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Mohamed Saïl : La vie des Kabyles

Article de Mohamed Saïl paru dans Le Libertaire, n° 393, 15 janvier 1925

Raymond Denis, collaborateur du « Petit Parisien » journal de la pourriture capitaliste, vient de relater, dans une série d’articles, la vie des Kabyles en France et en Algérie.

Je me permettrai de faire remarquer à ce reporter qu’il ne fait aucune distinction entre tous les Kabyles, qu’ils soient riches ou pauvres, instruits ou ignorants, intelligents ou bornés, et que les lecteurs habituels du « Petit Parisien », concierges ignares et calotins, esclaves des préjugés de races se moquent des Algériens et les bafouent au lieu de chercher à les soutenir et à les défendre.

Je demanderai d’abord à ce bourgeois qui a parlé du confort moderne qui existe chez les Kabyles, en Algérie, s’il pourrait se le procurer avec les salaires de famine que gagnent les travailleurs indigènes. En effet, un Kabyle qui travaille chez les colons André et consorts, d’El Heusseur, ou chez le Kaïd Ben Ali, chérif près Akbou, gagne en moyenne 4 francs pour une journée de 12 à 14 heures de travail. En revanche il se voit obligé de payer la semoule : 210 francs les 100 kilos, le blé : 33 frs. les 20 kilos, l’orge : 20 francs les 20 kilos, le bœuf : 7 francs le kilo et le pain : 1 fr. 40 le kilo, sans compter les impôts sur des terrains incultivables et le bakhchich pour les Kaïd qui le mouchardent. Ne pouvant même se procurer le nécessaire, comment pourrait-il installer chez lui le confort moderne ?

De plus, je tiendrais à savoir si étant ouvrier dans une mine et gagnant 2 francs de l’heure, ce même reporter pourrait s’offrir le confort moderne à Paris et tout au moins quel genre de confort moderne il pourrait se payer, pressure par les mercantis et le fisc qui ne lui ferait pas grâce d’un centime sur l’impôt sur le salaire « ce gros capital du manœuvre à cinq enfants ».

Le confort, monsieur R. Denis, il a existé en Kabylie avant l’expropriation par les Européens, les impôts écrasants et les lois d’exceptions. Le luxe existe toujours, mais ce ne sont pas les ouvriers qui en profitent ce sont les Mahmard, les Ben Ali, chérifs les Smatis, les Aït Kaci et enfin chez tous les Beni-oui-oui, Kaïds souteneurs de notre réaction et empoisonneurs de leurs confrères indigènes.

Vous parlez de la vie des Kabyles à Paris, elle est semblable à celle de leurs frères de misère français. Ils mangent la « loubia » (haricots) la « chetitka » (viande en petits et longs morceaux), la « cherba » (soupe au vermicelle) tout comme les Français. J’en connais, hélas – et mon cœur se serre à cette pensée – des milliers de miséreux, pères de 4 ou 5 enfants comme la plupart de nous-mêmes, qui ne peuvent même pas se payer un kilogramme de viande par semaine. Pendant ce temps, vous, les mercantis, les parasites, les entrepreneurs de charniers patriotiques, vous vous offrez de bons poulets et du gibier. Le confort moderne existe en France, mais tout comme en Kabylie ce ne sont que les exploiteurs, les buveurs de sang et de sueur et les marchands d’esclaves qui peuvent en jouir ; Les damnés de la terre, les producteurs, ceux qui peinent et qui ont droit au bonheur comme les autres, couchent sous les ponts ou dans d’infectes taudis.

Les Kabyles sont les plus intelligents des musulmans et les Islamistes sont les fondateurs de la civilisation mondiale. (Lire : l’Islamisme, livre écrit en français qui retrace l’islamisme de la naissance de Mohamed à nos jours). Le luxe et l’art ont été créés et existe encore chez les Musulmans. (Voir le livre : La faillite morale de la politique occidentale). En Algérie, les rues étaient pavées, alors qu’en France on marchait encore dans la boue, nous ne sommes donc pas des sauvages comme on le prétend.

Le seul crime que l’on reproche aux Kabyles c’est de s’être défendus contre les diverses invasions dont ils ont été victimes : que ce soit par les Romains ou par les Français. Nous sommes des Français par force, et non contents de nous exploiter, vous nous appliquez encore des lois d’exception qui sont d’une sévérité féroce.

Rappelez-vous, dirigeants de la 3e République que nous n’avons pas peur de toutes vos menaces. Vous êtes venus nous chercher au sein de nos foyers pour nous faire massacrer à côté de nos frères de la métropole ; eh bien ! nous les connaissons à présent, ceux dont le cœur bat à l’unisson du nôtre, et nous coordonnerons nos efforts aux leurs, pour vous faire rendre gorge. Il est fini le temps de l’esclavage ! Nous sommes prêts à vous faire face. Les Kabyles se dresseront demain devant vous et vous demanderont des comptes. Méfiez-vous de ceux que vous avez maltraités si odieusement, ils savent à présent qu’ils sont des hommes et non des esclaves et sauront faire valoir leurs droits quoi que vous fassiez pour les en empêcher.

SAIL MOHAMED.