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En Algérie, « révolution agraire » et volontariat

Article paru dans Le Prolétaire, n° 242, 23 avril au 6 mai 1977, p. 6

« Un village qui fait la fierté de nos fellahs », (photo publiée dans El Djeich, n° 167, avril 1977, p. 34)

Les statistiques de la FAO indiquent que si la production agricole en Algérie s’élevait à l’indice 100 sur la moyenne des années 1961-1965, elle est seulement passée à l’indice 110 pour la moyenne des années 1970-1974. Mais, comme dans le même temps la population a cru considérablement plus vite, la production (agricole comme alimentaire) par tête d’habitant est passée de l’indice 100 à l’indice 85. De plus, pendant les années 69 à 71, l’agriculture algérienne, au lieu de progresser de 3 % l’an selon les vœux des planificateurs « socialistes », a bel et bien diminué au rythme de 1 % l’an.

Il est clair qu’un tel déficit alimentaire porte atteinte à la sacro-sainte accumulation de capital qui nécessite une forte augmentation de la productivité agricole. Mais il y a plus grave encore pour les classes dominantes algériennes : la pénurie des biens agricoles, la hausse des prix et l’aggravation des conditions de vie des masses exploitées des villes et des campagnes qu’elles entraînent inévitablement dans leur sillage représentent un risque majeur pour la paix sociale, cette autre condition indispensable de l’accumulation de capital.

Voici donc brossée rapidement la toile de fond de la fameuse « révolution agraire » théâtralement lancée par le régime de Boumedienne en 1971.

Sans doute l’intérêt des prolétaires, des semi-prolétaires et des masses paysannes pauvres aurait-il exigé un déchaînement de la lutte de classe dans les campagnes, qui élimine rapidement les vieilles classes et aide à refermer l’immense plaie ouverte par l’agriculture spéculative coloniale : ainsi aurait pu être allégé le sort des masses paysannes pauvres et aurait-on pu marcher par la voie la plus directe à la satisfaction des besoins alimentaires des villes.

Mais le régime de Boumedienne s’est installé à la pointe des baïonnettes d’une armée sélectionnée et entraînée hors des frontières, hors d’atteinte du souffle révolutionnaire des masses plébéiennes radicalisées. Ils’est installé en faisant marcher cette armée contre le mouvement révolutionnaire urbain et contre les révoltes paysannes, la main dans la main avec la petite-bourgeoisie urbaine et terrienne, lasse de la tourmente politique, avec la propriété foncière et les castes religieuses, et bien entendu, sous l’œil bienveillant de l’impérialisme qui lui a su gré, comme l’a déclaré une fois le très peu révolutionnaire Financial Times, d’avoir « dépolitisé » l’Algérie.

La soi-disant révolution agraire de Boumedienne ne pouvait donc avoir d’autre objectif que de tenter de développer la production agricole, mais en touchant le moins possible aux privilèges et aux vieux rapports de classe, même quand l’évolution économique les rend toujours plus pesants et insupportables. Ce faisant elle emprunte la voie économique la plus longue pour transformer les campagnes, en stabilisant une petite couche de paysans privilégiés, et surtout en essayant de transformer en douceur les propriétaires fonciers en bourgeoisie commerçante et industrielle. C’est ainsi que les masses pauvres de l’Algérie devront se saigner aux quatre veines pour supporter, en plus de leur misère qui est déjà immense, l’indemnisation des propriétaires fonciers prévue en 15 ans avec un taux de 2,5 %, comme cela ressort de l’article 99 de l’ordonnance du 8 novembre 1971.


Il manquait à ce simulacre de révolution, pour que l’illusion soit parfaite, une onction populaire. Et quels meilleurs représentants du « peuple » en général que les étudiants, « issus du peuple » et en même temps abreuvés aux fontaines du progrès et de la lutte contre le passé ?

C’est ainsi que l’été de 1972 vit naître parmi les étudiants un mouvement spontané de volontariat au profit de la « révolution agraire », qui consistait en un travail politique visant à gagner les paysans aux nouvelles structures mises en place, dans le but de les contrôler.

Le 16 mars 1973 marque l’institutionnalisation de ce mouvement par le pouvoir dans la mesure où le volontariat se montra comme un cadre pouvant rassembler les étudiants ainsi que d’autres catégories de jeunes (lycéens, ouvriers, chômeurs) autour de la défense des « acquis progressistes de la révolution notamment la « révolution agraire ».

Les « progressistes » viennent de célébrer en Algérie le quatrième anniversaire de ce mouvement fort désormais, grâce à sa majesté l’Etat, d’une capacité de mobilisation de plus de 10.000 personnes.

Ce mouvement, qui travaille également parmi les prolétaires ne serait pas ce qu’il est aujourd’hui sans le soutien du Parti de l’Avant-Garde Socialiste (PAGS, ex-PCA). Il est arrivé à gagner plusieurs franges de jeunes combatifs, en brandissant la théorie catastrophique de la révolution par étapes. Les staliniens enseignent aux jeunes qu’ils influencent que dans l’ « étape démocratique par laquelle passe actuellement l’Algérie », il s’agirait, selon leur phraséologie, de consolider les acquis démocratiques en soutenant les réalisations progressistes que le pouvoir accepterait sous l’impulsion des masses. Et à tous ceux qui font un effort pour essayer de trouver la voie de la lutte de classe, les staliniens donnent l’étiquette de gauchistes.

Hier le parti « communiste » algérien (PCA) trahissait la lutte anti-impérialiste sous prétexte de solidarité internationale avec les ouvriers français et au nom de la lutte de classe en Algérie ; aujourd’hui, le PAGS, son héritier, trahit la lutte de classe au nom de la lutte anti-impérialiste.

Le stalinisme démontre encore une fois que son principe est de soutenir partout le pouvoir en place. Les prolétaires et les paysans pauvres, ainsi que les révolutionnaires qui veulent aider leur lutte, doivent donc le combattre comme tel.

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