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Pollet : La C.G.T. et l’immigration

Article signé Pollet paru dans Le Combat syndicaliste, 11e année, n° 229, 8 octobre 1937 ; suivi de Constant Couanault, « La répression contre les travailleurs immigrés », Le Combat Syndicaliste, n° 230, 15 octobre 1937

C’est ce que ne cessaient de répéter les orateurs de divers syndicats de la C.G.T., qui se succédèrent à la tribune du meeting organisé le 30 septembre à Japy, sous l’égide de l’Union des Syndicats de la région parisienne.

Secrétaires de l’Habillement, de la Maroquinerie, des Chapeliers, etc., tour à tour défilent pour venir affirmer qu’en général la main-d’œuvre immigrée s’oppose ou ne fait rien pour le maintien des conventions collectives arrachées au patronat ; que cette main-d’œuvre étrangère sabote les revendications qui ont été obtenues ; qu’il faut en finir avec cet état de choses. Et pour en finir, il faut d’abord refuser à ceux qui viennent actuellement en France, la carte syndicale, afin qu’ils ne puissent travailler – chose déjà mise en application. Quant à ceux qui résident ici depuis longtemps, ils pourront continuer de travailler comme auparavant, à condition, toutefois, qu’ils aient la carte de travailleur. Et pour tous ceux qui ne la possèdent pas, anciens comme nouveaux, on fait appel aux pouvoirs publics pour les renvoyer chez eux, où sévit le fascisme, où la vie n’est guère possible, où la misère ne fait que s’accroître et empreint tout individu d’un dégoût insurmontable ; où les prisons attendent ceux qui ont pu s’abriter jusqu’à ce jour de certaines condamnations dues à l’action prolétarienne.

Voilà ce qu’ont demandé tous les orateurs de la C.G.T., y compris Reynaud, secrétaire de l’Union des Syndicats, qui insistait particulièrement sur cette demande adressée aux pouvoirs publics.

Pour l’édification de chacun, il convient de dire ici que les syndicalistes qui sont entourés d’une majorité de travailleurs immigrés, ont fort à faire. Ces raisons, mais nous les connaissons tous. Nous savons que tout individu qui n’est pas né ici, n’ose pas relever le front, comme nous le pouvons : il craint l’expulsion. S’il se rend coupable de cumul, c’est toujours parce qu’il ne veut pas être démuni complètement d’argent, au cas où il serait forcé de quitter le pays. Quant à ceux qui emportent du travail à domicile à vil prix, occasionnant ainsi la fermeture des ateliers où les barèmes sont respectés, ce sont ceux qui n’ont pas la carte de travail ; ceux qui se débrouillent après avoir fui leur pays ; ils ne peuvent que s’incliner devant les conditions du patron. Celui-ci, trouve aussi une main-d’œuvre à bon marche, liquide ses ateliers et donne le travail à faire à domicile.

Ce sont tous ces griefs qui servent aujourd’hui de raison à la C.G.T., pour faire appel aux pouvoirs publics, afin que soient expulsés ces « indésirables ».

Examinons objectivement les faits, en syndicalistes révolutionnaires et internationalistes que nous sommes. Immédiatement, nous constatons deux sentiments qui s’opposent : l’un humanitaire, l’autre éprouvé par le travailleur qui, désirant conserver les améliorations acquises, voit son action de classe tenue en échec.

Inutile de discuter le premier, en tant qu’internationalistes, nous considérons que le sol sur lequel nous vivons, est également celui de tous ; que ceux qui viennent chercher refuge ici sont nos semblables, nos frères. A ce sentiment, donc, nous sommes tous acquis.

Quant au second, il est plus complexe. Nous avons traité plus haut certaines raisons qui déterminent cette mauvaise tenue des ouvriers étrangers sur le lieu du travail. Sont-elles suffisantes pour qu’un syndicaliste refuse de les étudier et d’en tirer les enseignements nécessaires ? Non ! Dans ces conditions, nous devons analyser le problème, l’affronter, pour le résoudre.

