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La révolution algérienne de 1962 à 1969

Résolution du Comité exécutif international de décembre 1969 parue dans Quatrième Internationale, n° 42, mars 1970, p. 50-56


I

Six mois après le coup d’Etat qui renversa Ahmed Ben Bella, le 8e Congrès Mondial de la IVe Internationale, réuni en décembre 1965, faisait le point de la situation en Algérie dans sa résolution sur les « Progrès et Problèmes de la Révolution Africaine » en indiquant les aspects suivants de l’évolution de la révolution algérienne de 1954 à 1965 :

1. La révolution algérienne avant l’indépendance s’est traduite par une profonde mobilisation des masses. L’instrument politique de la révolution, le F.L.N., se forma en tant que front multiclasses sans contours politiques précis.

2. A la suite de l’indépendance, le F.L.N. éclata littéralement en morceaux lors de la crise de l’été 1962 qui se déroula sur des lignes peu claires.

3. Une étape nouvelle, caractérisée par une dynamique de transcroissance socialiste, s’ouvrit avec l’exode des colons. La courbe ascendante de ce mouvement atteignit un point culminant avec les décrets de mars 1963 et se prolongea jusqu’aux heures d’expropriation d’octobre de la même année. En observant ce processus, le Secrétariat Unifié de la IVe Internationale attira en février 1964 l’attention sur le fait qu’un gouvernement ouvrier et paysan avait été établi en Algérie. A ce moment déjà, le processus s’était ralenti et une période de pause s’était ouverte.

4. La société algérienne restait marquée par la coexistence et le conflit de forces et de secteurs différents et antagonistes. Un secteur capitaliste algérien privé important continuait à exister, y compris dans les campagnes, de même qu’un secteur très important du capital étranger (pétrole-gaz). De plus, l’aide impérialiste restait importante et l’Algérie restait dépendante de la zone franc. Une bureaucratie d’Etat, administrative, économique et militaire, jouissant d’une participation privilégiée à la distribution du revenu national, se développait.

5. Le coup d’Etat du 19 juin 1965 était l’aboutissement de la dégradation de la situation, à laquelle Ben Bella n’avait plus pu parer. Le coup d’Etat reçut l’appui des représentants les plus en vue de la bureaucratie de l’Etat et de l’armée. Il eut pour effet d’encourager les forces les plus hostiles à une issue socialiste de la révolution algérienne.

En adoptant ces conclusions, le Congrès Mondial de 1965 laissa toutefois ouverte la discussion sur la question algérienne.

II

Immédiatement après le 19 juin 1965, deux facteurs ont pu momentanément obscurcir la compréhension de la nature du coup d’Etat et entraîner certaines hésitations au sein de l’avant-garde révolutionnaire à propos de la caractérisation du régime Boumédiene :

a) Le fait que le coup n’avait été marqué que par l’élimination d’un nombre relativement réduit de personnalités, tandis que toute une série de ministres du gouvernement Ben Bella trouvaient leur place dans le « Conseil de la Révolution » de Boumédiene ;

b) Le soutien que la direction chinoise a donné au régime de Boumédiene dans les semaines qui ont suivi le coup et qui était motivé par des considérations de nature fractionnelle liées à la manière dont Ben Bella et son équipe préparaient la conférence afro-asiatique.

Aujourd’hui, ces facteurs ne jouent plus. La clarté s’est faite sur la nature du gouvernement Boumédiene pour l’avant-garde révolutionnaire lorsque Boumédiene a pris une orientation qui est nettement différente de celle du gouvernement Ben Bella.

