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Pour une analyse de classe de la question des femmes

Article paru dans Travailleurs immigrés en lutte, n° 21, mai 1978, p. 12-16


L’époque actuelle offre une place relative aux revendications féministes : partout dans le monde se créent de nouveaux groupes de femmes, même dans les pays où la condition de la femme est particulièrement dur, – tel « Algériennes en Lutte » pour l’Algérie.

Tous ces groupes, par contre, se caractérisent pat un certain nombre de positions communes : la croyance, notamment, que les femmes en général forment un corps opprimé homogène – les bourgeoises aussi bien que les prolétaires -, non traversé par la lutte des classes et aux intérêts communs. Que, pour arracher au pouvoir leurs droits démocratiques élémentaires, la lutte devra rassembler toutes les femmes, quelle que soit leur appartenance de classe, contre l’oppresseur masculin et les moyens qu’il se donne. Il est sûr qu’il existe des nuances importantes chez chaque groupe. Ce sont ces positions qui, à notre avis, ont la plus sûre chance de dévoyer le mouvement des femmes, et principalement des femmes travailleuses, et de l’amener à une impasse. Nous pensons en effet pour notre part, qu’il n’y a pas de femmes en général, mais qu’il y a des bourgeoises et des femmes de la classe ouvrière, aux intérêts radicalement opposés. Que le combat des femmes de la bourgeoisie et de la petite-bourgeoisie ne peut aller au-delà de quelques réformes et améliorations de leur condition, sans remettre en cause le système économique qui sous-tend leur oppression, mais que seules les femmes travailleuses, et la classe ouvrière toute entière, sont susceptibles de se battre pour une réelle libération de la femme – par le renversement des classes exploiteuses. C’est ce que nous allons essayer de montrer.

Quel est le rôle de la famille dans le système capitaliste.

Dans la société bourgeoise, les femmes subissent apparemment la même oppression. Elles sont en effet la plupart du temps enfermées dans leur famille, confinées et réduites aux tâches ménagères, soumises à la tutelle de leur père ou de leur mari, dépendantes économiquement ou alors ne bénéficiant pas des mêmes droits que les hommes (condamnées par la loi dès qu’elles sortent de la morale et de l’institution de la famille, adultère, etc.).

Comment expliquer les traits communs de cette oppression ? Cela tient essentiellement à la famille monogamique (c’est-à-dire la famille principalement réduite au mari, à la femme et aux enfants, et où l’héritage se transmet aux enfants du nom du père), qui est la cellule de base du capitalisme. C’est elle, en effet, par les lois de son fonctionnement, qui permet aux classes de se reproduire, et à la propriété privée de se transmettre à l’intérieur de ces classes.

Ainsi, dans une société où les biens et l’héritage se transmettent dans la lignée du père (c’est-à-dire à ses propres enfants), celui-ci a besoin de s’assurer que ses enfants sont bien les siens, et non pas les fruits d’autres relations de sa femme. Pour ce faire, et pour que le mari n’aille pas, à sa mort, faire hériter de ses richesses des enfants que la société appelle « illégitimes » ou »bâtards », l’homme et la société vont organiser le contrôle des femmes et leur mise sous tutelle. La loi va punir très sévèrement l’adultère des femmes, – le mari « trompé » lui-même a eu parfois droit de mort sur sa femme -, et d’une manière générale, tout va être fait pour encadrer et enfermer les femmes loin des autres hommes. En Algérie, cet emprisonnement des femmes est particulièrement dur : claustration, voile, absence de droits, etc.

Ainsi, la famille sera sûre de bien transmettre sa propriété privée aux enfants du couple, et ainsi de contribuer à reproduire sa propre classe.

Car c’est bien l’héritage qui joue un rôle décisif dans la perpétuation des différentes classes sociales s une famille bourgeoise, possédant des moyens de production, et ayant suffisamment de biens pour éduquer ses enfants afin qu’ils deviennent de nouveaux bourgeois, assure ce processus en leur léguant également ses propres biens : ainsi, la possession de ces moyens de production se transmet de père en fils, à l’intérieur de cette classe.

De même, la petite-bourgeoisie (artisans, commerçants, médecins, avocats, techniciens, ingénieurs, …), qui ne possède pas directement les moyens de production, se reproduit en transmettant à ses enfants sa capacité à encadrer, diriger, par une éducation et un environnement culturel propres à ce que ces derniers deviennent à leur tour de nouveaux petits-bourgeois.

