Article signé B. Landau paru dans Le Réveil des jeunes, organe de la jeunesse socialiste juive « Bund », nouvelle série, n° 36, 1er août 1946, p. 1 et 3

L’ATTENTAT récent au Quartier Général Britannique à King David Hôtel à Jérusalem a causé une grande émotion, non seulement en Palestine même, mais dans le monde juif et tous les cercles qui s’intéressent à la solution du problème juif. Cet « exploit » terroriste qui coûta la vie à plusieurs dizaines de personnes innocentes a provoqué à juste raison l’indignation générale. Seuls quelques actes isolés de sauvagerie comme celui de jeunes gens jouant des airs de swing pendant l’enterrement des victimes sont à déplorer.
Le terrorisme, comme arme politique est tout à fait étranger aux traditions juives, à l’esprit juif. On dirait que les terroristes de l’ « Irgoun » ont un véritable complexe d’infériorité et veulent à tout prix prouver que nous sommes « comme les autres », capables de lutter avec les armes les plus dangereuses et de ne reculer devant rien. Cette conception dénote un état d’esprit très dangereux et il a préparé dans plusieurs pays, psychologiquement, un terrain propice à l’éclosion du fascisme.
L’histoire juive connaît des milliers d’exemples de résistance passive et active. Les ouvriers juifs en Russie, en Ukraine et on Pologne formaient des organisations d’auto-défense qui savaient rendre des coups vigoureux aux pogromistes. Un simple ouvrier Hirsch Leckert, pour venger ses camarades, tira sur le gouverneur tsariste von Wahl. Mais la terreur comme arme systématique n’était jamais employée par aucune organisation juive même contre les pires bourreaux de notre peuple.
Hitler vint au pouvoir en Allemagne et il instaura le règne de la pire discrimination raciale et de la persécution contre les Juifs, que l’histoire ait jamais connue. En juillet 1936, un journaliste juif, Stefan Lux se tua au palais de la S. D. N. en pleine session pour protester contre l’ignominie des procédés hitlériens et le silence que gardait le monde officiel en négociant toujours avec les assassins. En novembre 1938, un jeune Juif de 17 ans, Grynszpan tira dans l’ambassade allemande à Paris sur le conseiller von Rath et le tua pour protester contre les mauvais traitements dont furent victimes ses parents. En avril 1943, Arthur Zygelbojm, membre du Comité Central du « Bund » se suicida à Londres pour protester contre les massacres du ghetto de Varsovie. Mais même contre les assassins nazis, les Juifs ne passaient pas à la terreur systématique, mais préféraient le suicide en signe de protestation.
Faut-il le faire maintenant contre l’Angleterre ? Le journal palestinien « Haboker » écrit avec justesse :
« Nous sommes dans un cercle vicieux. La politique britannique mène à la répression, la répression engendre des crimes, et ces crimes ne peuvent que provoquer une répression plus impitoyable ».
Rien de plus vrai.
Nous condamnons la politique de la répression de l’administration britannique qui ne résout rien et qui pousse tous les éléments jeunes et actifs en Palestine dans les bras des extrémistes irresponsables de « l’Irgoun » ou de la bande « Stern ». Mais le sionisme officiel, tout en condamnant les attentats et tout en prévoyant leurs conséquences funestes pour la communauté juive de Palestine comme le prouve la citation ci-dessus de « Haboker » ne contribue-t-il pas dans une certaine mesure à créer ce climat terroriste dans le pays ? Tous les journaux sionistes ne parlent-ils pas constamment de la guerre anglo-juive ? Et à la guerre comme à la guerre, tous les moyens sont permis. Ne traite-t-on pas les chefs du gouvernement actuel britannique d’antisémites et ne le compare-t-on pas aux pires bandits nazis ? Qui s’étonnerait donc que les jeunes de l’ « Irgoun » cherchent l’héroïsme en jetant des bombes !
Certes, l’administration militaire et civile anglaise en Palestine, tout en n’étant ni nazie, ni antisémite par principe, est réactionnaire et imbue d’esprit colonialiste. Elle continue selon la vieille maxime romaine à « diviser pour régner » le plus longtemps possible. Il est regrettable qu’un gouvernement travailliste ici comme ailleurs n’ait pas remplacé cette administration, ses hommes et ses méthodes, mais au contraire s’est laissé entraîner dans une politique absurde de représailles policières. Le seul moyen efficace de finir avec le système colonial et le règne de la bureaucratie irresponsable est le transfert du pouvoir dans les mains de l’administration choisie par la population palestinienne elle-même. On peut envisager la gestion commune judéo-arabe sur les bases paritaires ou le partage de la Palestine en deux unités autonomes, juives et arabes, réunies entre elles en fédération.
Mais si on adopte l’une ou l’autre solution, une chose est certaine, elles sont incompatibles avec les prétentions sionistes de faire de la Palestine un Etat Juif. Et aussi paradoxal que cela puisse paraître, les aspirations des sionistes ne peuvent qu’aboutir à la perpétuation du régime actuel contre lequel ils partent en guerre.
La politique sioniste rend non seulement impossible la démocratisation de la Palestine, mais empêche même une solution partielle du problème des Juifs déplacés et de ceux qui ne peuvent ou ne veulent pas rester dans les pays où ils résident. Si le Yichouv palestinien abandonnait son rêve utopique de l’Etat juif et se contentait d’être une communauté autonome au sein de la fédération palestinienne, on ne verrait du côté arabe aucun obstacle à ce qu’elle accueille un certain nombre d’immigrants qui désirent s’y rendre.
Il est bon que le problème de la Palestine soit porté devant l’O.N.U. car l’Angleterre seule n’est pas habilitée à prendre les décisions sur un problème aussi litigieux et concernant les différents peuples. Il faudrait aussi que les autres nations, en premier lieu, les Etats-Unis, prennent leurs responsabilités. Mais il faudrait aussi que le problème juif dans toute son ampleur soit posé devant cet organisme international. La question palestinienne est seulement une petite partie de ce vaste problème et ne peut pas le solutionner. Mande Royder Shaw écrit avec raison dans l’hebdomadaire anglais « Spectator » :
« Nos experts demandent que la Palestine reçoive cent mille immigrants juifs quand nous, (c’est-à-dire la Grande-Bretagne et les Etats-Unis) refusons d’en recevoir. Et je demande encore pourquoi ? Jusqu’ici on ne m’a donné aucune explication. »
Nous pensons que cette question est aussi du ressort de l’O.N.U. et qu’on devrait adopter à l’échelle internationale une législation commune contre l’antisémitisme et la haine raciale. L’organisme international devrait veiller à son application par des mesures de contrôle appropriées. Toutes les lois contre l’immigration devraient être révisées et les personnes déplacées, juives et non-juives devraient avoir la liberté d’aller dans le pays de leur choix. La question juive exige une telle solution internationale et la tâche des socialistes et des démocrates de tous les pays est de lutter pour elle.
B. LANDAU.
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