionnaires avec la classe ouvrière qu’elles sont encore loin d’avoir.
Qui, pour prendre un autre exemple, a réagi à ce qui s’est passé à Grasse, où il y a eu une véritable ratonnade qui a duré pendant des heures dans toute la ville ? Aucune organisation révolutionnaire, et pour les mêmes raisons citées plus haut !
Et puis, n’est-ce pas une véritable plaisanterie que de justifier toute cette campagne et ce fracas contre Ordre Nouveau en prenant prétexte du durcissement des patrons et du gouvernement ? Mais alors, c’est aux patrons et au gouvernement qu’il faut s’attaquer directement ?
En fait, faute de pouvoir s’attaquer aux véritables grives anti-ouvrières, la Ligue Communiste se contente des merles d’Ordre Nouveau. Faute de pouvoir réagir à Simca ou à Grasse, la Ligue monte en épingle ce groupuscule, lui donne une importance qu’il n’a pas. C’est un vieux procédé que de gonfler ses adversaires pour paraître plus fort soi-même. Mais, que cela plaise ou non, c’est effectivement de la poudre aux yeux. Et c’est effectivement faire de la publicité à Ordre Nouveau. Le rôle des révolutionnaires n’est pas de se trouver un ersatz d’adversaires, faute de pouvoir s’attaquer aux véritables ennemis de la classe ouvrière. Il est de travailler à créer pour celle-ci les conditions qui lui permettront de s’en prendre à ses vrais et fondamentaux ennemis.
Bien sûr, la Ligue Communiste a eu quelques militants attaqués. Lutte Ouvrière de même d’ailleurs ; affaires que notre hebdomadaire a relatées en leur temps (mais dont Rouge n’a généralement pas parlé, sans que nous lui en tenions rigueur, ni ne le soupçonnions de tourner le dos à la lutte pour cela).
Cela pose, là où cela se passe, le problème de la protection des militants. L’expérience montre que ce problème est tout à faite soluble … sans avoir besoin d’attaquer la Mutualité.
Quand nous écrivions à la Ligue, il y a quelques jours, que « la seule utilité qu’Ordre Nouveau peut avoir éventuellement pour la bourgeoisie, c’est de permettre aux hommes du pouvoir de se présenter comme les remparts contre tous les extrémismes de droite comme de gauche », nous ne pensions pas que nos craintes se révèleraient si vite fondées, comme l’a prouvé la dissolution de la Ligue.
Quand Marcellin interdit Ordre Nouveau et frappe la Ligue
Effectivement, Marcellin, s’il n’a pas interdit le meeting du 21, a interdit carrément Ordre Nouveau.
Et du coup, il a interdit également la Ligue Communiste. L’opération politique que l’on pouvait prévoir a été menée au-delà même de ce que l’on pouvait craindre. Sous couleur d’impartialité et de s’opposer à tous les extrémismes, Marcellin a pu porter un coup à l’une des plus importantes organisations de l’extrême-gauche révolutionnaire. Nous avons là un parfait raccourci de ce que l’on peut attendre de la démocratie bourgeoise quand elle prend soi-disant des mesures contre le fascisme. Alors, faut-il donc vraiment réclamer de telles mesures ?
Au contraire, si cet exemple peut nous convaincre d’une chose, c’est bien que notre rôle est de travailler à implanter dans la classe ouvrière l’idée que, pour lutter contre le fascisme, elle doit tout attendre d’elle-même, de sa mobilisation, de son organisation et se méfier comme de la peste des soi-disant démocrates qui, sous couleur de s’opposer à la violence et de défendre les libertés, aideront à étrangler la classe ouvrière elle-même …
En attendant, aujourd’hui, il nous faut mener campagne pour démystifier l’opération de Marcellin qui égare même une partie de l’opinion ouvrière, abusée par la fausse symétrie et les discours hypocrites qui renvoient dos à dos les extrémistes de droite et de gauche.
Cette campagne d’explications, là où nous sommes et avec nos forces, nous l’avons entreprise, preuve que nous ne cédons nullement aux pressions pacifistes ou légalistes et que nous n’attendons pas passivement que la population comprenne ; preuve aussi, soit redit en passant, que nous n’attendons pas les rappels à l’ordre de Weber pour affirmer publiquement notre solidarité avec la Ligue Communiste.
