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A bas les versets hypocrites de la bourgeoisie !

Article paru dans Le Prolétaire, n° 400, février-mars-avril 1989, p. 2


Le livre de Salman Rushdie est l’occasion d’une furieuse bataille de propagande, ou, de part et d’autre, tous les versets de l’idéologie bourgeoise sont utilisés à fond pour bourrer le crâne de la population et la mobiliser en soutien des classes dominantes et de leurs Etats. Passons en revue toutes ces canailles qui font dans cette affaire assaut d’hypocrisie.

Du côté de Téhéran, l’agitation des milieux d’extrême-droite musulmans contre Rushdie a été récupérée sans coup férir au profit de l’Iran, alors qu’elle était au départ d’origine pakistanaise, en lien à la défaite électorale de la droite islamiste. Le régime de Khomeiny a pu ainsi regagner auprès des masses religieuses islamistes au moins une partie de l’influence perdue à la suite de son échec militaire. C’est un succès qu’il peut faire valoir auprès de son « opinion publique » intérieure. Loin d’être l’oeuvre d’un fou sanguinaire, l’appel de Khomeiny à l’assassinat de Rushdie s’inscrit dans une orientation politique tout à fait consciente et efficace. En proie à de graves difficultés externes et internes, tant politiques qu’économiques et sociales, le régime des mollahs n’a guère d’autres ressources que de faire jouer la propagande religieuse et nationaliste. Il a tout de suite saisi l’aubaine constituée à cet égard par le livre « Les versets sataniques », en vente depuis plusieurs mois déjà, mais ignoré par Téhéran avant la manifestation des intégristes Pakistanais. Son titre, le fait qu’il était publié à Londres, le désignait en outre comme une cible parfaite pour une propagande rodée à la dénonciation des « Satans » occidentaux. Il a permis la réactivation de la propagande chauvine qui avait soutenu et justifié les sacrifices de la guerre. La campagne contre les blasphèmes sataniques a réussi au moins pour un temps à ressouder les rangs des dirigeants iraniens à défaut, semble-t-il d’avoir vraiment pu mobiliser les masses.

Mais les dirigeants de Téhéran n’avaient pas mesuré l’effet déplorable
qu’a eu sur le monde non musulman l’appel de Khomeiny. Sans y prendre garde, ils ont menacé de se comporter vis-à-vis de Rushdie comme ils agissent quotidiennement vis-à-vis de leurs opposants : par les fusillades et les assassinats. Le résultat, c’est qu’ils ont réussi à bloquer la reprise en grand des contacts avec les capitalistes occidentaux au moment où ils en ont désespérément besoin pour remettre sur pied leur économie. Téhéran en est réduit à jouer la carte de l’URSS – le « 2ème grand Satan » – pour faire comprendre à l’Occident – le « grand Satan » – qu’il risque de perdre le marché iranien. On est loin des préoccupations soi-disant exclusivement religieuses et théologiques de l’Imam de Khom !

L’Union Soviétique qui a fait, paraît-il, de l’athéisme militant et de la propagande anti-religieuse une de ses règles, s’est empressée de proclamer qu’elle ne publierait pas le livre de Rushdie pour ne pas blesser les sentiments religieux des musulmans La bourgeoisie soviétique abandonne sans problèmes son athéisme, si elle y trouve un intérêt. Et l’agence TASS a volé au secours de Khomeiny en lui fournissant des justifications et des explications qui puissent être comprises de l’occident. L’URSS de Gorbatchev ne se fait en effet pas d’illusions sur ses capacités à répondre aux besoins de l’économie iranienne. Elle s’est précipitée dans la brèche ouverte par l’affaire Rushdie, non pour évincer les capitalistes occidentaux, mais pour servir de médiateur et d’intermédiaire entre eux et Téhéran. C’est un rôle assez nouveau qu’il faut noter car il risque à l’avenir de se reproduire ailleurs.

Mais la palme de l’hypocrisie la plus répugnante doit sans aucun doute être attribuée aux bourgeois occidentaux. Ils se bousculaient ces derniers temps pour participer aux juteuses affaires de la reconstruction de l’Iran, après avoir largement profité des affaires de la guerre. Les récents massacres de centaines d’opposants dans les geôles de Téhéran ne freinaient en aucune façon leur ardeur: qu’est-ce que c’était par rapport aux centaines de milliers de cadavres de la guerre qui ne leur ont jamais fait renoncé au moindre espoir de profit ? Les premières réactions aux appels de Khomeiny à l’assassinat d’un écrivain pakistanais, furent donc discrètes : on n’allait tout de même pas compromettre pour si peu des relations
économiques si prometteuses !

Mais l’écho recueilli par ces déclarations et la tonalité anti-occidentale
des manifestations ont soudain éveillé la prudence de nos capitalistes, qui se sont mis à craindre sinon une « radicalisation » du régime, du moins une période de trouble et d’incertitude à Téhéran. C’est à ce moment que s’est développée la campagne tapageuse de dénonciation de Khomeiny au nom des principes de la démocratie et des droits de l’homme. Le CNPF estime que la tension « rend plus difficile de décider s’il faut ouvrir des bureaux permanents ou investir en Iran » ; les discussions sur un prêt de 2,7 millions de dollars de l’Allemagne ont été reportées, etc. Sadam Hussein, le « boucher » de Bagdhad dont la police vient d’être accusée de torturer les enfants de ses opposants, en a profité pour condamner lui aussi les violations des libertés par Khomeiny, ajoutant une touche supplémentaire d’horrible cynisme à cette odieuse campagne. Odieuse, cette campagne l’est parce que la démocratie impérialiste vit de la misère et de la mort des masses déshéritées du monde, en plus de l’exploitation de son prolétariat; odieuse elle l’est encore parce que tous ses beaux principes n’ont jamais servi qu’à camoufler ses crimes et ses vilenies dont les mollahs de Téhéran ne sont que de pâles imitateurs : il suffit de se rappeler 2 guerres mondiales et d’innombrables guerres coloniales.

Odieuse, elle l’est enfin, parce que nos moralistes bourgeois aux mains tâchées de sang (Mitterrand, Fabius et cie, qui a fait tuer un pacifiste de Green-Peace et des indépendantistes Kanaks ? Qui a envoyé des soldats au Tchad, au Liban et en Irak même pour « instruire » sur le terrain les soldats locaux pour en rester à ce qui est récent et public ?) se gardent bien de rompre les ponts avec Téhéran, malgré le vacarme des médias. Ils savent que tôt ou tard le régime islamique fera appel à eux et qu’il lui faudra alors donner des garanties, non sur la liberté de pensée, mais sur la libre circulation des capitaux, sur l’intangibilité des investissements, sur les délais de paiement, etc. Et ces garanties, ce sont en définitive les masses exploitées iraniennes qui devront en payer le prix.

C’est pourquoi il est nécessaire que les prolétaires se tiennent à l’écart de cette campagne pro-impérialiste de dénonciation du « fanatisme ». La classe ouvrière doit sans aucun doute lutter résolument contre la réaction religieuse – et contre la religion, ce que se gardent bien de faire les démocrates. Elle ne peut le faire au nom de la démocratie bourgeoise, en alliance avec l’impérialisme, mais uniquement au nom de la révolution socialiste internationale, en alliance avec les prolétaires et les opprimés du monde entier.

C’est là la seule façon d’arracher les travailleurs et les masses exploitées à l’emprise réactionnaire de l’Islam ou de toute autre religion, comme à l’emprise paralysante des hypocrites versets démocratiques.

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