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Algérie. Le danger mortel du démocratisme

Article paru dans Le Prolétaire, n° 400, février-mars-avril 1989.

Les derniers mois sont marqués par le renouveau de l’agitation et par les manœuvres du pouvoir pour canaliser cette agitation dans le sens d’un ravalement de façade de l’édifice social sous la forme d’une « démocratisation » bien contrôlée. L’effervescence sociale touche plusieurs classes qui se manifestent de façon différente et pour des objets différents ; d’un côté, des couches petites-bourgeoises et bourgeoises s’agitent en faveur de la démocratisation et de la libéralisation d’un régime au sein duquel elles veulent conquérir une place plus grande ; de l’autre, la classe ouvrière qui aspire elle aussi à la fin de l’autoritarisme et de la répression dont elle souffre plus que quiconque, est entrée en lutte pour la défense de ses intérêts immédiats : plusieurs centaines de grèves dans tout le pays, selon la presse officielle elle même. Dans certaines usines des tentatives d’organisation indépendante ont eu lieu.

Le pouvoir est contraint d’agir pour désamorcer une situation qui restait tendue après que le « calme » ait été rétabli par la répression sanglante. Ses projets de démocratisation ont pour but de renforcer et de perfectionner la machine d’Etat en lui redonnant une légitimité bien ébranlée après octobre. Ils doivent aussi servir à adapter l’organisation politique de l’Etat aux modifications économiques provoquées par le degré de développement qu’a atteint le capitalisme algérien. Aux mesures de libéralisation économique dans l’industrie, le commerce et l’agriculture demandées par des fractions croissantes de la bourgeoisie et de la petite-bourgeoisie, doit correspondre une adéquation du système politique de façon à permettre une certaine expression des antagonismes et des rivalités sociales en vue de leur résolution au moindre coût politique et social.

Il n’y a là rien de révolutionnaire ; en prenant ce chemin, l’Etat algérien ne fait que suivre avec retard la voie tracée par le Maroc et la Tunisie. Mais les prolétaires ont aussi sous les yeux l’exemple de ces deux pays. Ils peuvent constater que malgré la démocratisation, les travailleurs y sont tout aussi férocement exploités et réprimés qu’en Algérie. La domination de la bourgeoisie n’en n’a pas été le moins du monde adoucie. Il n’y a donc aucune illusion à avoir : le pouvoir a fait la preuve en octobre contre des jeunes manifestants désarmés de ce dont il est capable lorsque l’ordre bourgeois est un tant soit peu ébranlé. Demain, démocratisé ou pas, il restera comme avant férocement attaché à la défense des intérêts capitalistes, particuliers ou généraux, d’Etat ou privés. Il sera toujours, comme tous ses collègues de par le monde, l’ennemi implacable de la classe ouvrière et des masses exploitées.

Ce sont là des vérités élémentaires qu’il importe tout particulièrement de rappeler aujourd’hui pour faire face aux manœuvres du gouvernement. Les partis d’opposition, même quand ils dénoncent les mascarades électorales du pouvoir et son processus de démocratisation, ne le font qu’en préconisant une « véritable démocratie ». C’est-à-dire qu’ils ne combattent que les formes que revêt la société bourgeoise et pas le capitalisme qui en est l’essence. Au plan économique et social ils ne vont pas au delà de l’opposition au capitalisme privé, vis-à-vis duquel ils défendent la prééminence économique de l’Etat bourgeois. Ils se situent donc au fond dans le même camp politique que le pouvoir car ils ne défendent que des variantes, plus ou moins impuissantes, plus ou moins utopiques, de la politique bourgeoise. Et les plus dangereux sont ceux qui, comme le P.A.G.S., prétendent concilier intérêts bourgeois (« nationaux », « populaires ») et intérêts prolétariens. Les trotskystes qui n’ont pas à faire oublier une longue histoire de collaboration de classes, constituent l’aile extrême, soi-disant « révolutionnaire » de cette opposition. Mais un examen rapide de leurs positions démontre que celles-ci relèvent du démocratisme petit-bourgeois et qu’elles constituent un danger mortel pour l’organisation révolutionnaire de classe du prolétariat.