D’autres changements devraient être notés. Ce n’est plus de Pékin mais de Moscou que sont inspirées les tentatives de conciliation avec le régime, qui sont cette fois accompagnées sur le plan idéologique d’une tentative d’embellissement de la nature « anti-impérialiste » du régime Boumédiene. Cette orientation a été suivie par le P.A.G.S. [Parti de l’Avant-Garde Socialiste, ancienne O.R.P. (Organisation de la Résistance Populaire) créée le 19 juin] dans lequel militent les anciens membres du Parti Communiste Algérien. D’autre part, après que les dirigeants eurent pris des positions verbalement « à gauche » dans le conflit israélo-arabe, Fidel Castro, qui avait très sévèrement condamné les auteurs du coup d’Etat, est revenu sur cette condamnation sous la forme d’une autocritique.

Etant donné ces sources de confusion, il est nécessaire de réaffirmer sans équivoque la position des marxistes-révolutionnaires sur le régime actuel en Algérie.

Le coup d’Etat du 19 juin marqua la destruction du gouvernement ouvrier et paysan. L’accumulation de modifications moléculaires intervenues tant dans la conscience des différentes classes que dans le personnel et l’organisation du gouvernement avait abouti à un changement de qualité. Ayant saisi le pouvoir avec une facilité relative, grâce à la détérioration antérieure de la situation, Boumédiene et son armée eurent peu de difficultés à réduire l’opposition. Le nouveau pouvoir représentait une solution réactionnaire de la contradiction qui avait existé entre l’Etat capitaliste et le gouvernement ouvrier-paysan avec son orientation socialiste.

Pendant une période suivante, qui va de 1965 à la fin de 1967, il penchait de plus en plus vers la droite bien que des centres de résistance subsistaient toujours. En 1967, s’ouvre une période qui dure encore à l’heure actuelle, avec la montée de Kaïd Ahmed (ex-commandant Slimane) à la seconde responsabilité politique du pays, celle de responsable du « Parti ».

Dans ce renversement d’équilibre, il y a lieu de mettre en lumière un double phénomène :

a) Le développement d’un secteur capitaliste d’Etat de l’économie, en osmose étroite avec les intérêts impérialistes ;

b) La perte de vitesse constante de l’appareil syndical de l’U.G.T.A. qui avait cru pouvoir maintenir son indépendance et servir de centre à une éventuelle remobilisation des masses, en se bornant à mener dans l’intervalle une lutte défensive pour maintenir l’autogestion sinon une lutte purement économique.

La tentative de contrecoup d’Etat d’El Affroun, dirigé par Tahar Zbiri, en décembre 1967, avec l’appui d’une partie des militants syndicaux, était une tentative désespérée de renverser le courant allant à droite, tentative qui se fit également en l’absence de toute intervention des masses.

III

La caractéristique essentielle des modifications intervenues dans la structure économique de l’Algérie a été le renforcement d’un secteur énergétique «mixte» (capitalisme d’Etat – capital étranger), secteur principal de l’économie algérienne pour ce qui est des exportations, se trouvant en expansion constante (production 39,7 millions de tonnes en 1967 contre 26,1 en 1964). Le secteur de l’énergie est dominé par la Sonatrach, créée à l’origine pour gérer le troisième oléoduc Hassi-Messaond – Arzew, achevé en 1966, mais qui s’est développée en un des principaux producteurs de pétrole. Les activités de la Sonatrach, qui collabore étroitement avec les intérêts étrangers, aidée d’experts américains et soviétiques, se sont développées au point de constituer aujourd’hui un véritable Etat danse l’Etat. La base de la collaboration entre l’impérialisme et le secteur d’Etat reste toujours l’accord pétrolier de 1965, adopté après le coup d’Etat du 19 juin et ratifié au Parlement français par une majorité U.N.R.-P.C.F. Le capitalisme d’Etat algérien collabore sans heurts majeurs avec l’impérialisme. En septembre 1967, la « nationalisation » des réseaux de distribution des sociétés pétrolières américaines était une apparente mesure anti-impérialiste répondant à l’agression israélienne : en réalité, il s’agissait d’un rachat avec le consentement des sociétés intéressées. Il en était de même du rachat des autres réseaux de distribution en mai 1968. Tout en collaborant avec l’impérialisme, le secteur étatique vise à s’assurer le contrôle du transfert des devises et à imposer ses conditions sur le plan des prix à l’exportation. Il s’agit là de conflits mineurs, visant surtout à se « mettre en condition » pour le renouvellement, en 1969. de l’accord de 1965.