Si nous comprenons la position fragile des travailleurs immigrés, nous ne pouvons tolérer qu’ils servent de moyen au patronat pour se débarrasser des conquêtes sociales des ouvriers. Il faut que ces camarades travaillent ; mais il faut aussi conserver ce qui est acquis. Dans le cas contraire, après avoir fui un fascisme, ces travailleurs, par leur action, aideront à en créer un autre, par l’affaiblissement de la classe ouvrière de ce pays, par l’esprit chauvin qui prendra naissance.

Pour arriver à concilier ces deux sentiments, nous ne voyons que l’action syndicale, véritablement syndicale, l’action faite par une organisation qui, loin de faire appel aux pouvoirs publics, agit par elle-même ; « débraye » ceux qui travaillent en dessous du tarif, empêche le travail à domicile par des visites répétées, emploie par elle-même tous les moyens nécessaires au respect des avantages obtenus. De plus, cette organisation doit grouper en son sein ces immigrés, parmi lesquels il en est d’action et qui influenceront heureusement les autres dans le bon sens.

Voilà l’action qu’il convient que fasse une organisation syndicale qui veut faire respecter ses conquêtes. Quand le syndicalisme fonctionne normalement, tout individu qui ne respecte pas les normes ouvrières se trouvera, d’abord, rappelé à l’ordre ; puis, s’il persiste, subira l’action violente nécessaire. Cette action n’est pas neuve, on la dénomme couramment : lutte contre la « jaunisse ». Dans cette action tout le monde doit être traité sur le même pied d’égalité : français comme immigré.

Mais, loin de pratiquer ces méthodes d’action directe, la C.G.T. d’aujourd’hui, gouvernementale, a préféré faire appel aux organes de répression. Et ce, juste au moment où l’on refoule les camarades espagnols, ou l’on parle de prendre les mesures les plus énergiques contre les étrangers. Il est certain, qu’avec un tel appui, le gouvernement ne se gênera pas. La « chasse » va recommencer, plus impitoyable que jamais ; une « chasse » farouche où tout malheureux révolutionnaire (et il en est des plus intéressants), qui n’est pas tout à fait en règle, se verra reconduit à la frontière. Je dis révolutionnaire, car je suis certain que les blancs auront toujours licence d’agir et d’évoluer chez nous, dans la plus parfaite liberté. Cette patrie capitaliste, ne leur est-elle pas toute dévouée ?…

Le droit d’asile aujourd’hui devient bien difficile à défendre, puisque dans cette répression le gouvernement sait qu’il peut compter sur la plus forte organisation ouvrière qui compose sans cesse avec lui. Mais, au fait, n’est-ce pas là une manœuvre grossière employée par la C.G.T .? Acquise déjà à la guerre ; acquise à l’inertie qui fait mourir nos camarades espagnols ; acquise à la reconnaissance de la propriété privée et de l’intérêt général ; acquise à toutes les alliances sordides faites par nos gouvernants ; ne le serait-elle pas aussi pour l’épuration du territoire des révolutionnaires qui y résident ?…

POLLET.


La répression contre les travailleurs immigrés

Les travailleurs n’ont pas de patrie.

S’il est un droit sacré, qui ne devrait jamais être contesté, c’est celui pour tout être humain qui n’a d’autres ressources que son travail, de pouvoir exercer sa profession dans l’industrie où il s’est spécialisé.

S’il est un devoir, non moins sacré que le précédent, c’est pour tout être valide, celui de faire œuvre utile, dans tous les domaines de l’activité humaine, d’où découle la source de richesse et de bien-être de la société.

Toute société qui conteste le droit au travail pour les uns, et qui n’oblige pas les seconds – ceux qui sont les seuls à profiter du bien-être – à cesser leur vie de parasites et d’exploiteurs, est une société pourrie, que tous les êtres sains qui en sont victimes doivent s’efforcer de faire disparaître.

