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Le code de la famille en Algérie

Article paru dans Les yeux ouverts, n° 1, 1984, p. 3-8


Personne n’a jamais contesté la participation des femmes algériennes à la guerre de libération nationale. Cette participation devait même permettre aux femmes d’ouvrir des brèches pour leur émancipation et les faire participer à la gestion publique de la Nouvelle Algérie indépendante. Mais, c’était compter sans les forces réactionnaires et traditionalistes qui, une fois la guerre terminée, ont décidé autrement du sort des femmes. Bien vite, elles ont été exclues du rôle qu’elles entendaient jouer dans la construction du pays et renvoyées devant leurs fourneaux !

Pour éviter toute contestation possible, toute revendication de leurs droits, le gouvernement met en place dès 1963 l’UNFA (Union Nationale des Femmes Algériennes) pour canaliser les aspirations des femmes. Et pour s’assurer un plus grand contrôle sur les femmes, le nouveau régime issu du coup d’état, de 1965, décide de promulguer un code de la famille.

Donc, c’est en 1966 que l’on parle pour la première fois d’un code de la famille en Algérie. La deuxième tentative du gouvernement de faire passer son projet se situe au début des années 70 (probablement en 73). La suivante, plus proche de nous, datant de fin 79, a déclenché un fort couvrant de protestation parmi les femmes.

CADRE GÉNÉRAL DES DIFFÉRENTS PROJETS.

Les différents projets que nous avons eu à notre connaissance, ont été motivé par la volonté des pouvoirs en place, de définir le cadre de l’évolution des femmes et de la famille dans le respect des valeurs et traditions arabo-musulmanes. Les femmes étant les gardiennes de ces valeurs.

Il faut rappeler qu’en Algérie, l’Islam est religion d’Etat, et qu’en l’absence de texte juridique officiel, c’est la loi coranique qui permet de statuer dans les affaires matrimoniales. C’est cette même loi qui a inspiré les rédacteurs des différents projets de code de la famille ou statut personnel. On peut dire que la volonté des dirigeants Algériens est d’inscrire dans des textes officiels et de légaliser l’oppression des femmes et ainsi étouffer toute revendication, toute lutte des femmes allant dans le sens de leur libération.

Pourtant, on peut lire dans la Charte Nationale dans le chapitre « La promotion de la Femme Algérienne » que

« c’est encore la femme qui reste le meilleur défenseur de ses propres droits et de sa dignité, tant par son comportement et ses qualités, que par une lutte inlassable contre les préjugés, les injustices et les humiliations. » (Charte Nationale, 1976 p. 72 éditée par le F.L.N).

Que de contradictions entre les textes officiels tel que la Charte Nationale et les discours aussi officiels des dirigeants ! D’une part il est reconnu que seul les femmes par leur lutte, peuvent faire aboutir leurs revendications, et d’autre part, les revendications des femmes découlent d’attitudes bourgeoises. (Lors du dernier congrès de l’UNFA, le coordonnateur du FLN affirmait :

« Certaines (femmes) s’expriment à travers la revendication de la liberté, de l’égalité des salaires et dans le travail, ainsi que dans la discussion en commun de problèmes tels que le divorce, le mariage ou la participation à l’action politique. Ce genre de préoccupations qui prévalent dans le monde capitaliste découlent en réalité d’attitudes bourgeoises dénuées de toute dimension sociale et procèdent de l’individualisme et de l’égoïsme). »

C’est peut être en partie pour éliminer les contradictions et faire obstacle à la lutte des femmes, qu’il est urgent pour le pouvoir de promulguer « le code portant statut personnel ». Il va sans dire que la réalisation d’un tel projet représente un grave danger pour l’ensemble des femmes et pour les combats à venir du mouvement des femmes encore jeunes aujourd’hui.

CONTENU DES DIFFÉRENTS PROJETS

La partie que nous tenterons d’analyser brièvement concerne
essentiellement le livre premier : « du mariage et de sa dissolution ».