Enfin, le prolétariat, qui par la situation qui lui est faite, n’a aucune possibilité de transmettre à ses enfants ni propriété privée, – puisqu’il ne possède rien -, ni environnement culturel, puisqu’il n’a pas les moyens de leur payer des études, etc., reproduit le plus sûrement de futurs travailleurs qui, dès l’adolescence, n’auront d’autres ressources que d’aller s’employer et se faire exploiter dans les usines.

Dans les différentes classes, les femmes ont ainsi pour rôle d’assurer l’éducation des enfants du père, la transmission des valeurs et de la morale de leur couche sociale, et de favoriser l’environnement qui permettra aux enfants de prendre la relève de leur propre classe.

Cela se solde, comme nous l’avons vu, par une certaine oppression des femmes, dont la société capitaliste a besoin de s’assurer par un sévère contrôle. Cependant, la bourgeoisie est loin d’avoir les mêmes intérêts à l’oppression des femmes des différentes classes. En effet, si l’aliénation des femmes de la bourgeoisie la sert directement pour la reproduction de sa classe et de ses privilèges, l’oppression des femmes de la classe ouvrière va lui permettre, par contre, de perpétuer sa domination sur la classe exploitée. Voyons plus précisément le rôle joué par l’aliénation des femmes dans les différentes classes.

A qui profite l’oppression des femmes de chaque classe ?

La situation contradictoire de la femme bourgeoise vient de ce que, d’une part, le système capitaliste assure 1’égalité formelle de tous devant la propriété : ainsi, la femme comme l’homme ont la propriété commune de leurs enfants (produits de leur travail commun), ainsi que de leurs biens. Pourtant, la femme bourgeoise, membre à part entière de la classe dominante et propriétaire également des moyens de production, doit aussi subir une oppression destinée, comme on l’a dit, à assurer la transmission de la propriété privée aux enfants exclusifs de son mari.

C’est en effet la seule façon pour le capitalisme de garantir la reproduction des rapports de production : la famille monogamique et l’appropriation de la femme par son mari permet, à ce qu’on a vu, que la propriété privée reste dans la famille et, par l’héritage, que l’appartenance future des enfants à la classe dominante leur soit garantie. La propriété ne sort ainsi pas de la classe.

C’est ce qui explique que la femme bourgeoise, directement bénéficiaire des richesses de sa classe, n’ira jamais jusqu’à remettre en cause la famille, cellule de base nécessaire au système capitaliste, ni la totalité de son oppression. Dans une certaine mesure, elle profite de son propre encadrement, puisque c’est lui qui permet à sa classe de se reproduire et de profiter des privilèges de sa domination.

Il n’y a qu’à voir les objectifs des mouvements féministes bourgeois de tous les pays depuis un siècle : tout au plus se battent-ils contre les aspects les plus caricaturaux de cette oppression, ceux dont la suppression n’est plus d’aucun danger pour la reproduction des classes.

Il en est d’ailleurs de même pour les mouvements féministes qui traversent la petite-bourgeoisie : les femmes petites-bourgeoises ayant intérêt au maintien de la division capitaliste du travail, n’iront jamais non plus jusqu’à combattre le capitalisme, ni la famille (assurant la transmission à la génération future de leur capacité à encadrer, diriger …), qui leur procurent certains privilèges, aussi minimes soient-ils quelquefois. Ainsi, malgré leur langage plus radical que les femmes de la bourgeoisie et leur sensibilité plus grande à leur oppression (qui peut être proche de celle des femmes travailleuses), elles ne peuvent que freiner le mouvement et le dévoyer.

Par contre, contrairement aux autres classes, le prolétariat n’a, lui, aucun intérêt objectif à l’oppression des femmes travailleuses. N’ayant aucune propriété privée à léguer à leurs enfants, – puisque les travailleurs ne possèdent que leur propre force de travail -, les prolétaires hommes ne gagnent rien à la tutelle des femmes (qui ont d’ailleurs historiquement bénéficier d’une liberté relativement plus grande que celle des femmes des autres classes). En effet, la classe exploitée n’a pas d’intérêt à sa reproduction, mais bien plutôt à sa propre destruction en tant que classe.

Pourtant, les femmes de la classe ouvrière sont bel et bien opprimées, et souvent de façon très brutale, du fait des conditions de vie misérables où vivent les travailleurs. Alors, qui entretient cette aliénation des femmes travailleuses, et dans quels buts ?

En fait, nous devons comprendre que c’est bien la classe dominante qui entretient cette oppression : en traitant hommes et femmes de la classe ouvrière de façon différente, la bourgeoisie créé une division qui va affaiblir les forces du prolétariat et l’empêcher, du moins pour un temps, de lutter contre son sort.

