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La Nation algérienne, mai 1947

La Nation algérienne, organe clandestin de la libération nationale, édition spéciale anniversaire du 8 mai 1945, mai 1947, 2 pages

Le 8 mai 1947 : Journée de deuil national

MUSULMANS ALGÉRIENS !

Votre glorieux parti le P.P.A., a décidé de proclamer le 8 Mai, journée de deuil national. Répondant à son appel pour la commémoration de cette date tragique, vous vous abstiendrez le 8 Mai 1947

1) d’aller dans les salles de spectacles ;
2) d’utiliser vos postes radiophoniques ;
3) de participer à toute forme de réjouissance.

Dans le recueillement et la dignité vous évoquerez la pensée des 40.000 victimes de la barbarie impérialiste. A ce devoir sacré vis-à-vis de tous les martyrs, nul n’a le droit de se soustraire.


ولا تحسبن الذين فتلوا هى سبيل الله أموات بل احيا عندربهم يرزفون

HOMMAGE AUX VICTIMES

Glorieux Morts, Très Chers Compatriotes,

Deux ans se sont écoulés depuis que vous n’êtes plus.

Alors que vous vous apprêtiez à fêter la victoire de la démocratie sur le fascisme, victoire à laquelle notre Patrie a largement contribué, l’impérialisme français vous a traîtreusement massacrés.

Cruellement, sans égard pour votre sexe ou votre âge, il s’est déchaîné sur vous, pillant vos biens, s’emparant de vos richesses, assassinant lâchement femmes et hommes, vieillards et enfants innocents. Vos modestes demeures ont été attaquées, bombardées, incendiées par des barbares sans pitié, et leurs ruines témoignent encore de la sauvagerie inouïe des soudards français.

Deux ans déjà ! Comme les pages de notre illustre histoire, les jours se sont succédés aux jours, tous emplis de combats et de luttes, de peines et de joies, d’angoisses et d’espoirs. Mais le temps, qui efface certaines réminiscences, a laissé intact et brûlant votre souvenir.

Aujourd’hui, l’Algérie entière pleure à nouveau votre perte, et laisse couler ses larmes qui formeront la vapeur d’où surgira la foudre qui anéantira l’impérialisme français.

Aujourd’hui, l’Afrique du Nord s’incline respectueusement devant votre mémoire, et les Arabes de l’univers pensent pieusement à vous.

Aujourd’hui, le Monde Musulman se recueille religieusement devant votre souvenir et évoque avec ferveur ces paroles divines : « Ceux qui sont tombés glorieusement dans la voie de Dieu ne sont point morts ; ils vivent dans l’Au-Delà, jouissant des félicités éternelles. »

Honneur à vous, Disparus qui avez supporté les plus cruelles souffrances, Otages qui avez subi les pires atrocités, Prisonniers décédés en captivité ou froidement exécutés par un brumeux matin, vous tous dont nous ne connaîtrons jamais tous les noms, parce que votre nombre se chiffre par dizaines de milliers. L’Algérie ne vous oubliera jamais, et votre souvenir est gravé pour toujours a côté de celui d’ABD-EL-KADER, de MOKRANI, de BOUMAZA et de leurs valeureux compagnons.

Comme ces derniers, vous avez écrit avec votre sang une page merveilleusement héroïque de l’histoire de notre Patrie.

Par le courage inflexible avec lequel vous avez résisté à l’assaut insensé de l’impérialisme, vous avez révélé au monde la survivance de nos traditions de bravoure et d’héroïsme.

Par votre fière attitude en face d’ennemis impitoyables, vous avez prouvé les qualités martiales qui firent notre historique renommée.

Par votre noble conduite, vous nous aves gagne les sympathies du monde entier. Jamais, au cours du passé, on a éprouvé pour le Peuple Algérien autant de respect et d’admiration.

L’impérialisme français lui-même a été effrayé par votre vaillance. Aucun de vous n’a vacillé, aucun de vous n’a trahi. La ruine et la mort vous ont paru insignifiantes en regard de la honte ou d’une défaillance. Vous n’aves pas hésité à sacrifier vos vies plutôt que de compromettre l’honneur national.