Il faut ajouter que jamais les forces de gauche algériennes n’ont avancé de revendications particulières en ce qui concerne ce secteur, se contentant d’affirmer que la nationalisation des richesses minérales et énergétiques était un « but à long terme » (charte d’Alger de 1964).

Face au développement constant de ce secteur, le modeste secteur industriel autogéré composé en général de vieilles entreprises est en constante perte de vitesse. Son poids social est minime. On chiffre à moins de 15.000 le nombre des travailleurs de ce secteur (6 pour cent de la classe ouvrière algérienne). Le nouveau code des investissements lui trace d’ailleurs une limite qu’il ne pourra dépasser : aux nouveaux capitaux étrangers qui s’investissent en Algérie, un minimum de dix années sans nationalisation est garanti, celle-ci ne pouvant ultérieurement être opérée que moyennant versement d’une indemnité de 100 pour cent.

Les nationalisations d’entreprises industrielles françaises en juin 1969 préparées par des « experts » américains et suisses ont été effectuées selon ce schéma. Ces entreprises ont été confiées à la gestion de « sociétés nationales » non autogérées. Certaines d’entre elles étaient des anciennes entreprises industrielles autogérées remises à leurs anciens propriétaires (Norcolor). Dans ces cas, la « nationalisation » ne fait que consacrer la suppression de l’autogestion industrielle, s’accompagnant de cadeaux aux anciens propriétaires. Dans d’autres cas, la « nationalisation-rachat » se fait longtemps après que les entreprises privées en question ont mis à genoux les entreprises du secteur industriel autogéré (huileries-savonneries).

A côté du secteur industriel, l’autogestion paysanne doit constamment lutter contre le sabotage des autorités conjugué aux difficultés sur le marché vinicole français (contingentement des vins).

Quant à la « réforme agraire », décidée en août 1966, et non appliquée, elle n’est elle-même qu’une caricature de la réforme préparée sous le gouvernement Ben Bella. A limage des appétits de la bureaucratie d’Etat, elle a une superficie limite égale à ce qui produit en moyenne par année un revenu net égal à celui de la fonction publique.

IV

En Algérie, la bourgeoisie était exceptionnellement faible, tant socialement que politiquement. Elle n’avait pas la capacité de faire face à la révolution à cette étape. Dès lors, la source immédiate des initiatives contre-révolutionnaires était la bureaucratie d’Etat.

Pour comprendre les raisons du comportement de cette nouvelle bureaucratie, il convient d’examiner ses composantes ainsi que le contexte international dans lequel elle s’insère et les forces sociales internationales sur lesquelles elle s’appuie.

On peut définir trois couches de la bureaucratie d’Etat en Algérie. Ces couches sont analysées en fonction des intérêts sociaux qu’elles représentent dans l’Algérie d’après 1962, indépendamment de l’origine sociale des bureaucrates eux-mêmes. Dans cette mesure, un même bureaucrate peut glisser imperceptiblement d’une couche à l’autre.

1. Une première couche a permis d’assurer le « bon fonctionnement » de l’appareil d’Etat, entre le cessez-le-feu et la formation du gouvernement Ben Bella. Elle est constituée par un certain nombre de fonctionnaires, anciens et récents collaborateurs du régime colonial, issus de la fameuse « promotion Lacoste » composée tant d’Algériens que de Pieds-Noirs reconvertis en coopérants. Cette couche est le plus fidèle soutien des dirigeants qui veulent maintenir l’Etat de type bourgeois. Elle joue, par son inertie et le sabotage des mesures révolutionnaires, le rôle d’un frein considérable. Elle s’abrite pour se maintenir derrière le masque de la « technicité » mais subit aussi, de la part des cadres conscients, des critiques qui réclament l’épuration. Mais cette pierre d’achoppement toujours promise est toujours reportée aux calendes grecques. Cette couche en profite pour consolider ses privilèges et influencer de façon néfaste les cadres nationalistes arrivistes qui glissent sur des positions réactionnaires.

