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Iran : la révolution assiégée…

Analyse parue dans Courant alternatif, n° 23, février 1983, p. 26-28.

C’est une erreur de voir l’ensemble du mouvement social en Iran sous un angle strictement religieux. Si les religieux ont pu prendre la tête du mouvement populaire c’est grâce à leur implantation traditionnelle dans la société civile et surtout parce qu’ils avaient à leur disposition :

– Le monopole de la propagande et la liberté de rassemblement, sous le régime du Chah, à travers ces milliers de mosquées dispersées dans tout le pays.

– Une connaissance approfondie des coutumes, de la culture et surtout de la psychologie populaire.

– Un encadrement humain de plus de 30.000 Mollahs c’est à dire un corps important d’orateurs professionnels qui disposaient d’un budget non négligeable, accumulé à partir des dons privés et des aides du régime royal.

Bref, on était en face d’une idéologie super organisée et doctrinaire qui a réussi à canaliser en peu de temps les aspirations populaires non encore concrétisées.

Si l’ensemble des couches opprimées se sont soulevées contre le régime totalitaire du Chah, elles n’ont pas pour autant réalisé leur révolution. Le changement a été brutal, sous la poussée de la haine et de la vengeance populaires, mais cela n’a pas atteint les structures réelles de pouvoir. Celles-ci ont été reprises en main par les nouveaux-parvenus.

Qui sont ces nouveaux-parvenus ?

Faute d’une alternative culturelle nouvelle, les religieux ont pu jouer un rôle d’agitateur et de contestation contre les pouvoirs autoritaires.

De l’Amérique latine à l’Iran, en passant par l’église polonaise, quand certaines couches religieuses n’ont pas eu les faveurs des gouvernements en place, elles sont rentrées en dissidence (c’est le cas du Khomeiny d’hier et du groupe des Mudjahedines d’aujourd’hui). En haussant le drapeau de « droit divin de l’homme », d’ « égalité de tous les êtres devant Dieu », etc… Mais une fois qu’elles ont eu des concessions ou qu’elles ont pu rentrer au gouvernement, comme c’est le cas en Iran, elles ont pris le chemin de la pire réaction.

Contre les aspirations libératrices populaires, elles ont utilisé les mêmes arguments et les mêmes structures que tous les régimes totalitaires. En s’appuyant sur une idéologie et une organisation qui portent en elles les germes de totalitarisme, de hiérarchie des valeurs et de l’écrasement de l’individu. On est donc les otages d’un régime qui utilise les armes de lapidation, de fouet, de sanction morale, de pendaison contre les défenseurs de la liberté, de la vie humaine, de la science, de l’amour, etc…

C’est un régime qui a déclaré la guerre à tous les acquis de l’humanité, depuis le Moyen Age et depuis l’époque de la vie tribale et féodale en Arabie sous Mohamed.

Cela dit, le phénomène Khomeiniste ne présente pas l’ensemble des aspirations et des mouvements sociaux en Iran. Il n’a fait qu’en récupérer certains et en réprimer d’autres pour se maintenir au pouvoir.

Ceux qui méconnaissent l’histoire des mouvements sociaux en Iran, ayant l’invasion arabe et après la domination de l’Islam, et surtout avant et après le renversement du régime du Chah, ne peuvent avoir qu’une vision simpliste des évènements. Ils ne voient donc le soulèvement iranien qu’à travers le miroir d’un Khomeiny omnipotent, et ils oublient l’écrasement d’un peuple et d’une révolution sous la tutelle de Khomeiny.

L’économie sous l’égide du « Parti » unique

Pour un régime qui n’a trouvé, comme moyen de se maintenir au pouvoir que déclencher la guerre ou militariser et encadrer la vie quotidienne de la société, peu importe si les usines ferment leurs portes par licenciements massifs des techniciens ou des ouvriers contestataires. Car on peut tout importer grâce au pétro-dollars !

Voilà le rôle de l’Etat Islamique en Iran. Il est le plus grand exportateur (de pétrole) et importateur. En même temps que le plus grand distributeur des matières importées ou fabriquées sur place. Cela à l’aide de ses comités locaux, des Mosquées et des tickets de rationnement.

Autrement dit, aujourd’hui en Iran un réseau de parasites a pris en main toute l’économie par son rôle d’intermédiaire, d’organisateur de la pénurie et du marché noir.

Le nombre de fonctionnaires qui était proche de 1 million 100.000 au moment de la chute du Chah (y compris les milliers d’agents de SAVAK, la police politique, et de fonctionnaires de la cour impériale, etc…) a monté à 1 million 900.000 sous la République Islamique. Cela veut dire l’importance du rôle de l’Etat dans les rapports sociaux. D’autres exemples : le budget prévu pour la propagande de la République Islamique a été de 26 milliards de Rials (1 francs égal 13 Rials) (près de 3 milliards de N.F) en 81 – 82. Cela a été augmenté de 800 millions de Rials pour l’année 82 – 83. Et pendant cette période, le budget prévu pour les produits de première nécessité qui était de 12,8 milliards de Rials en 81 – 82 a été diminué à 4,9 milliards de Rials sous prétexte du déficit budgétaire ! (journal officiel de Keyhan, 12 Esfinde 1360).

Bref, tandis que les dépenses propres à l’Etat Islamique sont de l’ordre de 70% du budget total, les investigations publiques n’ont eu que 30% de ce budget (journal Keyhan 20 Esfinde 1360).

On est donc en face d’un Parti ayant le monopole de l’Etat, même s’il préfère s’appeler Hezbollah (Parti de Dieu), qui sait comment s’organiser pour sucer les richesses et les forces d’une société entière.

