Déclaration de Messali Hadj du 7 janvier 1944 reproduite dans La Lutte anticolonialiste, n° 2, avril 1946

Monsieur le Président de la Commission des Réformes,
Messieurs les Membres,
Avant d’aborder le sujet pour lequel je suis ici, je veux remercier infiniment la Commission qui me fait l’honneur aujourd’hui de me permettre de m’exprimer, après mon retour d’Aïn Salah, sur les revendications musulmanes à l’ordre du jour.
Au moment où la Commission va procéder à l’examen approfondi des aspirations des populations musulmanes, il est de mon devoir en qualité de Président du P.P.A., qui représente la majorité de l’opinion publique, de vous dire comment nous envisageons la solution du problème algérien.
Il ressort du discours prononcé le 12 décembre 1943, à Constantine, par M. le Général de Gaulle, au point de vue des revendications musulmanes, un projet « Viollette » sensiblement amélioré. Tout en restant fidèle au programme du P.P.A. déjà plusieurs fois exprimé, je tiens à remercier sincèrement M. le Président du C.F.L.N. qui a prouvé dans ce discours l’intérêt qu’il portait aux affaires musulmanes dans ce pays.
En 1937, le projet Viollette semblait avoir divisé l’opinion publique musulmane ; en réalité, ses chands partisans hésitaient au fond de leur pensée, il y avait cet acquiescement de l’espoir et l’incompréhension. Aujourd’hui, il n’en est plus de même, il y a, il faut le reconnaître, un changement dans les esprits qui se traduit par une évolution politique fort remarquable. En ce qui nous concerne, nous sommes toujours opposés au projet Viollette de 1937, comme à celui de 1940 pour les raisons suivantes :
Parce qu’il est anti-démocratique, il crée une catégorie de privilégiés et maintient la grande masse toujours soumise à la politique coloniale ; d’autre part, ce projet est contraire aux aspirations du peuple musulman algérien qui reste fidèlement attaché à sa langue, à sa religion, à son passé historique.
A la place de la politique d’assimilation qui s’est révélée inopérante, parce qu’illogique, une politique d’émancipation s’impose naturellement pour résoudre le problème algérien ; une telle initiative, prise par le gouvernement, trouvera dans les circonstances actuelles, sinon l’unanimité, du moins une écrasante majorité de la population musulmane.
Messieurs, nous vivons une époque troublée, les musulmans algériens sont profondément mécontents du régime colonial qu’ils subissent depuis un siècle, les musulmans algériens ne veulent plus être traités en hommes inférieurs vis-à-vis des autres minorités qui vivent heureusement en jouissant de tous les avantages ; les musulmans algériens demandent avec ardeur de jouir de la citoyenneté algérienne leur garantissant le respect de leur langue, de leur religion, de leurs droits politiques, sociaux et économiques, pour leur émancipation. C’est ainsi que le musulman algérien conçoit la démocratie, les libertés de l’homme et du citoyen, et la liberté des peuples à disposer d’eux-mêmes.
Dans un pays comme l’Algérie, où se coudoient plusieurs races et plusieurs religions, on ne peut, sans tourner le dos à la démocratie, continuer à écarter, par un système politique colonial, 8 millions d’Arabes de la gérance de leur pays, au profit d’une minorité qui détient entre ses mains, aujourd’hui, toute la direction du pays.
Pour mettre fin à tout cet état de choses, cause de tout malaise algérien, et qui pèse lourdement sur le moral du peuple musulman, je demande la démocratisation de toutes les assemblées algériennes et la transformation des délégations financières en un parlement algérien élu au suffrage universel sans distinction de race et de religion.
Dans ce parlement trouveront place, sur le pied d’égalité, Arabes, Européens et Israélites, et tous fraternellement unis travailleront, chacun selon ses capacités, pour une Algérie libre et heureuse. Tous iront au-devant de l’avenir avec un esprit nouveau, laissant ainsi derrière eux toutes les anciennes routines, l’égoïsme et la haine qui ont cruellement éprouvé notre beau pays.
Lorsque nous formulons de telles revendications, nous ne demandons pas l’impossible, simplement nous désirons normaliser une situation de fait qui, malheureusement, a tenu à l’écart les musulmans algériens jusqu’à ce jour. Cela est tellement vrai que lorsqu’on jette un coup d’œil sur l’administration algérienne, on constate immédiatement l’existence d’un état algérien avec son parlement qui sont les délégations financières, jouissant d’une autonomie financière, avec son Sénat qui est le Conseil supérieur, qui ratifie, en somme, les décisions prises déjà par le Parlement.
La France, nation protectrice et émancipatrice, qui aura dans son sein, élevé, éduqué, œuvré pour l’émancipation du peuple algérien, aura non seulement gagné entièrement le cœur de 8 millions de citoyens algériens, mais encore ce geste renforcera son prestige et sa puissance dans le bassin méditerranéen et du même coup lui gagnera l’amitié sincère et agissante du Maroc, de la Tunisie, du Liban, de la Syrie et du monde arabe.
Et avant de terminer, Messieurs, j’attire votre attention respectueusement sur deux points : 1° Les idées politiques que je viens d’exprimer devant vous ont été déjà soutenues par moi maintes fois devant les Tribunaux de France et d’Algérie, devant lesquels j’ai eu l’honneur de comparaître pour ces mêmes opinions.
C’est vous dire, Messieurs, que je n’ai pas attendu l’armistice de juin 1940 pour manifester mes sentiments à l’égard du problème ; 2° Je prie la Commission de soumettre a la bienveillance du gouvernement un projet d’amnistie générale pour tous les détenus politiques en résidence forcée ou internés. Il est une tradition républicaine en France qui veut que toute réalisation soit précédée par la libération de ceux qui précisément sont allés en prison et souffert pour Elle !
Reibell, le 7 janvier 1944.
MESSALI HADJ, Président PPA,
en résidence forcée à Reibell.

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