1/ Le mariage

L’âge légal requis pour contracter un mariage est de 18 ans révolus pour l’homme et 16 révolus pour la femme. Les trois projets prévoient d’accorder une dispense d’âge. Dans les deux premiers avant-projets il est précisé, « qu’il n’y a pas de mariage sans le consentement des futurs époux ». Le consentement doit être explicite, non équivoque. Alors que l’article 7 du dernier projet stipule que « le mariage est contracté par le consentement des futurs conjoints, du tuteur matrimonial et de deux témoins. » Il est précisé que le mariage a pour but de procréer et de fonder une famille.

2/ La dot

Dans les deux premiers projets, la dot est nécessaire alors que le troisième précise qu’elle « qu’elle doit être déterminée dans l’acte de mariage ». Les 3 projets prévoient comme cause de nullité l’absence de dot au moment du mariage.

3/ La polygamie

Elle est autorisée, mais le 3e projet précise qu’elle ne sera accordée qu’avec dérogation pour celui qui sera réputé capable d’assurer l’équité dans la fourniture du logement, et de l’entretien légal des coépouses. Toutefois, il est permis aux femmes de faire stipuler dans le contrat de mariage qu’elle refuse la polygamie.

4/ Les effets du mariage

Ils sont les obligations et les devoirs de chacun des conjoints. Le mari est chef de famille et la femme concourt avec lui à assurer la direction morale et matérielle de la famille. Les deux premiers projets permettent aux femmes d’être à peu près sur le même pied d’égalité que les hommes, alors que le 3e projet fait obligation au mari de subvenir à l’entretien légal de son épouse suivant ses possibilités et partager équitablement son temps s’il a plusieurs épouses. Par contre, la femme est tenue d’obéir à son mari, de lui accorder des égards et d’allaiter sa progéniture si elle est en mesure de le faire.

5/ Le droit au travail

Seul le 2e projet prévoit le droit au travail des femmes sans que celui-ci ne soit soumis au consentement du mari. Dans le 1er et le 3e projet, la possibilité pour les femmes d’exercer une profession, existe, mais elle reste soumise à l’autorisation du mari. Il est même stipulé dans le 3e projet que la femme doit inclure une clause dans le contrat de mariage lui permettant de travailler à l’extérieur du domicile conjugal.

Ce recul doit être compris dans le contexte de crise économique actuel qui n’épargne pas l’Algérie qui doit faire face à une montée du chômage des hommes. C’est une remise en cause fondamentale du droit au travail des femmes, alors que les discours démagogiques du pouvoir ne cessent d’affirmer que les femmes doivent participer aux tâches d’édification nationale.

6/ Mariage mixte

II est interdit à une musulmane d’épouser un non musulman. L’inverse n’étant pas précisé, on peut penser qu’il est admis. Le 2e projet prévoit même cette possibilité en la subordonnant à l’autorisation préalable du
Ministère de l’Enseignement originel et des affaires religieuses.

7/ Le divorce

Les deux premiers projets énoncent les différentes causes du divorce en précisant qu’il peut être du fait de « l’un ou l’autre des époux ». Alors que le 3e projet stipule que « la dissolution du contrat de mariage est de la faculté exclusive du mari ». Par contre, il est permis à l’épouse de demander le divorce à certaines conditions (sévices corporels, abandon du mari du domicile conjugal, condamnation du mari à une peine de prison, etc…). On peut dire que la répudiation est maintenue, même si celle-ci doit être confirmée par jugement .

Dans la 2e partie des 3 projets de statut personnel est abordée la question des successions. En matière d’héritage, le principe qu’une part pour l’homme équivaut à 1/2 part pour la femme est maintenu, en suivant une certaine hiérarchie en fonction du degré de parenté.

On peut remarquer que même si les deux premiers projets n’étaient pas très favorables aux femmes, le 3e l’est encore moins et que sur certains
(droit au travail, droits et devoirs, obligations, divorce) il y a un recul considérable. Ce recul peut s’expliquer en partie par la montée du mouvement intégriste (ou des Frères Musulmans) et par la présence
au sein du pouvoir de forces réactionnaires (traditionalistes) avec lesquelles le gouvernement est obligé de composer.

