Appel de Messali Hadj du 1er septembre 1957 diffusé sous forme de tract ; paru dans La Vérité, n° 467, 5 septembre 1957 ; Interafrique Presse, n° 126, 6 septembre 1957 ; Algeria Libera, n° 1, 21 Settembre 1957 ; repris dans Combat et Le Monde, 4 septembre 1957 ; Nouvelle Gauche, n° 32, du 14 au 27 septembre 1957 ; La Commune, n° 5, novembre 1957

Nous avons reçu, avec prière d’insérer, le texte qu’on va lire. Son importance extrême, dans les circonstances actuelles, sautera immédiatement aux yeux du lecteur même non averti. C’est pourquoi nous avons estimé de notre devoir de journal libre de le publier intégralement.
La rédaction de « La Vérité ».
Aujourd’hui, j’estime qu’il est de mon devoir de m’adresser à toi dans les circonstances graves que traverse notre pays. Mon passé politique, le grand combat que je livre depuis quarante ans pour ta liberté, ta dignité et ton avenir m’autorise pleinement à te dire ces vérités, même si elles sont quelque peu amères pour certains.
Tu sais que je n’ai jamais cherché à plaire ou à flatter, tu sais que pour avoir dit la vérité, je ne cesse de souffrir jusqu’à présent. Enfin, tu sais parfaitement bien que le combat pour la liberté et l’honneur de notre peuple ne m’a jamais fait peur.
Aussi, c’est pourquoi il est de mon devoir de m’adresser à toi pour attirer ton attention sur les dangers extrêmement graves qui menacent la cause algérienne. En effet, nous assistons depuis quelques mois à une situation où certains, consciemment ou non, manœuvrés par des forces étrangères à la juste cause pour laquelle notre peuple souffre, utilisent des méthodes qui ni de près ni de loin ne répondent à l’objectif et à l’intérêt général.
En France et au-delà, il y a tous les jours des morts, des blessés parmi nos frères. La liste des victimes s’allonge et frappe nos ouvriers, nos petits commerçants et nos étudiants. La presse colonialiste ravie de cette aubaine étale ces crimes dans ses colonnes avec des commentaires qui touchent notre dignité et injurient nos combattants qui ne marchandent rien à la Liberté de notre peuple.
C’est un fait : ces assassinats et ces crimes se multiplient tous les jours, alors que tous nos compatriotes luttent pour le même objectif.
C’est un fait : il y a un danger qui menace notre avenir et la cause algérienne elle-même.
C’est un fait : cette tragique situation est considérée comme un bonheur pour tous ceux qui misent sur notre désaccord et notre désunion pour justifier le maintien du colonialisme et de ses privilèges. Ces « règlements de comptes », en France et en Belgique, sont malheureusement la suite des drames sanglants de la Vallée de la Soummam et de Melouza.
Il faut le dire nettement : cette situation risque de soulever contre la cause algérienne de la liberté, l’opinion française et internationale. De nombreux amis français qui, de tout temps, nous ont soutenus, éprouvent inquiétude et angoisse. A l’étranger des hommes et des organisations dont la sympathie est acquise au droit du peuple algérien à disposer de lui-même s’interrogent sur l’issue de cette dramatique situation. Il en est ainsi au sein des Nations Unies.
Ainsi, nos adversaires utilisent ces actes fratricides pour s’efforcer de présenter la cause algérienne comme un simple règlement de compte. C’est pourquoi il faut briser ce complot contre notre peuple.
Naturellement, tous les yeux sont tournés vers les responsables des grands mouvements nationalistes. Pour ma part, j’ai toujours agi dans le sens d’appeler notre peuple dans son ensemble et tous les patriotes pour que cessent ces assassinats, ces crimes et cette folie. Je sais que tant en Algérie qu’en France l’écrasante majorité du peuple algérien réprouve et condamne ces actes.
Aux quelques égarés, emportés par la passion, je demande de réfléchir aux souffrances qu’ils doivent ressentir comme moi, dans mon exil, à voir tous les matins dans la presse que des patriotes s’entretuent et s’entredéchirent à la joie des adversaires de la cause algérienne.
Aussi, aujourd’hui, la gravité de la situation exige de ma conscience de vieux militant de la lutte pour la liberté et la dignité de notre peuple, non pour situer les responsabilités d’hier, mais pour établir les responsabilités de demain, que je crie de toutes mes forces.
Non, c’est la un non-sens et un danger pour notre Révolution de poursuivre dans cette voie d’aventures. PEUPLE ALGERIEN, ALERTE ! Il faut absolument que cela cesse avant qu’il ne soit trop tard. PEUPLE ALGERIEN ! Par ton courage et ta noblesse, tu as su démontrer à l’opinion mondiale que tu es digne de ta Liberté. Tu sais que le capital de sympathie que ta Révolution s’est attirée dans tous les milieux est un gage de succès. Il est d’autant plus nécessaire que tu préserves ce gage de succès que la cause algérienne est appelée une fois de plus à être débattue aux Nations Unies.
Qui parmi les patriotes peut ignorer que nos adversaires circulent dans le monde entier en étalant ces luttes fratricides, afin de justifier la guerre en Algérie et démontrer que nous sommes incapables de nous gouverner nous-mêmes ?
Des rapports volumineux seront demain très certainement présentés devant les délégués des Nations Unies et déjà une propagande intense, mi-privée, mi-publique, sillonne les principales capitales. Tu sais que la problème algérien doit trouver une solution avec l’institution de nouveaux rapports de Liberté entre notre peuple et le peuple français qui, du point de vue de ses traditions et de ses propres intérêts, est appelé à considérer notre Liberté comme légitime.
Plus de 500.000 des nôtres gagnent leur vie en France. Nos travailleurs ont toujours eu un comportement digne de notre cause. Aussi, j’appelle tous les émigrés à écarter de leur sein les quelques pêcheurs en eau trouble qui entendent monter des provocations stupides et appeler à de prétendues actions irréfléchies nuisibles à notre cause et qui n’aboutiraient qu’à nous discréditer et à nous couper du peuple de France avec lequel nous sommes appelés à coopérer dans la fraternité et l’égalité.
Le peuple algérien, fier de sa conscience, certain de la justesse de ses aspirations, appelle de tous ses vœux la fin de l’effusion de sang en Algérie qui forgera cette situation de liberté ou, avec nos compatriotes non-musulmans et dans cet esprit de coopération qui a toujours été nôtre, sera édifié l’Etat Algérien démocratique et fraternel à tous qui émerveille le monde.
Pour cet avenir proche, le peuple algérien saura, hier comme aujourd’hui, rester fidèle à ses grandes traditions de Liberté, de courage et de conscience nationale.
Dieu veuille que la sagesse islamique et la maturité politique de tous les Nationalistes algériens s’expriment nettement afin que la noble cause de notre peuple surmonte ces passagères difficultés.
MESSALI HADJ
en résidence forcée à Belle-Isle-en-Mer
Le 1er Septembre 1957

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