Au moment même où l’Etat oeuvre à la consolidation de l’union nationale entre les classes avec sa démocratisation, les trotskystes n’arrivent à faire que de la surenchère, incapables qu’ils sont de tracer une perspective de classe aux travailleurs. C’est ainsi que la « déclaration du 4 novembre » de l’ORT, prise à titre d’exemple, est significativement intitulée : « Pour un débat national sur l’avenir du pays. Pour une Assemblée constituante souveraine ».

Dans ce texte, qui appelle à l’action de « toutes les forces sociales qui aspirent à la démocratie », on peut lire entre autres que « les limites des réformes proposées par Chadli ( … ) résident surtout dans la démarche (sic !), qui réduit la souveraineté du peuple (resic !) à dire oui à un réaménagement du système élaboré en dehors de lui » alors que seul un véritable « débat démocratique », concrétisé dans une assemblée constituante pourrait « diriger le processus de démocratisation de la société algérienne » jusqu’à l’adoption d’une « constitution démocratique ».

Tout ce que le démocratisme petit-bourgeois a jamais pu enfanter de plus creux et de plus lâchement réformiste semble s’être condensé dans ce texte d’une organisation prétendument marxiste !

Ce qui attend l’Algérie et ce à quoi doivent se préparer les prolétaires, ce n’est pas un « débat national » entre « toutes les forces sociales qui aspirent à la démocratie ». C’est l’aggravation de la lutte des classes entre ces forces sociales (ces classes), lutte des classes qui montrera de plus en plus son caractère international. L’amélioration de la situation de la classe ouvrière et à plus forte raison l’apparition d’un « nouveau système politique et social » ne pourra être le fruit d’un « processus » graduel de réformes. Elle sera le résultat des affrontements entre les classes culminant dans la prise violente du pouvoir et l’instauration de la dictature du prolétariat.

Cette perspective ne pourra jamais être envisagée par les petits-bourgeois de gauche ou « d’extrême-gauche ». C’est celle du prolétariat révolutionnaire, organisé autour de son parti communiste pour la défense de ses seuls intérêts de classe et qui, pour cette raison, pourra entraîner derrière lui les classes et couches plus ou moins opprimées à l’assaut de l’Etat bourgeois, au lieu d’être à leur remorque pour renforcer cet Etat.

Le démocratisme, lui, professe un respect superstitieux de l’Etat il cherche à estomper les différences de classes avec sa phraséologie vide sur la « souveraineté populaire », le dialogue et l’unité nationale. Comme il est l’expression de la petite-bourgeoisie située entre les 2 classes fondamentales de la société, il redoute par dessus tout le déchaînement de la lutte des classes car celle-ci y perd toute possibilité de jouer un rôle indépendant, de se prétendre dépositaire de l’intérêt général commun à tous. Le mouvement ouvrier représente pour lui une force sur laquelle il est possible de s’appuyer pour arracher des concessions à la bourgeoisie et à son Etat, à condition de le contrôler, de l’empêcher de lutter pour ses buts propres en le noyant dans le « peuple », c’est-à-dire dans un front interclassiste. La brochure trotskyste dont nous avons cité plus haut des extraits se conclue mélancoliquement ainsi :

« La peur de la bourgeoisie algérienne à assumer publiquement ses différenciations politiques et à faire face à la contestation sociale sera le principal frein de l’ouverture démocratique. Les masses ouvrières et populaires devront continuer à se mobiliser pour lui imposer la démocratie, l’indépendance de leurs organisations et la satisfaction de leurs revendications sociales ».

Oui, les masses ouvrières devront non seulement se mobiliser, mais continuer à lutter pour imposer leurs revendications immédiates, aussi bien économiques et sociales que politiques (salaires, droits d’organisation, de grève, d’expression, lutte contre la répression, pour l’égalité entre les sexes, etc.). Elles le pourront d’autant mieux qu’elle sauront éviter le piège de mettre leur force au service d’un but qui n’est pas le leur – la démocratisation de l’Etat bourgeois – qu’elles sauront trouver le chemin de l’organisation indépendante de classe, de la constitution du parti révolutionnaire international marxiste. Leur but sera alors, non pas d’imposer la démocratie à une bourgeoisie apeurée, mais de combattre et de vaincre cette bourgeoisie dans la lutte pour la révolution communiste mondiale.

Sur ce chemin, le démocratisme sous toutes ses variantes est un des obstacles les plus dangereux et les plus difficiles à surmonter, ainsi que l’a montré l’histoire de la lutte des classes.

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