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Robert Petitgand et Paul Bénichou : Psychologie du fascisme

Article de Robert Petitgand alias Delny et Paul Bénichou paru dans Masses, n° 14, mars 1934, p. 8-10


Depuis le développement du mouvement national-socialiste en Allemagne, et surtout depuis son triomphe, on constate un peu partout, et parfois dans les esprits les moins désignés jusque là pour le subir, une sorte de vertige devant l’hitlérisme et sa démagogie. A vrai dire, les premiers responsables de ce vertige ont été les révolutionnaires, coupables de n’avoir pas dès le début, stigmatisé comme il le fallait la vague de profonde régression psychique et morale que recouvrait mal le verbiage hurlant de la « révolution » fasciste. Les communistes les premiers ont accrédité la légende des prétendues aspirations révolutionnaires de la masse hitlérienne, dont le comportement faussé par l’influence des chefs, cachait, paraît-il, les meilleures intentions.

Le thème a été repris après eux et on a eu trop souvent tendance à considérer que les troupes hitlériennes péchaient plus par malentendu que par vice et soutenaient la réaction sociale sans y être attachées de cœur.

Les fascistes italiens, à une époque où le mouvement ouvrier avait plus qu’aujourd’hui la conscience de sa nature et de ses buts, n’avaient guère rencontré semblable indulgence. Dans l’affaissement général de la conscience révolutionnaire qui caractérise la période présente, on a abandonné sans difficulté au troupeau déchaîné de la plus effroyable réaction, le droit de souiller en les adoptant le nom et l’idée de révolution.

Où peut bien se trouver l’aspiration révolutionnaire dans la mentalité fasciste ? On a cru sans doute en déceler la présence dans l’appel constant fait par les fascistes à la révolte du peuple contre des oppresseurs puissants qui le bafouent et le grugent, dans les sarcasmes répétés à l’égard des gens en place, dans l’invitation à un nettoyage purificateur de la société par l’élimination du mercantilisme et de la corruption, dans le désir d’une rénovation par la masse du peuple d’institutions vermoulues, enfin dans l’évocation d’une fraternité populaire honnête et naïve, âme prétendue du mouvement. On a crié contre les puissants du moment, on a fait fraterniser le pauvre monde. Voilà une attitude peu conforme évidemment aux habitudes d’un tory anglais ou d’un lecteur pondéré du Temps. C’est par rapport à ce type moyen de conservateur bourgeois, tel qu’il a existé et existe encore, surtout d’ailleurs dans les pays évolués, et au public qui se façonne à son image, que l’hitlérisme apparaît à certains comme un phénomène nouveau, faisant appel à des sentiment jusque là réputés subversifs, et étrangers à la mentalité réactionnaire.

Il y a là, selon nous, une erreur de perspective qui provient à la fois d’une analyse inexacte de la psychologie fasciste, et d’une méconnaissance des ressorts psychiques les plus traditionnels de l’extrémisme réactionnaire.

LES FASCISTES ET LE POUVOIR

Les fascistes s’en prennent à la puissance établie. Mais à quelle puissance et dans quel esprit ? La haine du puissant et de l’oppresseur n’est une attitude révolutionnaire que dans la mesure où l’oppresseur symbolise plus généralement toute tyrannie de l’homme sur l’homme, et sa disparition la fin de cette tyrannie. Que symbolisent aux yeux des fascistes les « gouvernants » qu’ils détestent ? Toujours la timidité dans l’exercice du pouvoir, jamais le pouvoir lui-même.

L’objet central de la haine fasciste, est comme chacun sait, l’Etat démocratique, précisément accusé de frayer les voies par son libéralisme, à la désagrégation finale de l’Etat et du pouvoir constamment présenté comme le fourrier de la révolution et de l’anarchie, c’est à ce titre seul qu’il est détesté.

Le trait fondamental peut-être de la psychologie fasciste réside dans cette obsession « totalitaire » d’une domination sans fissures et d’une soumission sans débat, ladite obsession s’accommodant d’un délire, en vertu duquel le plus minime élément de tolérance dans l’exercice de l’autorité est attribué à des influences occultes et scélérates visant à la subversion de l’autorité tout entière. Un pareil comportement à l’égard du pouvoir se place aux antipodes de cette haine foncière contre l’oppression, qui a toujours été le premier élément, comme le plus précieux, d’une conscience révolutionnaire.

La confusion que nous dénonçons ici n’eut d’ailleurs jamais été possible sans le criminel dédain dont la notion de liberté est devenue l’objet dans la corruption actuelle du mouvement ouvrier.

Mais venons-en au détail et examinons de près toute la gamme des griefs exprimés par les fascistes à l’égard de l’autorité démocratique. Un des domaines les plus importants où elle manifeste selon eux sa faiblesse est celui de la répression.

L’autorité dont rêve le fascisme est celle qui écrase et anéantit par la force quiconque ose faire de la force un objet de discussion, et nous savons jusqu’à quel point le délire fasciste est chatouilleux en cette matière. Loin de répondre à cet idéal, l’Etat démocratique accepte de discuter les coups qu’il porte, et finalement n’en porte que d’insignifiants : par cette attitude, il se range lui-même, tout puissant qu’il est, parmi les faibles qu’il eût dû sans pitié maintenir à leur place, et dès lors mérite exactement le même traitement qu’eux ; la destruction radicale. Ainsi c’est le culte de la violence répressive qui constitue l’aliment principal de la frénésie « révolutionnaire » des fascistes en face des pouvoirs établis.