Mais que les révolutionnaires en soient aujourd’hui à devoir faire campagne pour dénoncer la fausse impartialité de Marcellin et s’efforcer de démontrer comment un gouvernement soi-disant démocratique, sous prétexte de frapper aussi les fascistes, s’attaque en réalité à une organisation révolutionnaire, montre que, lorsqu’on adopte une tactique fausse, des objectifs erronés et des moyens qui ne conviennent pas, on aboutit surtout, même avec la meilleure volonté du monde et la plus grande envie de s’opposer au fascisme, à accroître la confusion politique.
C’est pour notre part, le bilan que nous tirons du 21 juin.
Jacques MORAND.
Echange de lettres Ligue communiste – Lutte Ouvrière
LA LETTRE DE LA LIGUE COMMUNISTE
Voici la lettre que la Ligue Communiste nous avait fait parvenir pour nous proposer de lancer un appel à l’interdiction du meeting d’Ordre Nouveau, et d’envisager une contre-manifestation.
Chers amis et camarades,
Vous savez sans doute que le mouvement néo-nazi Ordre Nouveau vient de commencer une campagne contre « l’immigration sauvage ». Cette campagne doit se conclure par un meeting le 21 juin salle de la Mutualité.
Il ne nous semble pas possible que puisse être toléré à cette occasion l’étalage d’une propagande ouvertement raciste et xénophobe d’autant plus inquiétante que les travailleurs immigrés, déjà menacés par la circulaire Fontanet, en sont la cible principale.
Nous vous proposons donc une riposte commune contre cette propagande fascisante, qui pourrait prendre plusieurs formes :
Un appel à l’interdiction du meeting du 21 juin.
Le dépôt d’une plainte pour infraction aux lois anti-racistes.
Nous vous précisons que dans l’hypothèse où le pouvoir tolèrerait malgré tout la tenue de ce meeting, nous sommes favorables à une contre-manifestation le jour-même.
Pour envisager toutes les modalités de la riposte, nous proposons la tenue d’une réunion unitaire le
Au cas où vous ne pourriez y participer, soyez assez aimables de nous téléphoner.
Nous pensons que l’unité la plus large des anti-fascistes doit être réalisée face à une telle campagne.
Recevez, chers amis, chers camarades, l’expression de nos salutations révolutionnaires.
Pour le B.P. de la Ligue Communiste,
Lettre envoyée à : AMR, AJS, CDP, CIC, LO, ORA, PCF, PSU, Révolution !, LICA, MDPL, MRAP, OJR, UEJF, CFDT, CGT, FEN, SNES, SNE-Sup., Ecole Emancipée, Libération, Politique-Hebdo, Témoignage Chrétien.
LA REPONSE DE LUTTE OUVRIERE
Voici la lettre que nous avions envoyée à la Ligue Communiste en réponse à sa proposition.
Chers camarades,
Nous avons bien reçu la lettre-circulaire en date du 12 juin, que vous nous avez adressée ainsi qu’à bon nombre d’autres organisations, et nous invitant à envisager en commun une riposte à la campagne d’Ordre Nouveau contre l’ « immigration sauvage ».
Il ne nous semble pas possible de donner suite à vos propositions et cela pour les raisons suivantes.
Vous nous proposez d’obtenir l’interdiction du meeting prévu par Ordre Nouveau le 21 juin, ou alors d’organiser une contre-manifestation qui, selon toute vraisemblance serait une réédition de l’affaire du Palais des Sports du 9 mars 1971. Vous connaissez le jugement négatif que nous avons porté sur l’attitude des groupes révolutionnaires à ce propos. Ce jugement est toujours le nôtre.
D’autre part, croyez-vous sincèrement que le rôle des révolutionnaires soit de demander au gouvernement de sévir contre les fascistes ? S’il y avait une menace fasciste (et s’il n’y en a pas toute cette agitation n’est que de la poudre aux yeux) pensez-vous qu’il soit juste de faire appel à Marcellin pour l’écarter ? C’est pourtant ce que vous faites – que vous le vouliez ou non, – en réclamant l’interdiction de ce meeting.
