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L’Algérie entre crise économique, répression et explosion sociale

Articles parus dans Le Prolétaire, n° 423, octobre-novembre 1993, p. 7 et 10


Le 21 août les autorités militaires algériennes qui sont aux commandes du pays derrière le voile du Haut Comité d’Etat, nommaient Redha Malek premier ministre en remplacement de Belaïd Abdesselam. Le même jour un autre ancien premier ministre, Kasdi Merbah était assassiné par un groupe d’hommes « en civil ». Merbah avait été pendant 17 ans le chef de la sinistre Sécurité Militaire avant d’être appelé au gouvernement en 1979. Ces dernières années il était passé dans une « opposition » modérée aux autorités qu’il appelait au « dialogue » et à la « réconciliation » avec les islamistes, et il s’imaginait sans doute revenir sur cette ligne au gouvernement.

D’une autre façon, le premier ministre limogé, tout comme l’ex-premier ministre assassiné, était à la recherche d’un compromis avec au moins certains islamistes. Nous ignorons si les rencontres discrètes à l’étranger d’émissaires gouvernementaux avec des représentants islamistes ont bien eu lieu. Mais ce qui est sûr c’est que les gestes envers les islamistes s’étaient multipliés, depuis les attaques d’Abdesselam contre les « laïco-assimilationnistes », ou les déclarations de son ministre du culte (« Pourquoi les islamistes tuent-ils des policiers ? Ce ne sont pourtant pas tous des communistes ») jusqu’aux appels au dialogue.

Ces éventuels contacts et ces gestes (au demeurant limités) n’ont abouti à rien de concret. Contrairement à ce qui s’écrit dans certains journaux Abdesselam n’a pas été limogé à cause de sa volonté d’ouverture envers les islamistes. Il serait invraisemblable que ce soit de son propre chef qu’il ait fait ces ouvertures. C’est plutôt parce que cette orientation n’a même pas pu déboucher sur une diminution des attentats. Il faut dire à ce sujet que tous les attentats ne sont probablement pas l’oeuvre des islamistes et qu’il n’existe sans doute pas encore à l’heure actuelle d’organisation islamiste armée unifiée (le « M.I.A. »), mais plutôt une profusion de petits groupes non coordonnés se livrant à des actions plus ou moins ponctuelles et isolées. L’influence que peuvent avoir les chefs du FIS à l’étranger ou en prison sur cette mouvance doit être des plus limitées.

Mais Abdesselam a été limogé parce que l’ensemble de sa politique était un échec : échec sur le plan de l’ordre public comme on l’a vu ; échec sur le plan économique où sa stratégie d’ « économie de guerre » et de transition graduelle vers le libéralisme n’a pu résoudre aucune des difficultés dans lesquelles se débat le pays ; échec sur le plan politique où ses vagues projets de consultation des partis politiques, de référendum et de conférence nationale étaient bien incapables de donner la moindre légitimité au pouvoir alors que la répression ne s’était pas ralentie, que l’état d’urgence avait été prorogé et le couvre-feu étendu à toute la région d’Alger.

Le nouveau gouvernement, désigné après de longues et tortueuses consultations au sein des cercles dirigeants, n’est donc pas un gouvernement de « durs » en remplacement de « mous ». Par rapport aux organisations financières internationales et aux grands Etats impérialistes, ce gouvernement est tout sauf un « dur » puisqu’à l’inverse du gouvernement précédent il envisage d’accepter leurs considérations : rééchelonnement de la dette extérieure, mise au point d’un programme d’ajustement par le FMI, ouverture aux investissements étrangers y compris dans le secteur pétrolier.

Mais c’est par rapport aux travailleurs et aux masses que Malek et son gouvernement se présentent comme des « durs ». Il se sont dits partisans d’asséner sans plus tarder aux prolétaires le coup de massue que réclame le capitalisme algérien pour recouvrer un peu de vigueur : liquidation des entreprises insuffisamment rentables, « dégraissage » des autres et donc augmentation vertigineuse du chômage, blocage de la consommation des masses (soit de façon autoritaire, soit par une dévaluation importante de la monnaie et le renchérissement des prix), réduction drastique des dépenses sociales de l’Etat, etc.

Mais mettre en application, ne serait-ce que partiellement un tel programme, c’est courir le risque d’une véritable explosion sociale. Après les émeutes de 88 la bourgeoisie algérienne avait mis en place le cirque démocratique pour qu’il fonctionne comme une soupape de sécurité. Aujourd’hui où il n’y a plus de soupape de sécurité, il ne reste plus que la force brute de la répression et de la terreur. Le Haut Comité d’Etat et ses sous-fifres ont conscience d’être assis sur un volcan et cette fois-ci si le volcan éclate le FIS ne sera plus là pour canaliser l’éruption.

C’est cela qui hante le sommeil des bourgeois algériens et qui explique la paralysie des gouvernants. « Le temps presse » titrait le quotidien « Le Monde » qui se faisait là le porte-parole de l’impérialisme français ; et il ajoutait : « Plus le temps passe, plus les chefs islamistes auront du mal à jouer les pompiers » (1). Pourtant la recherche d’une entente avec les islamistes est arrivée encore une fois dans une impasse ; le gouvernement se pose en barrière ultime contre la barbarie islamiste et en défenseur intransigeant des valeurs de démocratie et de liberté (ainsi que des intérêts de l’impérialisme). Les assassinats d’intellectuels bourgeois démocrates et francophones l’ont bien servi à cet égard. Mais qui pourrait oublier que ce même pouvoir a été à l’origine de la montée islamistes et s’en est servi comme nervis contre les militants prolétariens, puis comme pare-feu à la répétition des émeutes de la semoule ? Qui pourrait oublier qu’il a négocié avec le FIS et envisagé de l’appeler au gouvernement avant d’annuler les élections ? Qui surtout pourrait oublier que c’est ce pouvoir qui est responsable de la répression, de la misère et des souffrances des exploités algériens au cours des décennies qui ont suivi l’indépendance et qui ont vu les bourgeois algériens prendre la place des colons et des bourgeois français ?

