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Maurice Nadeau : George Orwell

Article de Maurice Nadeau paru dans Combat, 13 juillet 1950, p. 4

Au début de cette année, mourait de tuberculose dans une clinique londonienne George Orwell, l’un des plus importants écrivains anglais contemporains. Nous avions lu de lui, en français, La Vache enragée, Tragédie birmane, Les Animaux partout !

« 1984 », qu’il écrivit au terme d’une vie en grande partie vouée à la Révolution, et que publient aujourd’hui les éditions Gallimard, relève comme Les Animaux partout ! du pamphlet et de la satire. C’est un roman d’anticipation, d’une faconde amère, en définitive plus atroce que drôle, et dont la lecture rendrait incurablement pessimiste si l’auteur n’avait pris le parti d’incliner la réalité qu’il nous montre dans le sens du fantastique. Son imagination se meut dans les limites du vraisemblable et du possible, mais, à la différence d’un Gheorgiu dans La vingt-cinquième heure ou d’un Jens dans Le Monde des Accusés, il n’habite pas le cauchemar dans lequel il nous invite à entrer ; il ne s’installe pas comme eux, avec une sombre délectation, dans le nihilisme ; il fait plutôt penser, prophétisme en moins, au Jack London du Talon de Fer.

C’est dire que, pour lui, si un univers totalitaire et parfaitement inhumain, dont l’épure se construit d’ailleurs aujourd’hui sous nos yeux, possède les plus grandes chances d’être demain le nôtre, il ne passe pas, du moins, les limites du probable.

Orwell ne dit pas : « Tout est perdu », mais « Tout risque d’être perdu », et c’est pour nous mettre en garde contre ce qui nous menace qu’il entreprend de parler ; son pamphlet s’adresse à des hommes qui peuvent encore choisir. Un livre à emporter en vacances, à condition qu’en vacances, on prenne également le temps de méditer.