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Algérie : la farce électorale échoue à camoufler la dictature bourgeoise

Article paru dans Le Prolétaire, n° 449, mai-juin-juillet 1999, p. 1-2


Ce n’est pas d’hier que le marxisme dénonce la duperie des institutions démocratiques et des mécanismes électoraux. Dès l’origine, il a mis en évidence que contrairement à la légende démocratique, ce n’est pas la « libre volonté » des citoyens, exprimée au travers d’un vote manifestant la « souveraineté du peuple », qui détermine l’orientation des Etats bourgeois, mais les intérêts de la classe dominante. Comme disait Lénine, la plus démocratique des Républiques démocratiques n’est pas autre chose qu’une dictature de la bourgeoisie. La tâche constante des communistes est donc de dévoiler le mensonge démocratique qui sert à la bourgeoisie à masquer les antagonismes de classes et à présenter aux prolétaires la perspective d’une amélioration facile et indolore de leur grâce au bulletin de vote. Contre les illusions démocratiques, les communistes rappellent que c’est seulement en se lançant dans la lutte ouverte de classe menée jusqu’à la révolution, c’est-à-dire la prise du pouvoir, la destruction de l’Etat bourgeois et l’instauration sur ses ruines de la dictature du prolétariat, que les prolétaires se donneront les moyens de s’émanciper, d’en finir avec l’exploitation, l’oppression et la misère, en détruisant le capitalisme.

La démocratie est une arme si utile pour la défense du système capitaliste que les bourgeoisies des pays impérialistes dominants, sur la base de leur riche expérience historique contre-révolutionnaire, ne ménagent pas leurs efforts pour faire adopter par les bourgeoisies plus jeunes et moins expérimentées, les méthodes et les moyens de la duperie démocratique : la mise en oeuvre de mesures de démocratisation est de plus en plus une des conditions à l’octroi de crédits ou d’« aides » aux pays capitalistes moins développés, presque à l’égal des mesures habituelles en faveur des intérêts économiques impérialistes, comme l’ouverture aux investissements étrangers, libéralisation économique, etc., pour ne pas parler des « liens » beaucoup plus directs qui accompagnent une partie de cette soi-disant « aide ».

Mais ces pays n’ont en général pas les moyens de payer les frais de fonctionnement d’un système démocratique comparable à celui des pays riches, dont la crédibilité s’appuie sur des institutions, des amortisseurs sociaux, de multiples organisations et partis financés par l’Etat qui grâce à la possibilité de redistribuer quelques miettes et d’accorder quelques concessions aux masses à l’occasion des changements de personnel aux postes électifs, réussissent à se constituer une clientèle électorale. Les mesures de démocratisation dans les pays pauvres ont par contre le plus grand mal à acquérir cette crédibilité, à paraître autre chose pour les masses qu’une pure mascarade, impuissante à camoufler la réalité de la dictature de la classe bourgeoise.

L’Algérie nous en donne un exemple caricatural.

La démission il y a quelques mois du président Zéroual à la suite des luttes internes dans les milieux bourgeois dirigeants (l) a entraîné la tenue d’élections présidentielles, occasion idéale pour le régime de se donner une légitimité démocratique, et de relâcher un moment, grâce à la soupape de sécurité des élections, les tensions violentes qui s’accumulent en raison de la situation désastreuse des prolétaires et des masses. Un seul chiffre donne la mesure de cette situation : le taux de chômage est évalué à 50 % (2), les liquidations d’entreprise se multiplient, les salaires impayés sont de plus en plus fréquents, etc.

L’impérialisme faisait d’ailleurs pression en faveur d’une « démocratisation » : les américains – premiers clients de l’Algérie – avaient publiquement averti qu’ils jugeraient de la légitimité de cette élection à la participation de partis d’opposition. Zéroual avait solennellement affirmé qu’il ferait tout pour que les élections soient honnêtes et se déroulent dans la plus grande transparence ; différentes mesures anti-fraudes avaient été annoncées à grand bruit et même des journalistes et des commentateurs d’« opposition » expliquaient que cette fois-ci, les élections avaient de grandes chances de ne pas être truquées… en raison des divisions des cercles dirigeants qui les empêchaient de s’entendre sur le nom du futur élu !

Le grand succès du régime dans cette phase a été d’obtenir la participation du FFS (Front des Forces Socialistes, de tendance social-démocrate) à la campagne électorale. Le FFS, opposant de toujours (son chef Aït Ahmed, l’un des dirigeants historiques de la guerre d’indépendance, avait été condamné à mort pour avoir voulu continuer l’insurrection contre le nouveau régime qui s’installait à Alger) avait boycotté la précédente élection présidentielle et dénoncé le coup d’Etat (3). Partisan de la démocratie et de la laïcité, il prône le dialogue avec les islamistes du FIS et demande la fin du rôle politique de l’armée. En outre – même s’il se veut un parti national – il jouit d’une implantation réelle en Kabylie, région turbulente où l’hostilité envers les autorités est grande et nourrit de fortes poussées régionalistes. On voit donc tout l’intérêt que revêtait, pour la crédibilité de l’élection et plus généralement pour la crédibilité de la voie démocratique, la participation de ce parti à la campagne électorale, les autres candidats en lice, censés représenter divers courants d’opinion, étant tous issus du sérail.