Ce pouvoir, cet Etat, qui par delà les changements d’hommes est celui du capitalisme algérien, n’hésitera pas une seconde à faire appel aux islamistes s’il lui faut faire face à la révolte ouvrière. Chacun à leur manière, bourgeois gouvernementaux et bourgeois et petits-bourgeois islamistes sont des adversaires mortels de la classe prolétarienne et qui veut pactiser avec les uns pour combattre les autres trahit cette classe.

Dans les affrontements qui se dessinent à l’horizon le rôle décisif ne sera pas tenu par de petits groupes terroristes bien incapables d’ébranler la domination bourgeoise, parce qu’ils rêvent de rééditer l’insurrection de 1954 alors que les conditions historiques ont changé, mais par la classe ouvrière. Nous avons rassemblé dans un autre article les quelques informations glanées dans la presse cet été sur les grèves. En dépit de leur caractère parcellaire elles suffisent à démontrer que la classe ouvrière algérienne n’est pas passive. Il lui reste sans aucun doute un long et difficile chemin à parcourir pour trouver la voie de l’organisation communiste, mais c’est pourtant elle qui détient les clés de l’avenir, et pas les bourgeois et leurs militaires, qu’ils soient islamistes ou démocrates. C’est la lutte de classe qui, comme dans les autres pays, déterminera le destin de l’Algérie, et pas les guerres entre clans bourgeois ou les réactionnaires guerres saintes.

C’est elle qu’il faut préparer en travaillant à la réorganisation classiste du prolétariat et à la constitution du futur parti de classe mondial.


(1) cf « Le Monde », 24/8/93.


Nouvelles des luttes ouvrières dans le monde
(Algérie
)

Du 20 au 27 juillet les 4.200 dockers du port d’Alger (qui représente à lui seul 35% à 40% du trafic maritime de l’Algérie) ont fait grève. Les revendications portaient sur la revalorisation de la prime d’ancienneté, le travail permanent pour les dockers occasionnels qui sont sous contrat dans ce pays, la participation aux bénéfices et l’établissement de plans de carrière. Au bout de 8 jours et plusieurs réunions tripartites entre patronat portuaire, syndicats et ministère des transports il y a eu un accord et les syndicats faisaient reprendre le travail bien que rien de concret n’ait été obtenu. Les dockers ont été accusés d’être manipulés politiquement, de vouloir déstabiliser le pays, d’affamer la population, etc. Il est facile de constater sur ce dernier point que les pénuries de pain ont continué tout l’été, bien après la fin de la grève des dockers qui empêchait le débarquement de bateaux contenant de la farine, du blé et autres produits alimentaires (20 navires étaient bloqués à quai et 17 en rade). Les autorités portuaires ont refusé d’augmenter les salaires en arguant que les bénéfices seraient entièrement réinvestis dans la modernisation des équipements et en affirmant même, selon les syndicalistes interviewés par « Alger Républicain » (27/7), qu’elles ne voulaient pas instaurer un intéressement des travailleurs aux bénéfices afin d’éviter à avoir à déclarer ces derniers au fisc ! Les bonzes syndicaux de l’UGTA qui avaient déjà à 2 reprises fait reporter un mouvement de grève des dockers ont réussi à faire reprendre le travail. Mais ce n’est sans doute que partie remise. La situation sociale ne cesse de se détériorer et d’autres conflits ont éclaté.

La plus importante a peut-être été celle qui a touché cet été l’E.B.A. (Entreprise du Bâtiment d’Alger, ex-Sonatiba) qui emploie 5.000 travailleurs. La grève a été déclenchée le 23 juin, entre autres contre le plan de restructuration et pour le départ du P-DG à cause de ses pratiques anti-ouvrières. La direction a dénoncé ce qu’elle appelle une grève sauvage et entamé des actions en justice pour entraves à la liberté du travail (piquets de grève) ; elle a reçu selon ses dires le soutien des bonzes de l’UGTA,qui avaient déjà pris des mesures disciplinaires contre les syndicalistes de l’entreprise pour « non-respect des statuts du syndicat » en raison de leur activité revendicative… L’entreprise a déjà connu une grève de 22 jours en juin 92.

Des grèves dans d’autres entreprises ont eu lieu ; à Annaba il y avait au mois de juin des grèves à l’EPBTP (travaux publics) et à Realsider tandis que la situation était tendue à la Sider et à Asmidal où les directions opposaient un refus aux revendications salariales des travailleurs. A Béjaïa le personnel du secteur médical et para-médical a fait plusieurs semaines de grève pour l’amélioration des conditions de travail, contre les trafics, le favoritisme, etc. La direction a répondu en déposant une plaintes pour «grève sauvage» et une plainte contre 4 syndicalistes pour «agression» du directeur. Un « comité de soutien populaire » aux grévistes s’est constitué. Il est probable qu’ailleurs dans le pays d’autres grèves se sont déroulées dont nous n’avons pu avoir connaissance

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