Gloire à vous, nobles victimes, votre grandeur d’âme a rehaussé l’âme de notre Peuple. L’Algérie vous en sera perpétuellement reconnaissante, et nous qui luttons encore, nous nous inspirerons de l’exemple de vos vertus.

Oui, grandis dans la tourmente et ayant trempé notre résolution dans le danger, nous nous conduirons de telle sorte que vous exulterez de la façon dont nous poursuivrons le combat.

Croyez-nous, braves immolés de Stif et de Périgotville, notre lutte ne cessera que lorsque votre pays sera débarrassé, non seulement de l’impérialisme français, mais de tout « Quisling » qui le sert.

Ne désespérez pas, innocents supplicies de Guelma et de Kherrata, le jour viendra où seront jugés les bourreaux qui vous ont torturés, enfumés, brûlés, massacrés.

Dormez tranquilles, héros des Amouchas et de Chevreul, aucun barrage ne sera assez puissant pour arrêter notre volonté d’écraser l’impérialisme qui vous a assassiné.

Reposez-vous en paix, vous tous martyrs de l’Algérie, nous avons prêté solennellement serment de combattre jusqu’au jour où l’aube de l’INDEPENDANCE NATIONALE se lèvera sur vos tombes, glorieuse pour les héros, brillante pour les braves, douce pour toutes les victimes.


Le 8 Mai 1945 !

Le 8 Mai 1945, date mémorable qui évoque à l’esprit des Algériens les souvenirs horribles d’une sanglante tragédie !

Sétif et Guelma, noms de villes où la répression colonialiste s’est exerce avec une sauvagerie sans nom, et dont les massacres sont demeurés les symboles de la tyrannie colonialiste.

L’impérialisme français comptait, par cet ignoble forfait, terroriser le Peuple musulman algérien et briser sa force vive, le P.P.A., qui constituait l’élément moteur du mouvement national algérien.

Avec l’espoir d’arriver à cette fin, l’impérialisme français a exercé une répression barbare, raciste, monstrueuse.

Barbare, par les moyens mis en action pour tuer et massacrer les Musulmans : avions, tanks, canons, bateaux de guerre, mitrailleuses, etc… Si l’impérialisme français avait possédé des moyens plus puissants que ceux dont il disposait en Algérie en mai 1945, il les aurait certainement utilisés sans pitié contre les Algériens.

Barbare aussi, parce que des enfants, des femmes, des vieillards ont été massacrés, leurs habitations volées, brûlées, saccagées.

Cette répression a été raciste parce qu’elle a été dirigée uniquement sur les Musulmans. L’Arabe était devenu l’ennemi n° 1 qu’il fallait abattre, et dans les régions où l’hystérie colonialiste avait atteint son paroxysme on tirait sur le burnous. Les exploits d’Achiary et des miliciens, brûlant sur le parvis des églises les cadavres des Musulmans fusillés, n’est que la réédition des exploits des croisés et rappellent à plus d’un signe les bûchers de l’inquisition.

Celte répression a été monstrueuse par l’étendue énorme du massacre qui atteignit le chiffre de 40.000 morts. Elle s’est faite sous le signe de la répression collective en honneur chez les autorités françaises depuis l’époque de Bugeaud. Les fours crématoires vinrent ajouter une note sinistre à ce sombre épisode de l’histoire de l’Algérie où l’on peut dire sans exagération aucune que les méthodes hitlériennes ont été dépassées.

Pour 100 Européens tués, 40.000 Algériens fusillés ! 1 pour 400. Les Nazis, au moment où ils occupaient l’Europe, tuaient un chiffre d’otages beaucoup moindre pour chacun de leurs officiers abattus. Après avoir plongé l’Algérie dans un bain de sang, après avoir assouvi ses instincts sanguinaires, l’impérialisme français proclamait dans ses communiqués laconiques : « L’ordre est rétabli ». En attendant, 40.000 Algériens gisaient, frappés par les balles de l’impérialisme assassin ; des milliers d’autres attendaient leur sort dans les prisons et les bagnes.

L’impérialisme français, par ce crime odieux, escomptait terrifier les Algériens et porter un coup au mouvement national algérien axé sur le P.P.A.