LA LUTTE DES FEMMES EN ALGÉRIE

1/ La naissance du mouvement autonome de femmes.

C’est au milieu des années 70, que commence à émerger dans certaines villes d’Algérie (Alger, Oran, Constantine…) un mouvement de femmes. Des femmes se réunissent sur différents projets comme à Oran où elles mènent une réflexion sur l’oppression des femmes.

Mais c’est à partir de 1979 que les femmes montrent leur réelle capacité de lutte, et leur volonté de constituer un mouvement de femmes autonome par rapport aux organisations politiques ou syndicales qu’elles soient de l’opposition ou liées au pouvoir.

En février 1979, à l’annonce de la rédaction d’un avant-projet de code de la famille, des femmes ont constitué des commissions pour discuter de ce problème. Le 8 mars de la même année, une Assemblée Générale réunit 200 femmes. Une motion rédigée lors de cette Assemblée a été transmise à l’UNFA. Les femmes demandaient, entre autres, à participer à la rédaction de l’avant-projet.

Un autre temps fort de la lutte des femmes se situe au début de l’année 1981 lorsqu’est mise en pratique une mesure interdisant aux femmes, quelque soit leur âge, de sortir du territoire algérien sans être accompagnée de leur père, de leur mari… Aussitôt une pétition circule « exigeant le droit à la libre circulation de tous les citoyens et donc des femmes ». En même temps une délégation est reçue par le Ministère de l’Intérieur qui reconnaît que de telles pratiques sont inconstitutionnelles, et qu’en l’absence d’un texte en la matière, il ne pouvait y opposer un démenti écrit. C’est à cette période que le collectif des femmes d’Alger est né.

2/ La lutte contre le code de la famille

C’est en septembre 1981 que El Moudjahid annonce que le projet de statut personnel va être soumis à l’A.P.N. (Assemblée Populaire Nationale). Lorsque le contenu du texte fut porté à la connaissance des femmes, celles-ci se mobilisent rapidement. Une pétition commence à circuler et recueille près de 18.000 signatures. Plusieurs rassemblements sont organisés devant l’A.P.N. Les femmes dénoncent le silence qui entoure la préparation du texte et l’absence de consultation populaire, elles exigent que le peuple puisse décider librement et démocratiquement.

Même si des personnalités féminines, telles que Mme Bitat, femme du Président de l’A.P.N., Djamila Bouhired, ancienne moujahida, ont participé à l’action, il n’en reste pas moins vrai que la lutte engagée contre le code du statut personnel a été à l’initiative du collectif des femmes d’Alger composé de travailleuses, d’étudiantes.

Effrayé par l’ampleur du mouvement de protestation, le Chef de l’Etat annonce sa décision de reporter le projet de statut personnel et de replacer la question dans le cadre plus global du dossier sur la famille. C’est une grande victoire que venait de remporter le collectif des femmes d’Alger et des femmes qui l’ont soutenu.

Mais rapidement après cette victoire, la répression s’est abattue sur les militantes du collectif tout comme sur les militants qui luttent pour les libertés démocratiques et pour l’Algérie réellement socialiste. Suite à la répression, tous les collectifs universitaires existants se sont disloqués, le Gouvernement a opéré à une épuration jusque dans les organisations de masse telle que l’UGTA.

Actuellement toute perspective de lutte et de mobilisation à tous les niveaux est pratiquement inexistante. Le pouvoir a profité de cette accalmie pour procéder à une vague d’arrestation de militants et militantes.

Aujourd’hui encore, des femmes ayant participé à la lutte contre le code de la famille sont emprisonnées. Quelques-unes d’entre elles avaient entamé une grève de la faim en mars dernier pour obtenir de meilleures conditions de détention que l’administration pénitentiaire leur a accordé.

DANS L’IMMIGRATION

Dans l’immigration, même si le statut personnel n’est pas très connu dans la communauté algérienne, certaines pratiques existent et continuent à se transmettre par les mères « gardiennes des valeurs traditionnelles ». Ces valeurs jalousement maintenues dans un pays souvent hostile aux différences, afin d’éviter un vide culturel ou une pseudo-assimilation.