2. La bourgeoisie nationale a été largement représentée dans le premier gouvernement Ben Bella. Ces cadres s’appuyaient dans l’appareil d’Etat sur une couche bureaucratique de hauts fonctionnaires (cabinets, préfets), qui agissaient et agissent encore en fonction des mêmes intérêts de classe qu’eux. M. Khider, secrétaire du F.L.N., agissait dans l’appareil du parti pour la consolidation du pouvoir de ces couches, sinon pour leur prise du pouvoir. Dans les gouvernements Ben Bella successifs, on retrouve des représentants de cette couche. Quelques-uns, cependant, seront démasqués. Mais dans tous les rouages de l’Etat, les bureaucrates bourgeois resteront. Dans le gouvernement Boumédiene, certains technocrates bourgeois restent aussi.

3. La troisième couche de la bureaucratie d’Etat, et la plus nombreuse, s’est formée en tant que couche bureaucratique de l’appareil administratif du F.L.N. pendant la guerre. Elle est issue de la petite bourgeoisie agraire et citadine ralliée au F.L.N. et à l’A.L.N. Cette couche s’est ralliée à Ben Bella, puis à Boumédiene. Elle compose la majorité de l’armée. L’immense majorité des fonctionnaires intermédiaires dans les ministères et les administrations locales est issue des différentes couches de la petite bourgeoisie : petits et moyens commerçants, paysans moyens, petits fonctionnaires de l’époque coloniale. L’encadrement de l’A.N.P. est constitué presque entièrement de ces représentants de la petite bourgeoisie.

Une partie de cette couche est issue de la classe ouvrière des villes ou du prolétariat algérien dans l’émigration. D’anciens cadres ouvriers du M.T.L.D. et d’anciens syndicalistes cégétistes ou de l’U.G.T.A. accèdent à des postes de responsabilité dans l’appareil d’Etat. Boumaza, Ali Yahia, Zerdani, représentaient cette fraction. Mais, dans le contexte de l’alliance que la petite bourgeoisie a nouée avec la bourgeoisie nationale, cette couche de la bureaucratie ouvrière, assez faible, est ballottée entre le gouvernement et la pression qu’elle subit des masses, dans la mesure où elle subit la pression politique des masses. Cette couche sera toujours incapable de mener (à part de très rares exceptions) une politique prolétarienne. Elle est en voie d’élimination complète de l’appareil d’Etat.

Le trait le plus caractéristique de la bureaucratie d’Etat est son hétérogénéité. Des représentants de la bourgeoisie nationale y côtoient ceux de la classe ouvrière, dans les mêmes commissions ministérielles, au gouvernement, au Bureau politique.

La question qui se pose constamment à chacune de ces couches c’est : qui servir ? Une bureaucratie aussi hétérogène n’a conscience de sa fonction sociale que dans son affrontement permanent avec les forces et les classes sociales qu’elle prétend servir globalement. C’est pourquoi tous les organismes du pouvoir se sont trouvés déchirés depuis 1962 par des querelles de clans et des luttes d’intérêt momentanés.

On ne peut pas négliger les pressions de l’impérialisme sur cette bureaucratie : l’impérialisme français, à travers la coopération, continuation des accords d’Evian, et les accords sur les hydrocarbures de 1965, l’impérialisme britannique à travers les sociétés mixtes, l’impérialisme américain dont l’assistance économique n’est pas négligeable, l’impérialisme ouest-allemand, etc. Non moins significatif est l’aide économique importante apportée par les bureaucraties des Etats ouvriers — U.R.S.S., Chine, Yougoslavie en tête — aide qui, loin de jamais s’inspirer des principes énoncés par Che Guevara au Séminaire Economique afro-asiatique d’Alger, s’est accompagnée de déclarations politiques favorables aux régimes en place, et jouait en définitive en faveur de la stabilisation des structures étatiques et du statu quo. Les raccourcis idéologiques de l’ex-P.C.A. (spécialement dans le journal Alger Républicain) d’abord, de l’O.R.P.-P.A.G.S. après l’arrestation de Harbi ensuite (spéculant sur les conflits dans l’équipe gouvernementale y compris aujourd’hui), supposant l’« Etat socialiste » ou la « voie non capitaliste » réalisés ou en voie de l’être, jouaient dans le même sens.

