Article de Mohamed Saïl paru dans Le Libertaire, quatrième série, trente-et-unième année, n° 4, 25 avril 1925

Notre cri d’alarme de septembre dernier n’a pas été entendu. Le fameux décret-loi est appliqué depuis cinq mois, et nos camarades indigènes algériens élevés au rang de grand prolétariat par le séquestre, les expropriations et la mercante, n’ont même plus la suprême ressource de procurer à leur marmaille famélique une maigre galette d’orge en louant leurs bras hors de la colonie, dans les usines de France, qu’ils ont contribué à sauver de la horde germanique (style patriotard.)
Ils sont maintenant à même d’apprécier la bienveillante sollicitude et la paternelle bonté du démocrate Steeg, de la Ligue des Droits de l’Homme et du Bloc des Gauches dirigé par Herriot-Blum, grands défenseurs des faibles et des opprimés. Après la victoire du droit et de la liberté, voici que le permis de vivre est exigé pour les pauvres indigènes.
Les formalités à remplir sont très nombreuses, si difficiles et si coûteuses, que très peu de privilégiés seulement rentrent en France, où grâce aux organisations ouvrières de leurs camarades français, ils reçoivent une plus juste rémunération de leur travail.
Oui, formalités très coûteuses. Il faut passer par beaucoup d’intermédiaires : garde-champêtre, caïd, khodja, administrateur ; et la plupart de ces bandits ne travaillent pas pour rien.
Le bakhchiche – rançon – bat son plein ; la sueur du burnous ruisselle au vu et au su du gouvernement de la République IIIe, les poches se vident, des dettes se contractent, et l’heureux indigène qui débarque à Marseille a déboursé plus de 500 francs.
Il va falloir travailler dur et ferme et se serrer la ceinture pour payer ses dettes. Pendant ce temps, la mère et les petits enfants attendront, mendieront ou mangeront l’herbe des champs.
Quant à ceux qui restent au pays – et c’est la grande majorité – ils sont plus malheureux encore.
Livrés pieds et poings liés au bon plaisir des cent hectares et des exploiteurs coloniaux de toute envergure, ils travaillent des quatorze et quinze heures par jour au salaire colossal de quatre à cinq francs, et cela au moment où l’orge coûte dix-huit francs le double décalitre, l’huile cinq francs le litre, et les fèves vingt-cinq francs les vingt kilos.
Nous laissons de côté la viande, le blé, la semoule, le beurre et autres douceurs réservés uniquement à leurs seigneurs et maîtres.
Aux pauvres indigènes, c’est-à-dire à ceux qui produisent, la farine et le son d’orge seulement, et pas encore à satiété ! Et si enfin les Algériens de France se montrent un peu remuants, s’ils se syndiquent et s’ils veulent améliorer leurs conditions et celles de leurs camarades, la commune mixte de Paris est là avec son administrateur, son adjoint, son caïd, ses cavaliers et son indigénat pour les remettre bien vite à la raison.
Le permis de voyage rétabli, les indigènes réduits à l’état de serfs, taillables et serviables à merci, une commune mixte en plein Paris et au XXe siècle, sous le Bloc des Gauches, c’est un triste progrès !
Saïl Mohamed.

Vous devez être connecté pour poster un commentaire.