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Une citoyenneté pour l’égalité des droits

Dossier paru dans Courant alternatif, n° 66, mai 1987, p. 17-19


C.A s’est fait l’écho de rencontres nationales d’associations issues de l’immigration et de certaines associations de solidarité (n° 61 et 64) qui ont débouché sur un projet de charte, aujourd’hui en discussion.

Ce projet de charte énumère des revendications pour le droit de vivre en France afin d’œuvrer à l’égalité des droits entre tous les résidents, sans exclusive, sur le sol français.

Il a suscité une contribution du « Centre d’Etude sur le Racisme et le Fascisme » de Toulouse, que nous publions ici.

De plus, comme nous l’annoncions dans le n° 64, les associations « Texture et Miroir » de Lille-Roubaix ont pris l’initiative de mettre en circulation une carte de citoyen marquant symboliquement leur volonté d’égalité des droits quelle que soit la nationalité. Nous les avons rencontrés afin qu’ils précisent leur démarche et la signification qu’ils donnent à leur revendication de citoyenneté.

La contestation du projet de réforme du code de la nationalité a remis à l’ordre du jour le débat sur la citoyenneté. Toutes les composantes de l’immigration ou issues de celle-ci, organisées en associations (jeunes ou moins jeunes) en discutent ; en témoigne le dernier forum du C.A.I.F. (Conseil des Associations des Immigrés de France), qui lui était entièrement consacré.

Ne nous y trompons pas: entre les jeunes qui ont défilé le 15 mars à Paris en scandant : « la nationalité c’est dépassé, c’est la citoyenneté que nous voulons » et la majeure partie de cette manif contre le projet de code de la nationalité de la Droite au pouvoir, il y a un gouffre… qui repose sur le vécu d’exclus du fameux Etat-de-droit qui essaient de s’auto-organiser avec tous les balbutiements inhérents à ce genre de démarche. Ce débat sur la citoyenneté met à l’ordre du jour tout un questionnement sur le rapport de l’Etat à la Nation et à la société civile, le rapport entre citoyen et Etat, la définition même de la démocratie qui touche une frange plus large que les révolutionnaires patentés même si elle reste encore infime.

Nous laisserons le mot de la fin de cette introduction à l’association Texture, actrice du débat sur la citoyenneté :

« Ce combat sera donc de long terme et a pour condition la convergence avec d’autres catégories sociales, elles aussi exclues d’une citoyenneté réelle, mais ce combat de long terme ne doit pas nous faire oublier le travail immédiat et quotidien de défense des droits et intérêts de nos communautés. Ce combat de tous les jours contre les discriminations, les expulsions, les centres de rétention, les crimes racistes… constitue au contraire la condition première pour faire avancer notre revendication de citoyenneté.
A son tour, ce combat a pour condition nécessaire la construction d’un mouvement autonome et coordonné des associations issues de l’immigration »


(Tiré de leur brochure : De l’antiracisme à la revendication de CITOYENNETÉ)

Contribution au débat sur le projet de Charte

Immigrés : luttes pour les droits démocratiques et/ou lutte de classe ?

Deux cents ans après la Révolution française qui avait affirmé l’égalité (de principe) des droits de tous les citoyens, au delà de la nationalité d’origine, de la Commune de Paris en 1871, de la Libération, malgré les diverses Déclarations de Conventions internationales sur les Droits de l’Homme, la France de 1987 reste un pays prétendu démocratique qui ne respecte pas la plupart de ces droits, ni même ses propres déclarations : à savoir entre autres :

– Le droit au travail ou à un revenu pour tous.
– Le droit à un logement décent et à la dignité,
– Le droit de circuler librement,
– Le droit de manifester,
– La liberté d’expression,
– Le droit d’asile,
– L’égalité totale des droits.

