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Un message de Messali Hadj au congrès de l’U.S.T.A.

Message de Messali Hadj lu le 30 juin 1957 à Paris, publié dans La Voix du travailleur algérien, n° 5, juillet 1957 ; des extraits ont paru dans Le Monde, 2 juillet 1957

Chers Frères,

Nous publions ci-après le texte intégral du message que Messali Hadj a adressé à notre congrès.

La lecture de ce document a été hachée par des tonnerres d’applaudissements.


A l’occasion du premier congrès de votre U.S.T.A., je suis très heureux de vous exprimer ma joie et mes souhaits de grande réussite pour ces premières assises syndicales algériennes.

Je puis vous dire combien je suis ému en écrivant ce message. Cette émotion est due à la grandeur de cet événement qui se déroule aujourd’hui au cœur même de Paris.

PERSONNELLEMENT, JE CONSIDERE QUE LA CREATION DE CETTE FEDERATION SYNDICALE ALGERIENNE AU MILIEU DU PEUPLE DE PARIS ET DANS LES CIRCONSTANCES ACTUELLES EST UN EVENEMENT AUSSI GRAND ET AUSSI IMPORTANT QUE LA CREATION DE L’ETOILE NORD-AFRICAINE.

Il y a là tout un symbole qui présage un bel avenir de fraternité entre les travailleurs de France et les travailleurs d’Algérie.

La création de la Centrale nationale des syndicats algériens et les assises de votre premier congrès auront sans doute le plus heureux prolongement aujourd’hui et certainement plus encore dans l’avenir.

Les travailleurs algériens qui, déjà sont organisés à raison de plusieurs dizaines de milliers dans l’U.S.T.A., ceux qui après votre congrès vous rejoindront apprendront dans quelques mois que leur œuvre apportera non seulement la joie et le bonheur à nos ouvriers et à nos fellahs mais encore qu’elle aura donné l’outil indispensable à la défense de leurs intérêts, de leur sécurité, de leur existence.

Comme ouvrier travaillant dans les conditions les plus pénibles, vous avez déjà constaté durant votre séjour en France, le contact des ouvriers français, toute la nécessité et l’importance d’un mouvement syndical puissant.

Ceux qui résident en France depuis 1930 ont assisté à de grands événements où le syndicalisme français a joué un rôle déterminant.

En juin 1936, la grève générale des travailleurs français, l’occupation des usines, des ateliers et des grands magasins ont permis aux ouvriers français de réaliser encore de nouvelles conquêtes sociales.

L’U.S.T.A. sera la garantie pour nos travailleurs que leurs salaires, leur dignité seront défendus. Ce moyen de défense servira demain contre une bourgeoisie qui déjà se prépare à frustrer le peuple algérien des fruits de sa révolution.

Le Caïd, le Bachaga, le bourgeois voudront sans doute remplacer le colonialisme, c’est pourquoi l’œuvre d’aujourd’hui représente déjà le moyen de défense pour demain.

Certes, notre centrale syndicale va se trouver en face des difficultés de toutes sortes.

Mais grâce à l’union des travailleurs algériens, à leur vigilance et à leur discipline, je suis certain qu’ils sauront aplanir toutes ces difficultés comme leurs aînés ont aplani les leurs dans les autres domaines de la lutte pour la liberté.

Puis-je me permettre de vous adresser quelques recommandations ?

Je le crois, car moi aussi j’ai été un travailleur, comme vous, j’ai travaillé dans les usines de la région parisienne, j’ai connu ce que peut représenter le dur labeur de l’émigré algérien contraint par la misère et l’étouffante oppression colonialiste de quitter son pays.

Il y a lieu de souligner deux faits :

1° La volonté et l’empressement des travailleurs algériens à se donner un organisme officiel en vue de se défendre ;

2° La force irrésistible de l’adhésion en masse des travailleurs à l’U.S.T.A. Ceci, qui étonne jusqu’à nos amis du monde, démontre nettement qu’il y a là un grand évènement d’une immense portée, tant nationale qu’internationale.

