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Assia Khalifa : Nationalisme et football

Article d’Assia Khalifa paru dans Et Thaoura, journal révolutionnaire marxiste d’Algérie, n° 4, avril 1983, p. 2.


Quelle peut être l’arme pour le pouvoir, afin de s’assurer une relative stabilité et faire oublier à des millions d’Algériens, la misère dans laquelle ils vivent ? …

La coupe du monde 82, nous a montré que ce moyen, très efficace par ailleurs et qui a fait ses preuves, reste le FOOTBALL.

Pendant plus d’un mois, l’équipe nationale a constituée la « une » de tous les mass-médias. Jour après jour, durant toute la période où l’équipe nationale a évolué à GIJON, l’esprit des masses algériennes était sclérosé.

Dans les rues, dans les administrations, dans les bus, dans les cafés, dans les maisons… en un mot, dans chaque lieu qui pouvait être une occasion pour les gens de se regrouper, la discussion était arrivée que par un seul et unique sujet : « COMMENT BELLOUMI A MARQUE LE BUT ?… » ; la prestation de l’équipe nationale était passée en revue.

Gare à la personne qui osait parler d’un échec. Ne lui déplaise, elle était taxée de « HARKI ». Nous voilà revenus à plus de vingt ans en arrière…

Mais la situation subjective et objective de ces années-là n’est plus celle de l’ALGERIE d’aujourd’hui. A l’époque, l’objectif était clair : « arracher coûte que coûte l’indépendance nationale… »

Or qu’en est-il en ce mois de juin 1982 ? … Avait-on une indépendance à arracher ? … Laquelle ? … Avait-on besoin d’affirmer à six colonnes à la une, et ce, sans répit, que les joueurs algériens étaient supérieurs aux allemands, même si ces derniers furent des crapules et les plus grands adeptes du racisme ? …

Que signifiait l’amalgame (volontaire) auquel procédaient les médias entre nationalisme et un sport qui en fait devrait être neutre, le FOOTBALL ?

Quel était l’objectif visé à travers cet acharnement à semer le doute dans l’esprit des gens, et à vouloir leur donner d’autres préoccupations que celles de la vie quotidienne ? …

Le chauvinisme déclaré d’EL-MOUDJAHID, quant à son appréciation du match ALGERIE-RFA, devait-il s’étaler en de tels termes ; il est indéniable que l’équipe allemande a été de loin la plus raciste du MONDIAL, mais fallait-il que les journaux reprennent à leur compte les théories racistes de l’époque sombre de l’hitlérisme, et déclarent sans vergogne, la suprématie et la pureté d’un peuple sur un autre, d’une époque sur une autre ? …

NON ! A moins de faire revivre ce type de sentiments à dessein… N’oublions pas qu’à la même période, le LIBAN était en feu, les PALESTINIENS dans le plus grand isolement, et lâchés par leurs pairs. Et EL-MOUDJAHID avait l’indécence de consacrer jusqu’à quatre pages sur BELLOUMI, MADJER, et compagnie, alors que la question palestinienne n’avait droit qu’à une page ou deux : les sbires du pouvoir n’hésitant pourtant pas à prétendre que le gouvernement algérien était entièrement acquis à la cause des pauvres petits palestiniens, qui auraient mieux fait de disputer un match amicale avec l’équipe nationale.

De surcroît, et toujours en guise de soutien aux palestiniens, EL-MOUDJAHID présentait dans l’une de ses éditions, la victoire de l’équipe nationale, comme s’inscrivant dans le cadre de la lutte ANTI-IMPERIALISTE.

Non seulement il y avait de ça, mais toute l’information officielle, tendait à confondre victoire sportive à une bataille du destin et de l’honneur national ; comme ils l’ont démontré amplement lorsqu’ils s’est agit de mener le combat libérateur contre la puissance coloniale. Ils l’ont aussi démontré en se serrant les coudes face à l’adversité. Ils nous ont fait le cadeau de nous le démontrer face à la RFA.

Ainsi donc le FOOTBALL est devenu, après l’islam, la deuxième religion au service de l’état et de sa politique.

Celui-ci devient, avec le code de l’EPS du 23 octobre 1976 appliqué sur tout le territoire national depuis 1977, le garant direct et général des acquis de la révolution. Ainsi rien n’est épargné : « le sport est intégré dans les secteurs d’état tout comme le juridique, le social ou encore l’économique…

La coupe du monde 1982, nous a clairement démontré que le FOOTBALL est devenu en fait un instrument purement idéologique, un moyen de publicité politique. A travers les résultats sportifs de l’équipe nationale. C’était l’occasion pour la presse officielle, de faire connaître au monde entier, son « stade de développement », son système politique, sa politique tiers-mondiste. D’une certaine manière, comme l’a souligné à maintes reprises cette même presse, l’équipe nationale devenait le porte-parole, l’ambassadeur officiel du gouvernement algérien. Alors gare à ses défaites…

C’est toute une avalanche d’insultes qui l’attend, ou comme rapporte la rumeur publique, une gifle de CHADLI à MEKHLOUFI, directeur technique de l’équipe nationale après leur retour d’ESPAGNE…

Et comment ! Lorsqu’on sait que durant plus d’un mois, le pouvoir a pu s’assurer d’un certain calme, devant la cherté de la vie, le non versement des primes dans certaines entreprises, le malaise au sein des travailleurs…

Il a ainsi donné l’occasion aux masses populaires d’être absorbées par une affaire nationale, une affaire engageant l’intégrité territoriale, au détriment de leurs propres problèmes.

Par le biais de la coupe du monde 1982, le pouvoir a réussi à unir des millions d’algériens, de toutes classes et de toutes conditions, autour d’un seul souci : « LE TRIOMPHE DES 22 JOUEURS ALGERIENS, FACE AUX GRANDS ENNEMIS IMPERIALISTES »…

« LE PRESTIGE DE L’ALGERIE », « L’INDEPENDANCE NATIONALE », était en jeu ! … Comme l’a souligné EL-MOUDJAHID, dans son édition du 17 juin 1982 : « En ALGERIE : dès la fin de la rencontre, des centaines de milliers d’hommes et de femmes, d’enfants sont descendus dans les rues, de toutes les villes et villages d’ALGERIE dans une explosion de joie jamais vue depuis le 5 JUILLET 1962 ».

Et voilà la boucle est bouclée !!!

A défaut de manifester pour une vie meilleure, plus décente, pour arracher les droits démocratiques les plus élémentaires, nombreux ont été les algériens à se défouler autrement, avec en toute évidence, la bénédiction du pouvoir et de son système policier qui pour une fois n’eut pas à intervenir, sauf pour calmer les ardeurs ; et encore quand ils n’était pas de la « fête ».

Depuis MARX et ENGELS, la religion est considérée comme l’OPIUM DU PEUPLE. Il est temps de rajouter que le FOOTBALL est également cet OPIUM, à partir du moment où il ne constitue plus une distraction collective, mais bien un enjeu politico-idéologique de l’état algérien, comme d’ailleurs la plupart des états « BOURGEOIS ».

ASSIA KHALIFA

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