Article de Mikhalis Raptis dit Michel Pablo paru dans Sous le drapeau du socialisme, n° 99, février 1985

La réflexion de Mohammed Harbi sur le mouvement national algérien reste jusqu’à ce jour la plus profonde, celle qui éclaire le contexte historique, social, politique, culturel, dans lequel ce mouvement se développe, s’entredéchire de crise en crise, transcroît en direction d’une des plus grandes révolutions coloniales de l’après-guerre.
La guerre commence en Algérie apporte des éléments nouveaux à la connaissance de la crise traversée par le PPA-MTLD, et de l’émergence du FLN, traitée dans l’ouvrage précédent de Mohammed Harbi, Aux origines du FLN. Mais, son intérêt principal réside dans l’approfondissement de toutes les raisons qui ont contribué à ce que le « coup » en apparence « terroriste », « isolé », du 1er novembre 1954, soit vite transformé en guerre et révolution de longue durée et d’ampleur exceptionnelle.
On comprend aussi mieux pourquoi l’équipe des dirigeants radicaux qui ont formé le FLN s’impose vite comme l’unique « direction révolutionnaire », ayant certes agi confusément dans le « sens de l’histoire ». Qu’ils aient par la suite abusé de ce « monopole du pouvoir » et conduit la révolution vers son échec social, c’est une autre question dont l’explication fait partie de l’analyse à laquelle se livre Mohammed Harbi quant au cadre socio-politique de l’Algérie coloniale et de son mouvement national.
Le « coup terroriste » du 1er novembre 1954, si décrié par l’ensemble de la bourgeoisie française, mais également par le PCF et même le PCA, ainsi que par l’élite « modérée » algérienne, prend à partir d’août 1955 les dimensions d’une véritable révolution nationale. Avec le soulèvement populaire dans le Nord-Constantinois et la terrible répression colonialiste qui s’en suit, « l’insurrection a pris le cours d’une lutte contre la colonisation et contre les nationalistes modérés soupçonnés d’émousser la volonté de lutte des populations ». Les couches moyennes, et non seulement la plèbe citadine et rurale, basculent en masse du côté du FLN.
« Un siècle de despotisme colonial avait cristallisé une conscience nationale. Le blocage de la vie politique favorisait en novembre 1954, à un moment de montée des luttes au Maghreb, quiconque était assez résolu pour défier le pouvoir colonial et assez sacrilège pour s’attaquer aux monstres sacrés du mouvement indépendantiste : Messali Hadj, père du nationalisme algérien, Lahouel Hocine, son second devenu son rival. Les fondateurs du FLN, en tirant les premiers, vont s’approprier le long processus de luttes pour l’indépendance engagé dans les années 1920 ».
Nous souhaitons que Mohammed Harbi continue son travail en analysant la conduite de la guerre-révolution et en y illustrant l’effort et les sacrifices immenses consentis par les masses et les militants ; c’est-à-dire en ne se contentant pas seulement de ce que furent les lacunes, les faiblesses, idéologiques et autres, de la direction « populiste révolutionnaire » du FLN et de ses différentes fractions, qui expliquent la faillite sociale de la révolution, mais en mettant également en valeur ce que fut l’épopée de la Révolution algérienne, vue du côté de l’effort et des sacrifices des masses et des militants.
Quant à la destinée sociale de la révolution algérienne, qui n’a pas dit encore son dernier mot, nous avons le devoir de souligner que pour n’importe quelle révolution coloniale, l’apport réel du mouvement ouvrier des métropole reste un facteur très important, sinon en dernière analyse décisif. Pour qu’une révolution coloniale évolue socialement de manière positive, elle doit bénéficier dès le début d’une aide multiforme du prolétariat de son ancienne métropole et de l’ensemble du mouvement ouvrier des pays avancés.
Si le nationalisme algérien a évolué du point de vue social de la manière peu favorable dont cette révolution est décrite, analysée, dans les ouvrages de Mohammed Harbi, une immense responsabilité réside dans ce qui était l’attitude à son égard du mouvement ouvrier français dominé par les communistes et les socialistes, ainsi d’ailleurs que du PCA.
Tout leur poids a pesé pour freiner, handicaper le développement des tendances socialement les plus ouvertes au sein du mouvement national algérien, telle qu’elles se sont esquissées pour s’estomper rapidement par la suite, par l’ENA et le PPA de Messali Hadj, à ses débuts.
M. P., 22.1.1985

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