etc … De fait, des dénis de droits visent uniquement les travailleurs et encore plus les immigrés et étrangers résidant en France.. Pourtant, toutes ces grandes déclarations de principe ont été élaborées et ratifiées par les classes dirigeantes, tout en sachant que ce sont seulement les luttes qui les ont imposées, mais chaque fois que la classe dirigeante sent sa domination menacée, elle cherche à les remettre en cause, sous des prétextes fallacieux (chômage, sécurité … ). Mais ces remises en cause ne peuvent se faire que s’il n’y a pas un rapport de force suffisant pour s’y opposer, de la part des forces sociales concernées (celles-ci sont réduites à des luttes défensives du statu-quo !). En France les luttes pour l’égalité des droits des immigrés n’ont jamais été impulsées par les forces « progressistes » et encore moins soutenues par la majorité de la population. Il en va aujourd’hui de ces luttes comme hier des luttes de Libération nationales des peuples colonisés, par la France, c’est une fraction de ces peuples qui ont pris en main leurs luttes, soutenus parfois par des minorités révolutionnaires mais souvent, en fin de compte, au profit d’une nouvelle classe dirigeante, niant les droits élémentaires du peuple ! Ce n’est pas une raison a priori pour condamner toute lutte de libération nationale, mais pour chercher à lui donner un caractère de classe et internationaliste, voir la Kanaky. Pour l’instant les luttes par rapport à l’immigration se sont souvent menées sur le thème de l’anti-racisme (idée humaniste ralliant une fraction libérale de la droite (Stasi, S. Veil, …) sans accords positifs. Dans l’antiracisme, l’immigration reste l’objet du débat, et rarement le sujet, chaque fois qu’elle a voulu prendre en main ses luttes (foyers Sonacotra, sans papiers) elle s’est retrouvée isolée, soutenue par des minorités gauchistes et des curés ! Pour l’instant on constate qu’il n’y a pas de mouvement autonome de l’immigration (sur quels objectifs ?)

Par ailleurs, et banalité de base, l’immigration représente une fraction importante du prolétariat en France, et qu’elle ait obtenu les mêmes droits sociaux que les travailleurs « français » ne change rien sur le fond, les réalités quotidiennes sont les mêmes, chômage, crise du logement, difficulté de vivre… avec le racisme en plus !

C’est d’abord au sein des luttes de classe (Renault, bâtiment…) que s’est faite l’unité entre travailleurs et c’est là que la bourgeoisie s’est sentie menacée, voir les déclarations du gouvernement de gôche en 83. L’unité des travailleurs est bien proportionnelle aux luttes de classe bien que les objectifs soient limités !

Si la lutte de classe reste l’enjeu principal de l’unité, d’autres conditions sont déterminantes, surtout au niveau de la jeunesse (scolarisée ou non) à partir de notre vécu quotidien commun (la vie dans les quartiers, la musique…). Ce vécu commun crée une culture commune qui n’a plus rien à voir, ou peu, avec les cultures dominantes (des classes dirigeantes d’origine judéo-chrétienne ou musulmane). Nos références aujourd’hui vont des groupes musicaux des Béruriers Noirs à Carte de Séjour… A nous d’amplifier cette nouvelle culture sous toutes ses formes.

Aujourd’hui, les luttes de l’immigration ou autres contre la droite (et la bourgeoisie) sont purement défensives et ne peuvent offrir de perspectives unifiantes. Nous devons trouver des objectifs, partant de nos soucis quotidiens, qui permettent de nous unir pour de nouvelles avancées. La définition d’une nouvelle citoyenneté égalitaire dans le but d’une nouvelle société peut être un des objectifs.

Pour l’instant nous savons que le racisme, au sens large, est toujours là, développé par la crise, entretenu par l’extrême droite (FN) et la droite et qu’il faut donc en combattre toutes les causes : économiques et sociales, ses effets idéologiques. La prochaine campagne électorale pour les présidentielles aura lieu dans le même contexte et les mêmes forces politiques (où l’extrême droite aura encore un rôle important) mais une fois de plus allons-nous mener une lutte purement négative (nécessaire mais insuffisante) face au FN et aux menées répressives et racistes du pouvoir ?