Ainsi encadrées internationalement, les structures bureaucratiques de l’Etat sont devenues les alliées des forces sociales rétrogrades.

V

La résolution de politique générale du IIe Congrès de l’U.G.T.A. en 1965 avait rangé la « couche bureaucratique en voie de constitution » au nombre des « forces de la contre-révolution » au même titre que les féodaux et la bourgeoisie exploiteuse.

Mais la direction Oumeziane de l’U.G.T.A., élue à ce IIe Congrès, a, de façon timorée, évité de tirer les conclusions nécessaires de son analyse. Elle a tenté de réagir contre le démantèlement de l’autogestion par une lutte défensive en essayant de s’appuyer sur une aile du gouvernement ; sa presse a chaque fois été empêchée de reparaître, pendant plusieurs mois (mai 1966 et décembre 1967 jusqu’aujourd’hui).

Aujourd’hui, en Algérie, les droits des travailleurs de fixer eux-mêmes les règles de fonctionnement des syndicats, d’élire leurs représentants en toute liberté, de formuler leur programme sans interférence de la part des autorités et de décider de leurs actions en toute indépendance, qui sont les quatre critères formels de l’indépendance syndicale vis-à-vis de l’appareil d’Etat, sont dépourvus de tout semblant de réalité.

VI

A l’heure actuelle, malgré la « réorganisation » de Cherif Belkacem, puis de Kaïd Ahmed, le « Parti F.L.N. » est toujours inexistant. Mais du côté des organisations oppositionnelles, le tableau qui nous est offert n’est pas réjouissant :

a) Le « C.N.D.R. » ou ex-« P.R.S. » (Conseil National de la Résistance ; Parti de la Révolution Socialiste) de Boudiaf n’est jamais parvenu à se développer après ses premières positions de type « menchevik » condamnant le caractère « prématuré » des mesures révolutionnaires du gouvernement Ben Bella.

b) Le « P.A.G.S. » ou ex-O.R.P., après l’arrestation de Mohamed Harbi et de Zahouane, est devenu sous la direction d’Alleg, l’instrument pur et simple de la politique extérieure du Kremlin. Ce qui s’exprima par son tournant du 26 janvier 1966 vers la formation d’un large « front démocratique et populaire » exigeant y compris la libération d’Aït Ahmed emprisonné à l’époque et proposant le front avec le F.F.S. Il n’a aucune base de masse.

c) Le « F.F.S. » d’Aït Ahmed et l’« O.C.R.A. » (Front des Forces Socialistes ; Organisation Clandestine de la Résistance Algérienne) de Mohamed Lebjaoui, représentent des fractions de l’aile bourgeoise et petite-bourgeoise des anciens appareils.

d) Le « Rassemblement Unitaire des Révolutionnaires » (R.U.R.), né de la scission de l’ex-O.R.P. et de l’O.C.R.A., représente du point de vue de son programme et de ses analyses, la tendance la plus proche du socialisme révolutionnaire. Son implantation est cependant tout aussi réduite en Algérie que celle des autres mouvements.

VII

1. Dans le contexte la tâche stratégique fondamentale reste l’organisation d’une avant-garde marxiste-révolutionnaire et la formation ultérieure d’un parti des travailleurs des villes et des campagnes, qui lutte pour le renversement du régime Boumédiene et l’instauration d’un pouvoir des masses ouvrières et paysannes.