Pour cela, les familles algériennes sont aidées et soutenues et leurs pratiques cautionnées par les représentants du gouvernement algérien tels les consulats ou l’amicale des algériens en Europe. Quelques exemples pour dire quels types de soutien peuvent apporter ces représentants.

* Il y a quelques années, l’A.A.E. organisait des colonies de vacances en Algérie pour les enfants d’immigrés afin de leur permettre de connaître leur pays dans lequel ils vivraient un jour. Rien de critiquable à cela, si ce n’est qu’ils proposaient aussi aux parents qui avaient des difficultés avec leurs enfants de moins de 16 ans (surtout les filles), de les envoyer en colonie et une fois en Algérie, leur interdisaient de sortir du territoire algérien.

* Un jeune algérien décide d’aller chercher sa sœur (majeure) qui s’était rendue à l’étranger après avoir quitté le domicile. Celui-ci s’adresse au consulat le plus proche pour lui expliquer son problème. Ni de une, ni de deux, en 24 heures son passeport a été renouvelé et le consul lui remettait 500 Frs pour ses frais de déplacement !!!

* Une jeune femme algérienne qui travaille, refuse de donner son salaire intégralement à son mari exigeant. C’est le consulat qui décidera et obligera cette jeune femme à verser l’intégralité de son salaire à son mari.

C’est une des manières de maintenir la dépendance économique des femmes.


Code de la famille

Mardi 29 mai 1984, l’A.P.N. (Assemblée Populaire Nationale) a adopté un code de la famille et une fois de plus les femmes n’ont pas eu leur mot à dire.

Rien n’a changé ou presque, ce code maintient la polygamie même s’il y a des restrictions, qui sont d’ailleurs puisées dans le Coran « les épouses doivent être traitées avec équité… ».

– Limite le divorce en cas « d’infirmité du conjoint, de conduite immorale établie ou d’absence de plus d’un an du domicile conjugal sans excuse » mais qu’est-ce que cela veut dire dans la pratique lorsqu’en Algérie où la répudiation est interdite depuis 1959, un sondage révèle qu’à Alger les hommes mariés interrogés avaient en moyenne déjà répudié deux épouses (Les femmes dans l’Islam – Yasmina Nawal).

– Ne met pas sur le même plan d’égalité la femme et l’homme,
concernant l’héritage etc…

Mais malgré tout, l’article du Monde du 1er juin 1984 trouve le moyen de titrer en première page « L’Algérie renforce les droits de la femme ».

Alors sur quelle base M. Jean de la Guerivière (Journaliste au Monde) peut-il écrire que « le nouveau code de la famille atténue les inégalités entre les sexes » ?

Nous ne voyons rien, quant à nous, qui puisse nous réjouir dans cet article.

Il poursuit en indiquant que « la mouture adoptée résulte d’un DOSAGE SAVANT entre la coutume ancienne et les aspirations au modernisme ».

En fait, que ce soit pour la polygamie, pour l’héritage, pour le divorce etc… la « dose » de Coran est plus importante que le reste.

Ce qui implique que la femme est considérée comme l’éternelle mineure, toujours sous l’autorité du père ou du mari.

Il faut que les choses changent. Déjà en 1981 grâce aux mobilisations des femmes en Algérie, le Gouvernement a été obligé de retirer le premier projet de ce code de la famille.

C’est pourquoi, aujourd’hui encore les femmes doivent se mobiliser en Algérie comme dans l’immigration pour faire aboutir leurs revendications.

– Pour l’instauration d’un Code Civil et Laïque.
– Contre toute tutelle juridique.
– Refusons l’autorité maritale.
– Pour l’interdiction de la polygamie.
– Nous demandons l’interdiction effective de la répudiation.
– Le droit au divorce sur simple demande.
– Le droit à l’héritage au même titre que les hommes.
– Le droit au travail sans demander l’accord au mari.
– Pour le libre choix du conjoint indépendamment de sa nationalité ou de sa religion.

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