Le rôle des autres partis autoritaires

Les groupes de la gauche classique, même s’ils ont participé au soulèvement populaire n’ont pas pu pour autant prendre la « tête » du mouvement, ni avoir leur part de pouvoir. Car ces groupes intellectualisés n’ont jamais compris et il n’ont jamais eu un langage et une pratique qui soient en harmonie avec les aspirations populaires. Ils voulaient faire une révolution d’après leur schéma. Donc, malgré leur amertume, ils ont favorisé la conquête du pouvoir par le « parti » de Dieu. On se rappelle encore les cortèges d’ «unité» qu’ils ont menés, pour le retour de Khomeiny. Il fallait un an de « révolution islamique », pour voir leurs journaux et leurs locaux bouclés par celle-ci, et leurs rassemblements balayés par les Pasdars (les gardes de la révolution). Les groupuscules autoritaires qui ont survécu à cette répression féroce, continuent à contester le régime Khomeiny sous ce double aspect : d’une part, la monopolisation du pouvoir par celui-ci. D’autre part, l’espoir de « diriger » le prochain mouvement de « masse ».

Actuellement, ils sont dans une clandestinité totale, sans pouvoir augmenter leur nombre ni changer leur schéma traditionnel de la révolution et de la « masse ». Seul le P.C. (Toudeh) et une scission des feddai (anciens partisans de la guérilla et du marxisme léninisme reconvertis aujourd’hui à l’idéologie du P.C.) continuent d’avoir les faveurs du régime grâce aux soutiens qu’ils lui ont apportés dans son installation. En effet, le rôle de ce parti fut de calomnier, de provoquer, d’infiltrer, de dénoncer les groupes et les militants d’opposition, pour parvenir à flirter seul avec le nouveau gouvernement. De plus, ils ont apporté leurs aides intellectuelles, leurs connaissances en politique et en économie pour un « parti » et un régime qui sont dépourvus de la confiance et de la collaboration des couches d’intellectuels et de spécialistes. Leurs conseils furent primordiaux dans la planification du système de rationnement, dans l’organisation des services de sécurité, dans les contacts avec les Pays de l’Est et surtout dans la reproduction d’une « idéologie politique moderne » pour une « théocratie ancienne ».

Un parti qui n’a jamais pris position contre l’invasion de la Tchécoslovaquie en 68, et qui présente l’armée rouge en Afghanistan comme le début de la « révolution Afghane », ne peut avoir en tête qu’une stratégie : celle de collaborer et de s’infiltrer dans les instances gouvernementales pour, ensuite, les prendre en main avec le « soutien » du grand frère.

Donc, faute d’avoir une audience chez une population, devenue de plus en plus mécontente du régime, il préfère gagner les « intellectuels » et les « hommes » du régime, même s’il faut pour cela se montrer partisan acharné de l’Islam et de la « ligne de Khomeiny » !

Jusqu’à maintenant, leur hypocrisie n’a eu aucun impact sur un système encore plus hypocrite, qui sait comment les utiliser pour ses propres fins.

Et les Mudjahedines ?

Ils étaient le groupe le plus important au moment du soulèvement, pour leur passé de guérilla.

Au début, ils étaient les partisans acharnés et le levier le plus important, dans l’installation de Khomeiny au pouvoir. Mais chassés par celui-ci et par les intégristes, ils ont pris le chemin de la dissidence. Cependant, toute dissidence ne signifie pas un progrès dans les options. Ils ont pris les mêmes arguments et le même modèle d’organisation centralisé et discipliné, dont dispose le régime, pour battre celui-ci. par conséquent, on est en face d’une fraction intégriste, peut-être pire, qui a été mise de côté et qui cherche maintenant le pouvoir pour son propre compte.

Aujourd’hui, aux yeux de la population, l’activité de ce groupe, souvent réduite aux attentats, apparaît plutôt comme un acte de vengeance qu’une solution sociale concrète. Ils sont donc en train de perdre les sympathies qu’ils avaient gagnées au début de leur opposition.

Où en est-on aujourd’hui ?

Au moment des querelles pour le pouvoir, entre les fractions du gouvernement et ceux qui désirent les remplacer, une société entière se trouve au pied du mur.

Manipulée, humiliée, écrasée, affamée, elle cherche son pain quotidien dans les queues interminables ou sur le marché noir. Sans moyen d’expression, ni de rassemblement elle cherche à communiquer ses douleurs pendant les queues ou dans les cercles familiaux. Parfois ça éclate ! Individuellement ou collectivement.

Des scènes « d’engueulades » collectives contre les autorités et les agents du régime ; des révoltes sauvages contre la pénurie organisée ou pour défendre des logements construits illégalement ne sont pas rares dans l’Iran d’aujourd’hui. Pour ne pas rappeler la révolte des Kurdes qui dure depuis le début de la révolution islamique.

C’est une situation explosive, mais on est encore loin d’une situation révolutionnaire. Car n’ayant plus confiance dans les « dirigeants » traditionnels, la population n’a pas trouvé encore une autre alternative de remplacement. Cela veut dire qu’après Khomeiny, le premier parvenu, dans le contexte actuel, qui arrive à libéraliser un peu la société et assurer le pain quotidien, peut trouver un écho dans la population.

Notre activité, en tant que libertaires fut jusqu’à maintenant de démystifier les structures saintes de l’Etat et les « leaders ». De rappeler la solidarité et la prise en main du quotidien, qui existaient lors du soulèvement.

Actuellement nos moyens d’interventions sont très limités, vu le climat de répression sauvage, mais on est sur un terrain social propice aux idées anti- autoritaires.

Analyse de la situation par le journal anti-autoritaire édité en Iran : « Le temps moderne »

2 réponses sur « Iran : la révolution assiégée… »

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