2. Inséparablement liée à cette tâche est la nécessité de lutter pour la revitalisation du mouvement syndical et l’indépendance complète de celui-ci vis-à-vis de l’Etat.

3. Cette lutte ne peut se mener qu’au travers de, et parallèlement à une réanimation du mouvement des masses qui ne peut se faire qu’au moyen d’une lutte pour :

a) La stimulation du secteur non-capitaliste de l’économie par la mise en autogestion de la totalité du secteur industriel nationalisé, la priorité à ce secteur du point de vue des avantages fiscaux, de la commercialisation, etc.

b) L’établissement du monopole du commerce extérieur et l’introduction d’une planification impérative nationale pour éviter la strangulation du secteur autogéré.

c) La nationalisation de la production pétrolière de tous les pays impérialistes complices de l’agression contre la révolution arabe de juin 1967 et le contrôle ouvrier, exercé conjointement par des représentants des travailleurs du pétrole et des représentants du secteur industriel socialiste, sur la Sonatrach et les autres sociétés pétrolières.

d) L’abrogation de la pseudo-réforme agraire de 1966 et l’application d’une réforme agraire radicale, par l’expropriation des grands propriétaires et la limitation rigoureuse du droit à la propriété foncière. Il faut partir de la considération que, s’il n’est certes pas correct de demander seulement la limitation de la grande et de la moyenne propriété agraire indépendamment de la recherche du rendement le plus efficace de l’exploitation de la terre, il n’est pas correct non plus d’envisager la nécessaire réforme agraire comme la tentative de mettre en exploitation le plus de terres possibles selon des critères abstraits d’efficacité économique, indépendamment des rapports sociaux.

e) La révision de la loi communale de 1966 dans le sens d’un nouveau découpage assurant aux communes une unité économique et de la suppression de l’ingérence de l’appareil du F.L.N.

f) La défense de la révolution par la création de milices ouvrières et paysannes structurées par domaine, par grande entreprise et par commune.

g) Le renouvellement et l’épuration de l’appareil d’Etat, la création d’organes de pouvoir populaire, la stimulation des tendances égalitaires dans la lutte contre les privilèges bureaucratiques, la reprise de la lutte pour les revendications démocratiques : la libération de la femme, la lutte pour le cantonnement de l’islam dans le domaine privé, la lutte contre l’analphabétisme et pour la scolarisation, la lutte contre le particularisme régional.

4. Une importance particulière doit être donnée à l’action parmi les travailleurs algériens dans l’émigration en Europe ainsi qu’à l’action pour la libération de tous les militants et dirigeants internés ou placés en résidence surveillée, et notamment Ben Bella, Ben Allah, Zahouane, Harbi, Hadj Ali.

VIII

Le mouvement trotskyste est aujourd’hui unanime dans son appréciation sur la situation actuelle en Algérie. Après le coup d’Etat du 19 juin, cependant, la portée réduite du changement de personnel politique avait entraîné certains militants à se poser la question : dans la mesure où ces changements ont été si réduits, n’avait-on pas exagéré le caractère d’un coup qui n’avait en somme que les dimensions d’une révolution de palais ? Par la suite, la majorité se mit d’accord pour considérer que le coup était l’expression qualitative d’une dégradation moléculaire qui s’était manifestée pendant la dernière période du régime du président Ben Bella. Mais devant la rapidité avec laquelle la bureaucratie d’Etat accentua son virage droitier, une deuxième question se posa : le mouvement trotskyste n’avait-il pas surestimé l’ampleur des progrès de la révolution algérienne lorsqu’il qualifia, en février 1964, le gouvernement Ben Bella de gouvernement ouvrier et paysan ? C’est à cette question qu’il faut maintenant répondre.