La lutte pour l’égalité totale des droits entre « français » et immigrés ne doit pas être un objectif lointain, mais bien une nécessité de principe à court terme (l’égalité de fait ne pouvant être réalisée que dans le cadre d’une autre société !) mais d’autres revendications communes doivent être trouvées : contre le chômage ; baisse du temps de travail (35 h), revenu garanti pour tous, droit au logement, liberté de circuler, suppressions des contrôles policiers, des cartes d’identité informatisées, de la détention préventive, etc. Un mouvement autonome unitaire ne pourra se construire que sur des objectifs unitaires et sur la perspective de construction d’une autre société débarrassée du capitalisme.

A suivre

« Quand le gouvernement viole les libertés et les droits garantis par la Constitution, la résistance, sous toutes ses formes est le plus sacré et le plus impérieux des devoirs ». Art. 21 de la déclaration des droits de la constitution de 1946 !

Centre d’Etude sur le racisme et le Fascisme
BP 4131 – 31030 Toulouse cedex


Citoyennement vôtre

Dans quel contexte situez-vous le lancement de la carte de citoyen ?

C’est une initiative un peu symbolique. Nous voulons sortir du débat
actuel sur le code de la nationalité, montrer que les enjeux réels ne sont pas là. La société française exclut une majorité de personnes du débat politique et de la prise de décisions. Le concept de citoyenneté, que nous tirons de l’histoire de France, permet de regrouper tous les exclus, de les impliquer dans les décisions qui concernent leur vie quotidienne.

Les Français ont les mêmes droits politiques. Mais cela ne saurait occulter de criantes inégalités sociales. Qu’en sera-t-il des citoyens ?

Pour nous, se réapproprier sa qualité de citoyen, c’est se battre au quotidien. Association issue de l’immigration, nous demandons aux immigrés de participer dans leur quartier, aux organismes de logement, aux comités de chômeurs, aux organismes culturels… En tant qu’immigrés, nous devons nous exprimer sur l’oppression multiforme que nous subissons, mais nous devons rejoindre les autres exclus de la société, qui manquent actuellement de lieux pour réagir aux agressions dont ils sont victimes. La notion de citoyenneté peut permettre de regrouper tous ceux qui ne se retrouvent plus nulle part.

Par ailleurs, nous voulons obtenir une reconnaissance juridique du droit de chacun, quelle que soient sa nationalité et sa position sociale, à décider de sa vie.

Comment s’est passé le lancement de la carte de citoyen ?

Le 21 mars a eu lieu à Lille et Roubaix le lancement des cent premières cartes. Nous en avons en fait remis 130. Depuis, nous continuons à en distribuer régulièrement. A Lille, 40 à 45 % de ceux qui ont pris la carte sont des Français ce qui nous semble extrêmement important pour éviter l’isolement, la ghettoïsation. Nous voyons dans cette carte un moyen de rassemblement, et nous essayons d’amener d’autres villes à la prendre en main.

Un immigré peut-il, lors d’un contrôle d’identité, prendre le risque de refuser de montrer d’autres papiers que sa carte de citoyen ?

Nous ne le lui demandons pas. Par contre, un Français court dans le même cas un risque nettement plus faible, mais on peut, par exemple, montrer sa carte de citoyen chez un commerçant, pour authentifier un chèque. Certains commerçants, après explication, ont accepté de noter au dos du chèque la numéro de la carte de citoyen.

Quel espoir avez-vous de voir la carte de citoyen reprise au niveau national ?

Seules les associations qui souhaitent de par leur expérience sortir de la fausse alternative droite/gauche, reprendront la carte. La notion de citoyenneté n’entrera dans les mœurs que lorsque chaque catégorie sociale dépassera les revendications liées à ses intérêts immédiats pour poser des questions politiques de fond. Ce n’est évidemment pas le cas aujourd’hui, et nous sommes conscients de notre responsabilité de poser le problème dès maintenant.