Et bien, cette société, c’est celle du Front Populaire français, qui vient de prendre des mesures pour refouler hors des frontières tous les réfugiés espagnols ainsi que tous les autres immigrés venus d’autres pays pour chercher en France un refuge et du travail.

Soyez sans crainte, on n’inquiétera pas les riches. Ceux-ci ont droit de cité dans tous les pays, quel que soit le gouvernement. Mais cette mesure est prise pour les humbles, les parias, les traqués de partout.

Si cette mesure de refouler les immigrés, dits indésirables, c’est-à-dire les révolutionnaires, avait été prise par un gouvernement de droite, personne ne s’en serait étonné.

Mais l’équipe est du Front Populaire, dans laquelle il y a un lot assez important de gens de la IIeme Internationale. Ceux de la IIIème n’ont pas pour l’instant de ministres, mais ils sont de cœur avec les autres. Il n’y a d’ailleurs qu’à lire leurs mots d’ordre : « La France aux Français », ainsi que « Vive l’union de la nation française », etc. On voit que comme internationalisme il n’y a pas mieux.

En dehors de ces politiciens, valoisiens, S.F.I.O. et nacos, on a également consulte un homme qui bien qu’il ne soit pas ministre, est de bon conseil chaque fois que quelque chose est tramé contre la classe ouvrière. C’est du gros Léon Jouhaux qu’il s’agit ; ce chef qui, avec tous ceux qui l’entourent forment la plus belle équipe de traîtres et de renégats qui ait jamais existé. Cette équipe dirige un troupeau de 5.000.000 de têtes ; chiffre qui va diminuer puisque les maîtres acceptent qu’une partie soit reconduite aux frontières.

Et maintenant la parole est à vous, ouvriers qui êtes nés dans ce pays : allez vous laisser s’accomplir la trahison ? Ne serez-vous pas solidaires de vos camarades immigrés ? Est-ce que vous n’exigerez pas que soient respectés et le droit d’asile et le droit au travail ? Vous l’avez fait lors des gouvernements de droite. Ces droits sacrés, vous ne les laisserez pas anéantir par des gens qui ont encore le culot de se prétendre des internationalistes.

Même si vous avez des reproches à formuler vis-à-vis de certains travailleurs immigrés, qui n’ont pas toujours respecté les heures de travail, ainsi que les tarifs syndicaux – car, dans la plupart des cas, ces travailleurs n’avaient pas droit au travail dans les usines, chantiers, ateliers, le gouvernement leur refusant leurs cartes de travail. Ils étaient ainsi une proie facile pour le patronat qui leur faisait effectuer des travaux au-dessous des tarifs et exigeaient d’eux, lorsqu’une commande était pressée, des heures supplémentaires, sous menace de renvoi. Quand les prétendus internationalistes sont montés au pouvoir, ils devaient – c’était bien le minimum – donner les mêmes droits aux travailleurs de ce pays quel que soit leur pays d’origine.

Mais il n’en a rien été, et c’est pourquoi c’est à toi, travailleur né dans ce pays, de prendre en main la cause de tes frères de misère venus dans ce pays chercher un refuge.

Si tu te considères ici comme chez toi, tu te dois de leur offrir l’hospitalité et de leur assurer l’égalité des droits.

Si tu n’es pas capable d’imposer cela pour tes semblables, c’est que tu n’es pas non plus chez toi, que tu vis sur une propriété qui ne t’appartient pas, où tu ne possèdes pas de droits et par conséquent que tu n’as pas à défendre.

Si c’est cela, l’intérêt général n’existe pas. Ce qui existe, c’est ton intérêt de classe. Alors toi, qui as abandonne la lutte, reprends-la ! Cesse d’écouter les traîtres. Et souviens-toi toujours qu’il n’y a pour les véritables syndicalistes que deux clans dans le monde : celui des exploiteurs et celui des exploités. C’est seulement sur ce terrain que tu te dois de lutter.

C. Couanault.