Les débats qui vont se dérouler, le travail qui sera effectué, les décisions qui seront prises à ces premières assises du mouvement syndical algérien reflèteront cette volonté trop longtemps comprimée de notre classe ouvrière de d’organiser dans une centrale nationale.

Il faudra donc nécessairement que toutes les décisions et résolutions adoptées par votre congrès passent nécessairement au crible des réalités de la lutte quotidienne, au crible des possibilités et des véritables besoins de la nation qui veut recouvrer sa souveraineté. Dans un pays comme l’Algérie où vivent côte à côte plusieurs races et religions, si nous voulons véritablement instaurer une véritable démocratie capable de rassembler tous les éléments ethniques de la nation algérienne, il nous faudra tenir compte de toutes les données de la situation. L’Algérie appartenant aux Algériens sans distinction de race ou de religion ouvre toutes grandes ses portes et son avenir à tous les peuples, pour ça la construction d’une société où le mieux-être social, la justice et la liberté deviendront des réalités.

Le passé de lutte syndicale du peuple français que, pour ma part, j’ai suivi avec la plus extrême attention au cours de mon long séjour en France, constitue un grand trésor d’expérience et d’enseignement qu’il nous faut utiliser pour marcher en avant.

Toutes les expériences syndicales à l’échelle internationale nous intéressent également.

Dans notre pays où la base essentielle de la vie est toujours l’agriculture, dans ce pays qui est appelé à connaître l’effort gigantesque sur les plans aussi bien agricole ou industriel, la création d’une Centrale syndicale libre était devenue depuis longtemps déjà une nécessité vitale. Le mouvement syndical algérien devra se mettre en rapport avec tous les autres mouvements syndicaux libres, démocratiques, débarrassés de toute tutelle et de toute dictature. UN MONDE LIBRE EST EN FORMATION, IL FAUT ALLER VERS LUI, IL FAUT LE RECONNAITRE, LE CONVAINCRE DE LA JUSTESSE DE NOTRE CAUSE QUI EST CELLE DE NOTRE LIBERTE ET DE LA JUSTICE SOCIALE POUR TOUS.

Chers frères, je voudrais également attirer votre attention sur un problème de la plus haute importance. COMME VIEUX MILITANT ET CHEF DU MOUVEMENT NATIONAL ALGERIEN, J’AI TOUJOURS ESTIME L’INDEPENDANCE SYNDICALE A L’EGARD DE TOUS LES PARTIS ET DE TOUS LES GOUVERNEMENTS COMME UN PRINCIPE DE BASE. AUSSI JE PUIS D’ORES ET DEJA VOUS ASSURER QUE NOTRE PARTI ET MOI-MEME SUIVENT AVEC SYMPATHIE ET CONFIANCE L’EFFORT DE L’U.S.T.A. pour développer dans son sein la libre discussion et la fraternelle compréhension de tous les travailleurs algériens sans distinction de race, de religion, ou d’opinion. Ce souci permanent chez nous, est d’autant plus fort que nous avons vécu tous les déchirements qui ont secoué le mouvement syndical français à la suite de l’immixtion violente de partis politiques et de gouvernements.

Il est impossible de permettre que cette immixtion contraire aux intérêts des travailleurs se renouvelle dans les centrales syndicales en formation. Le mouvement syndical doit nécessairement servir les ouvriers, défendre leurs droits à la vie et à la dignité, ouvrir toujours et toujours de nouvelles perspectives au monde du travail afin de lui permettre de se dégager de l’exploitation du racisme et de la position diminuée qu’il occupe dans la nation.

L’U.S.T.A. a devant elle une lourde tâche, celle de surmonter la lamentable misère, la sous-alimentation chronique, la maladie, l’analphabétisme qui étouffent nos fellahs et nos ouvriers. Ceci, seule, une centrale syndicale libre peut le réaliser.