Certaines associations se battent pour l’inscription des jeunes français issus de l’immigration sur les listes électorales, d’autres parlent de présenter un candidat aux présidentielles.

Nous n’avons jamais eu l’illusion d’un grand mouvement unifié de l’immigration. Comme toutes les autres composantes de la société française, l’immigration est traversée par des intérêts divergents. Mais c’est une partie de la société qui est révélatrice des problèmes de fond. Il y a donc des chances pour que puisse y apparaître un mouvement qui aille plus loin dans le débat social. En ce qui concerne les initiatives auxquelles vous faites référence, il convient de les analyser en se demandant systématiquement si elles laissent ou non une partie de l’immigration, et d’autre part si elles vont dans le sens d’une convergence avec d’autres catégories sociales exclues. Un mouvement comme « France plus », par exemple, laisse complètement de côté la première génération.

Vous revendiquez le double héritage de la constitution de 1793 et de la Commune de Paris.

La constitution de 1793 différencie nettement citoyenneté et nationalité. L’article 4 de son Acte constitutionnel dispose que « tout homme né et domicilié en France, âgé de 21 ans accompli ; tout étranger âgé de 21 ans accomplis, qui, domicilié en France depuis une année, y vit de son travail, ou acquiert une propriété, ou épouse une Française, ou adopte un enfant, ou nourrit un vieillard ; tout étranger enfin, qui sera jugé par le Corps législatif avoir bien mérité de l’humanité, est admis à l’exercice des droits de citoyen français ». Les droits étaient donc attachés au lieu de résidence et de travail.

La commune de Paris est allée beaucoup plus loin, puisque des étrangers y ont occupé des postes gouvernementaux importants. Le critère n’était même plus le lieu de résidence mais la participation à un mouvement social.

Aujourd’hui, l’anti-racisme nous semble insuffisant. Nous voulons participer à tous les mouvement sociaux qui existent en France.

Que pensez-vous de la lutte du peuple Kanak, qui refuse la nationalité française ?

Nous ne pouvons oublier que nos parents ont émigré à cause du colonialisme. Aujourd’hui, nous ne pouvons accepter que le pays dont nous nous revendiquons agresse d’autres nations. Il y a donc une dimension internationale dans notre combat pour la citoyenneté : en Kanaky, la citoyenneté, c’est l’indépendance.

Vous êtes partie prenante d’une Charte pour l’égalité des droits, qui réclame une « alternative démocratique ». Qu’entendez-vous par là ?

L’égalité des droits complète ne viendra pas d’en haut ; elle sera imposée, par nos luttes. Il faudra pour ce faire un mouvement qui change les mentalités, les structures du pouvoir. Aujourd’hui, ce mouvement n’existe pas ; c’est pourquoi nous le qualifions d’alternative. Nous voulons en même temps créer une nouvelle forme de démocratie, dans laquelle chacun puisse s’exprimer. Cette alternative démocratique doit être constituée à la base, par nos associations et nos mouvements. Nous ne pouvons prévoir les formes qu’elle prendra.

Vous réclamez le droit de vote pour tous ?

Oui, et à tous les échelons. Nous pensons que quiconque vit en France a le droit de participer à l’élection du président de la République. Nous sommes prêts à soutenir un candidat immigré aux présidentielles, si c’est sur une base claire. Il faut parler de l’ensemble de l’immigration, des droits sociaux, des expulsions, de la police dans les quartiers, etc. Nous sommes favorables à l’inscription des jeunes sur les listes électorales, mais nous ne donnerons aucune consigne de vote. Nous donnerons les positions réelles des partis politiques sur l’immigration, de façon à montrer qu’aucun n’est favorable à une égalité des droits complète entre Français et immigrés. Mais la lutte se situe d’abord dans nos lieux de vie et de travail. Le droit de vote au niveau national consacrera un changement dans les rapports entre Français et immigrés, et dans la participation de chaque citoyen à la vie de sa cité.

TEXTURE

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