La démocratie est un système qui est au service de l’ordre bourgeois, mais les hauts responsables militaires qui dirigent l’Algérie préfèrent ne pas prendre de risque. L’appui ouvert de l’administration au candidat officiel Bouteflika, se transformait la veille du scrutin en un bourrage habituel des urnes, mais si grossier que les 6 autres candidats, après avoir vainement tenté de faire appel au président sortant, décidaient de se retirer en protestation solennelle contre la fraude. Le candidat officiel lui-même déclarait alors qu’il se retirerait lui aussi si le taux de participation et son score n’était pas suffisamment élevé. Et en dépit du fait que tout le monde pouvait constater que les bureaux de vote étaient désertés, les Autorités annonçaient le soir un taux de participation supérieur à 60% (le taux réel aurait été de 20% environ) et l’élection de Bouteflika avec 73,79% des suffrages…

LA MASCARADE DE L’OPPOSITION

En dépit de cette mascarade grossière, la presse « indépendante » (hum !), relayée par les médias étrangers, a salué dans le retrait collectif des 6 candidats, l’acte fondateur d’une véritable opposition démocratique, résultat malgré tout positif ce cette élection. Or, cette vertueuse indignation des 6 candidats et de leurs partis n’est qu’une mascarade, une manœuvre pour conserver ou acquérir une crédibilité face aux masses qui se détournaient de ce cirque électoral si grossièrement organisé.

En effet les candidats oppositionnels savaient pertinemment que les jeux étaient faits d’avance et ils avaient décidé tout à fait consciemment de cautionner cette farce. Le quotidien algérois « Le Matin » écrit ces lignes révélatrices : « Une fois encore, les  »poids lourds » de l’armée algérienne ont  »drivé » dans l’ombre l’accession au pouvoir d’Abdelaziz Bouteflika et la défaite, voire le retrait quasi  »programmé », de ses adversaires.

(…) Tandis que de plus en plus de candidats se révèlent (après la démission de Zéroual – NdlR), les dirigeants de l’armée commencent à chercher leur  »poulain » et à choisir ses opposants ». Le choix se porte sur Bouteflika, « cependant à cette époque, le jeu ne paraît pas complètement fermé. Certains autres candidats, (…) pensent que les dirigeants de l’armée n’ont pas définitivement choisi et que le premier tour des élections sera une sorte de « primaire » entre les principaux candidats issus du sérail. (…) Quant à l’opposant de toujours, Hocine Aït Ahmed, après qu’un dirigeant de son parti, le FFS eut rencontré Tewfik (le chef de l’ancienne Sécurité Militaire – NdlR), il a obtenu certaines  »garanties » et a décidé de rentrer en Algérie et de participer aux élections qu’il crédibilisera par sa présence. Il pense faire un bon score, arriver lui aussi deuxième (le lui a-t-on promis ?) et obtenir un poste de prestige » (4). L’article décrit ensuite par les manœuvres pour éliminer certains candidats et en choisir d’autres de façon à ce qu’il y ait « 7 participants et 1 gagnant » et termine en émettant l’hypothèse que les candidats « prêts à accepter une fraude quasi traditionnelle » ont dû se retirer car celle-ci était trop voyante, peut-être à la suite de manœuvres de certains services faisant exprès de l’excès de zèle.

Peu importe, l’essentiel est que la grossièreté de l’opération révèle la mascarade du cirque électoral : non seulement les manœuvres du pouvoir pour organiser la fraude, pour arranger à l’avance les résultats, mais aussi la fraude que constitue l’opposition démocratique au pouvoir. Il n’y a rien à attendre des élections, ni des partis démocratiques qui les cautionnent. Cette vérité établie par le marxisme, l’élection présidentielle en Algérie l’a démontrée à nouveau. Mais elle s’applique tout autant dans les riches pays capitalistes où la bourgeoisie possède, en plus du doigté acquis par des siècles d’expérience, infiniment plus de ressources en tout genre pour crédibiliser les mécanismes démocratiques. Ici comme là-bas, la démocratie est un piège anti-prolétarien, une méthode pour duper le prolétariat. C’est par une autre voie, par la lutte ouverte et directe, classe contre classe, dont les émeutes de la semoule en 88 montrent, sinon un exemple car cette lutte dépasse de bien loin de simples émeutes, mais la possibilité en Algérie, que les prolétaires et les masses opprimées, peuvent se défendre, faire reculer la bourgeoisie avant d’avoir la force de la renverser, elle et son Etat.


(1) Voir « Le Prolétaire » n° 446

(2) cf « El Watan », 15/6/99, « Élites et bazar en Algérie »

(3) Voir au sujet du coup d’Etat, « Le Prolétaire » n° 414.

(4) cf « Le Matin », 23-24/4/99. Il s’agit d’un article repris de l’hebdomadaire français « L’Evénement ».

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