La pire illusion pour le mouvement ouvrier a toujours été de faire confiance à la démocratie, et aux gouvernements démocratiques, pour se défendre contre le fascisme. C’est l’une des plus grandes trahisons de la social-démocratie, au temps où elle constituait le courant ouvrier majoritaire, en Allemagne, en Italie ou ailleurs, que d’avoir fourvoyé la classe ouvrière dans cette voie funeste. Seule la mobilisation révolutionnaire des travailleurs, et leurs luttes peuvent les préserver de la menace fasciste. La tâche des révolutionnaires est de répéter inlassablement cette vérité première en œuvrant sans relâche à écarter toutes les illusions qui peuvent exister dans les rangs ouvriers eux-mêmes sur cette question, et, bien sûr, à agir en toutes circonstances, les petites comme les grandes, pour aider à la prise de conscience dans ce sens des travailleurs. Par votre démarche et votre appel à l’interdiction, vous n’y contribuerez guère.
Cette interdiction, il est certes possible que vous l’obteniez. Ce gouvernement (qui n’est qu’un avatar de ceux qui l’ont précédé) a déjà interdit d’autres meetings fascistes, Marcellin peut très bien, une nouvelle fois, prendre prétexte des troubles que le meeting du 21 risque d’occasionner pour l’interdire, ainsi d’ailleurs, bien entendu, que l’éventuelle contre-manifestation de gauche. Aujourd’hui les groupes fascistes ne représentent rien, n’ont aucun poids réel ni politique ni organisationnel. La seule utilité qu’ils peuvent avoir éventuellement pour la bourgeoisie c’est de permettre aux hommes au pouvoir de se présenter comme les remparts contre tous les extrémistes de droite comme de gauche.
Pensez-vous qu’une telle interdiction serait une victoire pour les révolutionnaires et pour la classe ouvrière ? Quel résultat aurait-elle donc, autre que de présenter Marcellin-la-matraque comme un garant de la démocratie, le gouvernement qui compte Fontanet dans ses rangs comme le protecteur des droits des immigrés, et même, au pire, une petite bande de crapules racistes comme des victimes sinon des martyrs ?
Quant au poids d’une telle interdiction pour empêcher le développement du fascisme, il ne vaut même pas la peine d’en parler. Vous savez comme nous que la force des groupes fascistes qui trouvent aide et protection dans la police, l’armée et l’appareil d’Etat démocratique n’a jamais été entamée le moins du monde par ce genre de mesures censées les frapper. D’ailleurs Ordre Nouveau, alors sous l’étiquette d’Occident, n’a-t-il pas été interdit il y a quelques années ?
Pour l’instant il n’y a pas de menaces fascistes dans ce pays. Elle peut certes naître et grandir très vite. Mais notre rôle n’est pas de crier au loup sous prétexte qu’un jour il peut surgir.
Bien sûr, ici ou là quelques abrutis d’Ordre Nouveau se livrent à une attaque contre les vendeurs de la presse révolutionnaire ou des militants isolés. A cela il convient sans aucun doute, de trouver la riposte adéquate. Mais ce n’est certainement pas une campagne à grand fracas visant à faire interdire un meeting qui sans elle serait passé inaperçu et ne peut qu’aboutir à faire une publicité à Ordre Nouveau, hors de proportion avec ce qu’il est et ce qu’il représente.
Quant aux droits des travailleurs immigrés, c’est par Marcellin, qui a fait expulser des centaines d’étrangers, ou Fontanet auteur de la trop fameuse circulaire, qu’ils sont mis en cause et menacés actuellement. C’est pourtant à un gouvernement qui compte ces gens-là dans ses rangs que vous demandez de se transformer en protecteur des immigres en interdisant le meeting d’Ordre Nouveau. Quel sens cela a-t-il ? Que pouvez-vous en attendre d’autre que la plus belle confusion ?
La défense des droits des travailleurs immigrés passe d’abord par la lutte contre toutes les attaques, les brimades, les vexations, les entraves et les restrictions du pouvoir actuel. Elle passe par la mobilisation des travailleurs français et immigrés pour ces droits. Elle passe enfin par la lutte quotidienne dans les entreprises, les quartiers, les syndicats, contre toutes les formes, ouvertes ou insidieuses de racisme.
C’est là, certes, une lutte moins spectaculaire et moins voyante. C’est pourtant celle-là qu’il est nécessaire d’entreprendre, celle-là qui correspond aux besoins des travailleurs immigrés et français.
Dans ce contexte les actions que vous nous proposez ne peuvent qu’obscurcir les problèmes, entraîner la confusion politique ou détourner les militants révolutionnaires de leur véritable tâche.
Nous ne pensons donc pas devoir répondre positivement à votre proposition.
Veuillez recevoir, chers camarades, l’expression de nos salutations communistes.
Le 16 juin 1973.
Lutte Ouvrière.
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