Son action va s’effectuer sur deux tableaux : d’abord, l’idéologie bourgeoise (morale, religion, lois, etc…) va diviser la classe ouvrière en la persuadant que la division de la société se fait entre hommes et femmes, sur la base de la division « naturelle » des sexes, (la femme « féminine », « inférieure », …), et non en classes aux intérêts irréductibles.

Mais surtout, elle va « acheter » une partie du prolétariat (de façon toute relative) par divers « privilèges », et créer de la sorte une hiérarchie au sein de la classe ouvrière, les travailleurs bénéficiant d’une situation « meilleure », (si l’on peut dire), que celle des travailleuses sur le marché du travail. La classe dominante doit en effet s’affronter à la tendance générale du capitalisme (dont le développement industriel a besoin d’une main d’oeuvre de plus en plus nombreuse ) à attirer toujours plus de femmes dans les usines, et à créer ainsi les bases objectives à l’égalité des travailleurs et des travailleuses, et à l’unité du prolétariat dans son combat contre les exploiteurs.

La bourgeoisie doit ainsi mettre tout son poids pour empêcher une telle unité (qui menacerait son existence de classe oppressive), et pour maintenir la division ; elle va donc jouer toutes ses cartes : en créant artificiellement cette hiérarchie hommes/femmes dans la classe ouvrière, en faisant des femmes travailleuses un sous-prolétariat sous-qualifié et sous-payé, en licenciant systématiquement les travailleuses avant les travailleurs, en considérant le salaire des femmes comme un « salaire d’appoint », en embauchant d’abord les travailleurs hommes, elle réussit de fait à installer d’une part une division, et donc à handicaper et dévoyer fortement le mouvement ouvrier.

En Algérie, par exemple, il est notoire que la très grande majorité des travailleuses (qui ne représentent en plus que 4 %) ne sont pas syndiquées. En Europe également, depuis le siècle dernier, la Première Internationale et jusqu’à il y a peu, les syndicats, ont toujours répugné à défendre les femmes travailleuses : les patrons se servaient en effet des salaires inférieurs des femmes pour faire pression sur ceux des travailleurs, et entretenaient ainsi la concurrence et l’hostilité des hommes.

Ce n’est que très récemment que le PC français, par exemple a entrepris de récupérer et d’étendre son contrôle aux luttes des travailleuses, qui commençaient à se multiplier hors de son contrôle.

Enfin, dans les pays industriels avancés, cette manœuvre patronale réussit à établir une division beaucoup plus solide que celle basée sur le racisme : elle permet de faire subir aux femmes les flux et les reflux de la crise, en n’encourant pas les risques d’une concentration de travailleurs immigrés chômeurs dans les bidonvilles. Les femmes, elles, rentrent au foyer, comme elles ont été conditionnées à le faire, et constituent pour le patronat une formidable armée industrielle de réserve.

Les dangers du féminisme.

Telles sont brièvement les raisons objectives pour lesquelles la lutte contre l’oppression des travailleurs doit obligatoirement être celle de la classe ouvrière toute entière. Seuls les travailleurs et les travailleuses, et avec eux, tous ceux qui auront choisi de rompre avec leur classe pour rejoindre la classe ouvrière, peuvent être « révolutionnaires jusqu’au bout » ; car eux seuls ont pour objectif de détruire le système capitaliste, et avec lui, tout ce qui en assure la survie : famille monogamique, propriété privée (ou collective, comme pour une bourgeoisie d’Etat), héritage, et par là oppression des femmes.

Au contraire, rejoindre les mouvements féministes bourgeois ou petits-bourgeois, voilà le plus sûr moyen pour les travailleuses, pour les femmes de la classe ouvrière, de se battre pour des intérêts qui ne sont pas les leurs.

On ne peut pas lutter avec des femmes bourgeoises contre ce qui est à la base de notre aliénation, c’est-à-dire contre les rapports de production actuels, quand ces femmes ont tout intérêt à maintenir ces rapports et à entretenir l’exploitation forcenée d’une classe par une autre.

Nous devons bien voir que ces mouvements féministes ne servent pas la classe ouvrière, mais bien plutôt les intérêts des classes dominantes. Leur programme bourgeois revient de fait à caporaliser le mouvement des femmes de la classe ouvrière, et à le mener sur une voie de garage.

La seule alternative pour les femmes travailleuses, et pour tous ceux qui veulent lutter de façon conséquente pour la libération de la femme, est en fait de s’organiser sur des bases de classe, de façon autonome vis-à-vis des couches dominantes : et leur plus grand intérêt sera de rejoindre les organisations internationalistes de l’avant-garde ouvrière, qui luttent elles-mêmes, hommes et femmes, contre l’oppression des femmes et pour le renversement du système capitaliste exploiteur.

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