Il n’y a pas de raison de minimiser les progrès réels qui ont marqué le développe-ment de la révolution algérienne pendant les premières années après l’indépendance. Des actions anti-impérialistes et anticapitalistes ont été prises par le gouvernement Ben Bella, et plus précisément par l’équipe restreinte autour de Ben Bella, qui déplissaient en des occasions importantes les cadres institutionnels pour légaliser les conquêtes des masses au moyen de décrets. La IVe Internationale a eu raison de donner un soutien critique à cette équipe dès qu’elle conquit le pouvoir en juillet 1962.

Il faut toutefois également tenir compte du fait que les masses en mouvement, qui conquirent l’autogestion, étaient les ouvriers permanents des grands domaines devenue les fermes autogérées, c’est-à-dire le prolétariat agricole dans le sens véritable du terme. Après l’été 1962, le seul secteur des masses qui était en mouvement était ce prolétariat agricole. Il formait la base sociale de l’équipe Ben Bella. Son étroitesse relative constituait une faiblesse des plus importantes. Une base sociale plus large, celle des masses paysannes pauvres, s’était dispersée pendant la crise de l’été 1962. Elles auraient pu titre mobilisées à travers une mise en oeuvre immédiate d’une réforme agraire radicale. Mais l’équipe Ben Bella ne le fit pas.

N’appréciant pas à son juste poids l’étroitesse de la base sociale sur laquelle Ben Bella s’appuyait, la IVe Internationale a eu tendance à ne pas voir une différence majeure entre la situation algérienne et la situation qui avait conduit à Cuba à l’instauration de l’Etat ouvrier en moins de deux ans après la prise du pouvoir par l’équipe castriste.

Dans cette situation, une direction révolutionnaire disposant de l’instrument adéquat, le parti révolutionnaire, aurait encore pu mobiliser les masses paysannes. Mais, en Algérie, le F.L.N. n’avait jamais été un « parti » dans un sens de classe. De plus, il n’existait plus depuis 1962, sauf en tant qu’organisation avec la Fédération de France, et en tant que gouvernement avec le G.P.R.A. Pour le reste, il s’était démis en faveur de l’A.L.N.

A son étape initiale, la lutte de libération en Algérie avait servi de source d’inspiration à travers le monde colonial. Les Cubains, en particulier, étaient influencés par elle. Après la victoire de la révolution cubaine et l’établissement, d’abord d’un gouvernement ouvrier et paysan, puis d’un Etat ouvrier à Cuba, cette influence réciproque continua, Cuba devenant cette fois-ci l’exemple pour les Algériens. Il était naturel en Algérie de se réclamer de Cuba et de lutter pour une issue similaire.

Toutefois, la dynamique de la révolution algérienne était déterminée par des différences importantes par rapport aux développements qui conduisirent à l’établissement de l’Etat ouvrier cubain. L’impérialisme français avait assimilé les leçons de la victoire de la révolution Cubaine ; il adopta une orientation différente de celle que l’impérialisme américain eut vis-à-vis de Castro. Les mobilisations de masse étaient beaucoup plus limitées en Algérie qu’à Cuba. L’équipe Ben Bella était d’une envergure politique révolutionnaire beaucoup moins grande que l’équipe Castro-Guevara. En particulier, elle négligea d’écraser tous les éléments survivants de l’armée bourgeoise qui, à Cuba, furent écrasés dès l’entrée de Castro à la Havane. Au contraire, et en conformité avec les principales dispositions des accords d’Evian, Ben Bella permit à ces éléments d’être intégrés à l’A.L.N. Etant donné ces différences, qui devinrent évidentes au fur et à mesure que la lutte se développait, c’était une erreur de s’attendre à un aboutissement analogue à celui de Cuba.