L’impérialisme français a raté son but. Il n’a pas réussi à détruire chez les Algériens l’esprit d’indépendance L’esprit d’indépendance, qui les a de tout temps animés, qui a animé les armées d’Abdelkader dans leur lutte farouche et opiniâtre contre les envahisseurs français, qui a animé les soldats et les guerriers de Mohamed El Mokrani au cours de la grande révolte de 1870 des Algériens contre le joug impérialiste, cet esprit d’indépendance qui les anime aujourd’hui derrière la grande figure de Messali Hadj et son glorieux parti, le P.P.A., restera toujours vivant en eux. L’impérialisme français ne réussira à le détruire.

Ni les canons, ni les tortures, ni la prison ne feront fléchir la volonté farouche et déterminée des Algériens de conquérir leur indépendance et leur liberté.

Le sang de nos frères et de nos sœurs qui a coulé en mai 1945 n’a pas coulé en vain. Le Peuple Algérien s’en souviendra. Le Peuple Algérien n’oubliera pas ses martyrs, victimes d’une lâche répression. Chaque année, désormais, le Peuple Algérien commémorera la journée du 8 Mai comme une journée de deuil national. Il évoquera le souvenir de tous ces morts, dans le recueillement et le calme, en s’engageant à poursuivre inlassablement la conquête de l’Indépendance et de la Liberté de l’Algérie.


SCENES DE MAI

De l’abîme de Chevreul aux fours à chaux d’Héliopolis

Des actes d’une sauvagerie sans nom, qui ne peuvent s’expliquer que par la haine raciale, ont été commis en Mai 1945.

Citons en exemple l’exécution des milliers de Musulmans à Chevreul. Rassemblés au-dessus du ravin, par groupes de 40 à 50, ils étaient mitraillés et précipités dans le vide. Ils allaient s’écraser et s’entasser au fond de l’abîme jusqu’à former une hauteur de près de 6 mètres.

Comme au moyen âge, les soudards de l’armée vivaient sur l’habitant.

Au village de Tarkount, les habitants d’une maison furent obligés à préparer le repas de la troupe. Après avoir mangé, les soldats tuèrent les maris dans la cour, sous les regards des épouses terrifiées dont ils abusèrent par la suite.

A Oradour sur Glane, on n’a pas fait mieux.

Au douar Tella une tente de nomades s’était dressée quelques jours avant le 8 Mai. Un tank qui passait sur la route la mitrailla, puis pour parfaire son œuvre, il passa à deux reprises sur la tente, réduisant en bouillie les occupants au nombre de dix, dont deux femmes et six jeunes enfants.

C’est à Guelma que la folie du meurtre collectif a atteint son paroxysme. Achiary à qui Lestrade-Carbonnel avait téléphoné « Tapez Dedans », dirigeait lui-même la répression.

Les milices qu’il avait formées avec Garrivet, maire socialiste de Guelma, pénétraient dans les maisons arabes, enlevaient les habitants et les amenaient sur la route du cimetière de Hadj Embarek au début, puis aux fours à chaux d’Héliopolis. Et ils étaient exécutés puis incinérés dans les fours crématoires, selon les méthodes hitlériennes.

A Villars, Achiary, Torquemada moderne, fit arrêter sept musulmans et à titre d’exemple les aligna contre un mur et les fit fusiller dans le dos.

Les corps des victimes furent arrosés d’essence et brûlés en présence de centaines de musulmans qu’il avait convoqués et des européens à qui il disait : « Vengez-vous, messieurs les colons. »

Où est la haine ? De quel côté dispose-t-on de la liberté d’assassiner dans ce pays, où la vie d’un musulman compte moins que celle d’un animal ?

Varsovie et ses charniers, Dachau et Buchenwald n’ont rien à envier à Guelma, à Kherrata, à Sétif.

Mais en Europe, les bourreaux paient leurs crimes. En Algérie comme toujours, la justice s’est exercée à rebours.

Pour justifier ces crimes et ces forfaits, des milliers de musulmans furent arrêtés et condamnés par des « juges » qui « frappaient fort » pour imposer le respect de la « souveraineté française. »

Tandis que Achiary décoré occupe une haute fonction, Lestrade-Carbonel est conseiller général de la République Française, et les miliciens continuent à jouir en toute quiétude du fruit de leurs rapines.

Tous les assassins sont en liberté.

Justice ! crient tous les morts de Mai 1945.