CERTES, NOUS SOMMES PARTISANS DE L’INDEPENDANCE SYNDICALE, NOUS SOMME POUR LA LIBRE CONFRONTATION DE POINTS DE VUES, MAIS CELA NE SIGNIFIE PAS POUR AUTANT QUE LES OUVRIERS ALGERIENS DOIVENT NEGLIGER LA LUTTE SUR LE PLAN POLITIQUE. TOUT SE TIENT DANS LA VIE ET S’Y LIE. Pour défendre leur intérêt matériel, les travailleurs doivent pouvoir être libres. L’harmonie économique et sociale exige également l’harmonie politique. En un mot la liberté politique conditionne le mieux-être social. Et cette liberté appelle tout naturellement la coopération. En effet, notre Algérie, de par sa position géographique et les richesses de notre sol et de notre sous-sol, ouvre toutes les plus grandioses perspectives de coopération non seulement avec le peuple français, avec les peuples de d’Europe, mais encore avec tous les pays du monde y compris dans les moments les plus critiques et les plus pénibles de l’histoire de l’émancipation de notre peuple, nous avons conservé notre calme et notre volonté de coopération avec les hommes libres.

Cette attitude se trouve aujourd’hui vérifiée par toute la marche des événements puisque les travailleurs français et nombre de travailleurs français syndicalistes de ce pays sont arrivés à comprendre le drame des travailleurs algériens qui, eux, n’ont d’autre ennemi que le colonialisme.

D’ORES ET DEJA, LES TRAVAILLEURS ALGERIENS ONT A RECHERCHER PAR TOUS LES MOYENS LES LIENS DE LA COOPERATION AVEC LES ALGERIENS NON MUSULMANS QUI SONT NOS COMPATRIOTES ET AVEC LESQUELS NOUS ALLONS DEMAIN CONSTRUIRE L’ALGERIE NOUVELLE SUR DES BASES D’EGALITE, DE FRATERNITE, ET DE JUSTICE SOCIALE. Cette grande œuvre qui demande toute notre intelligence et notre esprit humain exige une ferme volonté de créer une situation ou les autres minorités ethniques qui vivent en Algérie trouvent chez nous l’amitié, la compréhension, la sécurité dont ils ont besoin au moment où les plus grandes transformations se préparent en Algérie.

Je vous le dis : bien que la plus atroce misère étreint notre peuple, quoi que nous ayons terriblement souffert, nous, nos parents, nos ancêtres, IL NOUS FAUT NOUS PRESENTER A NOS FRERES DES AUTRES MINORITES ETHNIQUES COMME DES LIBERATEURS NON PAS SEULEMENT D’UNE PARTIE DU PEUPLE ALGERIEN, MAIS DE TOUTES LES POPULATIONS ALGERIENNES. Certes, cette tâche demande à l’homme de s’élever au-dessus de son triste passé, pour se placer immédiatement dans les réalités de notre époque. Mais nous l’avons toujours affirmé, il ne peut y avoir la liberté pour les uns et l’oppression pour les autres. Nous resterons toujours ce que nous avons été et notre peuple fidèle à lui-même et à son passé saura faire preuve de grandeur, de noblesse et de justice.

L’Union des Syndicats des Travailleurs Algériens exprime, j’en suis persuadé, au travers de toutes les difficultés, le profond besoin des peuples colonisés à disposer librement d’eux-mêmes. Dans les douleurs d’aujourd’hui, il y a la grande espérance humaine de liberté et de dignité.

L’U.S.T.A. a ses martyrs et ses détenus ; je leur envoie de mon exil mon salut fraternel, mon salut de vieux militant, mon salut de prisonnier et de proscrit permanent. A ceux qui – les premiers organisateurs du mouvement syndical en Algérie et de la Fédération en France – sont actuellement à Barberousse, à Berrouaghia, à Saint-Leu, à la Santé et dans tous les lieux de détention, je leur dis : « Vous êtes sur la bonne voie, ce n’est pas en vain que vous souffrez, un avenir de bien-être et de liberté s’ouvre à tout notre peuple. »

A VOUS, MES CHERS FRERES, QUI ETES AUJOURD’HUI RASSEMBLES DANS VOTRE PREMIER CONGRES, COURAGE, CONFIANCE, LE CAUCHEMAR COLONIALISTE EST DEJA RENTRE DANS LE DOMAINE DU PASSE.

MESSALI
Proscrit Politique
BELLE-ISLE-EN-MER.