Cette erreur d’appréciation a été aggravée par un jugement erroné sur la nature de l’A.L.N., surtout après l’application des accords d’Evian, et par la conception défendue surtout par la tendance Pablo que l’armée pouvait jouer le rôle du parti dans la situation concrète de l’Algérie en 1962-63. Les conséquences graves du retard de l’organisation de l’avant-garde révolutionnaire algérienne ont été gravement sous-estimées. La tendance Pablo, qui était responsable du travail en Algérie et qui contrôlait également le journal de la section française de la IVe Internationale pendant au moins deux ans, tendait à développer sa propre ligne indépendante. Elle avança des formules confuses et incorrectes par rapport à l’Etat algérien, rappelant un « Etat anticapitaliste » ou un « Etat semi-ouvrier ». Elle n’a pas saisi la contradiction entre le gouvernement ouvrier-paysan et le caractère bourgeois de l’appareil d’Etat. Elle assigna en conséquence aux mobilisations de masse essentiellement un rôle de soutien à la tendance Ben Bella et de mise en oeuvre du programme du F.L.N., ne voyant pas l’urgence cruciale de la mise en plage d’organes de pouvoir indépendants par le prolétariat des villes et des campagnes et la paysannerie pauvre et restant accrochée à la conception utopique et anti-marxiste de la possibilité d’un changement graduel de la nature de l’Etat. Il en résulta plusieurs conséquences telles que la sous-estimation de certains événements importants ; par exemple l’intervention de type gangstériste de l’appareil de Khider au Congrès de l’U.G.T.A. qui fut minimisée en appelant les dirigeants de l’U.G.T.A. des « mencheviks de gauche». La tendance Pablo quitta plus tard la IVe Internationale.

La IVe Internationale n’a jamais utilisé, dans le contexte algérien, la catégorie de gouvernement ouvrier et paysan comme synonyme de dictature du prolétariat. Les structures de l’Etat ont toujours été correctement analysées comme étant bourgeoises. Mais, bien que l’Internationale ait appliqué correctement la formule de gouvernement ouvrier et paysan au gouvernement Ben Bella, elle n’a pas suffisamment mis l’accent sur la nécessité impérieuse de la mise en place d’organes autonomes de pouvoir politique du prolétariat des villes et des campagnes, qui auraient été par ailleurs les meilleurs instruments d’une mobilisation générale des masses et le seul moyen de rendre irréversible le processus de révolution permanente.

Une erreur concomitante fut commise lors du Comité Exécutif International de mai 1964, en donnant aux marxistes-révolutionnaires algériens pour tâche de collaborer à la formation d’une gauche socialiste révolutionnaire « qui dirige le F.L.N. » (Résolution du C.E.I. « La situation internationale et les tâches des marxistes révolutionnaires », Quatrième Internationale, juillet 1964), au lieu de mettre l’accent sur la nécessité de créer, d’abord, une organisation marxiste-révolutionnaire liée aux masses algériennes à la base.

La leçon des événements d’Algérie est d’une importance considérable. La victoire de la révolution socialiste en Algérie était possible. Mais un facteur décisif faisait défaut : le parti révolutionnaire.

Dans le cadre de cette autocritique, Il faut ajouter sans ambages que si la participation du mouvement trotskyste à la révolution algérienne, son soutien à la lutte anti-impérialiste, puis à la tendance la plus progressiste du F.N.L. après 1962 furent considérablement importants, trop peu a été fait pour réaliser la fonction spécifique du mouvement trotskyste : former le noyau du futur parti révolutionnaire algérien. Le travail de formation et de recrutement de militants algériens a été négligé an bénéfice du travail au sommet.

Sans doute, pendant une première phase, vu l’exiguïté des forces dont nous disposions, il était correct de se concentrer sur un travail de soutien pratique de la révolution qui créait le climat propice à la diffusion de nos idées. Mais, à partir d’un point déterminé, la formation du noyau organisé devait passer au premier plan et tout le travail au sommet aurait dû être subordonné à ce but. L’Internationale l’avait compris dès son VIe Congrès Mondial. Mais elle n’a pas fait l’effort nécessaire pour mettre cette ligne en exécution et partage donc la responsabilité de cette erreur avec les camarades de la tendance Pablo, principaux responsables, de ce travail et de l’orientation erronée dans le domaine de la construction du noyau révolutionnaire.

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