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Marcel Lapierre : Un écrivain de couleur, Langston Hughes

Article de Marcel Lapierre paru dans Le Peuple, 18 juillet 1934, p. 4

Voici, après Claude Mac Kay, un nouvel exemple de l’intéressante littérature des nègres d’Amérique.

Langston Hughes est âgé de trente-deux ans. Fils d’un avocat et d’une institutrice, il est né dans l’Etat de Missouri.

Son existence est assez curieuse.

Il a passé sa première enfance dans plusieurs villes des Etats-Unis. Etudiant à l’Université de Columbia, il quitta cette école dans un mouvement écœuré et il parcourut le monde … Il voyagea aux iles Canaries, aux Açores, en Afrique occidentale, puis en Europe.

Traînant sa misère à Paris, il trouva un emploi de portier dans une boîte de nuit. Plus tard, il travailla dans un établissement de bains à Gênes. Il réussit à s’embarquer, marin de fortune, sur un navire en partance pour New-York. De retour en Amérique, il fut garçon d’hôtel à Washington, puis reprit ses études dans un « collège noir » de l’université de Lincoln.

Après avoir reçu son diplôme de bachelier, il s’occupe de théâtre.

Cependant, avant tout, Langston Hughes est un écrivain.

Léone Louis nous le révéla, il y a trois ans, en traduisant pour Nouvel Age quelques extraits de ses recueils de poèmes The Weary Blues et Fine Clothes to the Jew.

Il était impossible de ne pas être frappé par ces poèmes qui disaient en peu de mots la détresse du nègre américain :

Nous crions parmi les gratte-ciel
Comme en Afrique nos ancêtres
Criaient parmi les palmiers.
Parce que nous sommes seuls,
C’est la nuit,
Et nous avons peur.

En d’autres vers, Hughes s’ecriait :

Tous les tambours des jungles roulent dans mon sang,
Et toutes les lunes sauvages et brûlantes des jungles
Brillent dans son âme.
J’ai peur de cette civilisation
Si dure !
Si forte –
Si froide.


Langston Hughes a écrit un roman : Not Without Laughter qui vient d’être publié, traduit en français par Gabriel Beauroy, sous le titre de Sandy. (1)

Il est probable que ce récit de la vie d’un jeune nègre est en grande partie autobiographique. Tout y est présenté avec une telle simplicité précise, qu’on sent l’auteur vivant parmi ses personnages.

Dans Sandy, on trouve certainement moins de « métier » que dans les ouvrages de Claude Mac Kay. On découvre moins l’écrivain que l’homme.

Si Langston Hughes peint plusieurs types parfaitement vivants (toute la famille de Sandy), ce n’est pas pour nous faire admirer son talent descriptif : c’est pour situer les différentes mentalités des noirs, pour opposer sa génération, intellectuelle, et révoltée, aux générations d’hier, conformistes et résignées.

La grand’mère de Sandy, Hager Williams, est une blanchisseuse elle travaille pour les blancs sans se plaindre ; la mère de l’enfant, Angelica, est cuisinière : elle partage la mentalité de la vieille.

La blanchisseuse a deux autres filles : Harriett, qui ne veut pas être exploitée par les blancs et qui devient une chanteuse de blues ; Tempy, qui a épousé un nègre fonctionnaire et qui fait partie de l’aristocratie noire de Stanson (Kansas).

Le père de Sandy, Jimboy, est un nomade qui cherche toujours à travers les Etats-Unis un patron qui veuille bien employer un nègre.

En racontant la vie de Sandy à l’école et en apprentissage, Langston Hughes s’attache surtout à montrer les injustices et les vexations dont souffrent les nègres américains. Sans avoir l’air d’exposer une doctrine, le romancier prouve que les noirs méritent un tout autre traitement, qu’ils n’ont pas à figurer, chez l’oncle Sam, en citoyens de dernier ordre.

Dans une sorte de manifeste littéraire, Hughes a proclamé :

« Nous, créateurs de la nouvelle génération nègre, nous voulons exprimer notre personnalité noire sans honte ni crainte. Si cela plaît aux blancs, nous en sommes fort heureux. Si cela ne leur plaît pas, peu importe. Nous savons que nous sommes beaux. Et laids aussi. Le tam-tam pleure et le tam-tam rit. Si cela plaît aux « colored men » nous en sommes heureux. Si cela ne leur plaît pas, leur mécontentement ne nous importe en rien. »

Sandy, excellent roman d’une enfance sans joie, illustre fort bien cette déclaration. Langston Hughes demande en somme à ses frères noirs d’avoir le courage de leur couleur et de considérer qu’ils ne sont pas sur terre les perpétuels pantins ou les éternels domestiques des blancs.

Ce livre a été traduit en plusieurs langues. Ce fait, entre autres symptômes de l’extension de la « littérature noire », indique que les nègres peuvent s’élever bien au-dessus du niveau que leur a fixe l’Américain moyen.

Marcel LAPIERRE.


(1) Un vol. 15 fr. Edit. Rieder.