Mais comment conçoivent-ils l’autorité réprimante ? Chacun sait qu’ils reprochent constamment à l’autorité démocratique son caractère impersonnel. Les pays démocratiques ont bien des chefs d’Etat Présidents de République, chefs de cabinets ou ministres, mais ceux-ci dépendent d’une assemblée aux mille têtes sujette au changement et à l’indécision et où l’on chercherait en vain une volonté directrice et ordonnatrice. La dite volonté ne saurait se trouver, selon les fascistes que dans une personne souveraine. De là la tendresse que les sectateurs du IIIe Reich vouent au souvenir des empereurs germaniques, d’un Frédéric le Grand par exemple, image même du pouvoir personnel. L’idée qui est à l’origine du système représentatif et qui constitue depuis plusieurs siècles la conquête la plus précieuse de civilisation en matière politique, fonde le pouvoir du gouvernement sur le consentement du gouverné ; sans vouloir examiner si les prétendues applications de cette idée n’ont pas été jusqu’ici autant de tromperies, nous constaterons que l’idée elle-même dépasse de beaucoup les limites moyennes du développement d’une tête fasciste. A un milicien allemand ou italien comme à tout lecteur français de l’Ami du Peuple, l’organisation sociale apparaît beaucoup plus simplement sous les traits d’un individu en chair et en os, traînant derrière lui un sabre imposant comme remède aux lenteurs oiseuses de la réflexion.

Semblable attitude se range parmi les formes les plus grossières et les plus irrationnelles de la psychologie sociale, et fonde les rapports entre les membres d’une société sur le plaisir aussi instinctif qu’imbécile de commander et d’obéir. Evidemment aucune des Sociétés jusqu’ici connues n’avait pu se passer d’un semblable ressort sans lequel l’oppression de l’homme par l’homme, règle de la société humaine jusqu’à ce jour, eût été impossible à maintenir, Jamais cependant n’était apparue l’exigence, entre celui qui commande et celui qui obéit, de rapports si purement brutaux, et aliénant à ce point tout jugement ; jamais à ce point, les rapports militaires n’avaient prétendu s’imposer à la société tout entière.

IDEAL D’UNE SOCIETE MILITAIRE

Une masse révolutionnaire, digne de ce nom est avant tout frappée par l’inconscience qui préside aux destinées du régime capitaliste, de ce déchaînement de forces aveugles, auxquelles elle se sent soumise, et elle est pénétrée de cette idée que son intervention consciente raisonnée et calculée dans le processus économique, pour en régler les rouages et l’évolution peut seule libérer l’humanité et la faire progresser. Son hostilité contre l’Etat parlementaire se fonde sur des griefs contraires à ceux des fascistes ; elle lui reproche de n’être, en dépit des apparences, qu’une machine d’oppression brutale au service de l’anarchie capitaliste, occupée à réprimer les initiatives conscientes des révolutionnaires à contenir leurs énergies réformatrices, ne visant en un mot qu’à mettre l’esprit au cachot et à tenir l’homme dans ses fers.

Pour le petit boutiquier fasciste, ainsi que nous l’écrivons plus haut, l’autorité démocratique est justement coupable de lèse-majesté envers l’Ordre Social ; par son mécanisme, par ses lenteurs, par l’éparpillement de la puissance où « nul ne commande et personne n’obéit » elle engendre le désordre et favorise son synonyme : la Révolution Socialiste. Les maigres conquêtes sociales de la classe ouvrière, les quelques éléments de conscience introduits dans l’Economie enragent fort ce petit bourgeois dont la propriété moribonde ne saurait résister à l’action d’une pensée sociale critique. Aussi réagit-il contre sa misère par une mystique délirante où le pouvoir magique d’un chef sur les choses d’une part, la soumission et la sottise du sujet d’autre part se substituent à la volonté consciente. Le trait fondamental de la psychologie fasciste, la foi dans un sauveur, s’explique ainsi :

« Finies ces vaines parlottes, dit le petit boutiquier, finies ces tergiversations où les « marxistes » trouvent toujours leur compte ; il me faut un maître qui me dispense de réfléchir ; le sabre qui est le symbole sacré de l’Ordre, qui représente la loi morale déposée par Dieu dans la conscience de chaque individu, dispose d’une puissance incalculable, capable d’exterminer les guerres et de commander aux choses. »

L’idéal d’une Société militaire, l’aspiration à des rapports humains, calqués à tous les degrés de l’échelle sociale sur le modèle des rapports entre le « chef  » suprême et ses sujets, constitue l’essence de la philosophie fasciste et apparaît aux tenants de cette conception comme le seul moyen susceptible d’assurer à chacun son existence. Nous pourrions définir cet idéal profondément rétrograde comme une « philosophie d’adjudant » tant il est vrai que les formes de l’autorité désirée s’apparentent étroitement au style militaire et tellement les rapports entre les hommes, dans une Société fasciste, rappellent l’attitude du sous-officier vis-à-vis de ses supérieurs et de ses subordonnés. La férocité dans l’exercice du pouvoir est une revendication première des nazis ; ils s’élèvent contre le libéralisme précisément au nom de cette férocité et ils ne conçoivent leur « chef » que comme un être terrible, sévère, voir sadique, à qui toute indulgence, tout sentiment humain sont étrangers. C’est le portrait même du général d’armée qui ne réussit dans ses calculs et n’exerce une action salvatrice qu’à la condition de se montrer extrêmement cruel dans l’exercice de son autorité et d’imposer à tous une discipline de fer.

Le « Führer » lui ressemble et, dans la Société fasciste, chaque citoyen est un soldat qui obéit passivement et encaisse sans broncher les coups de pieds au derrière, considérant chaque coup de pied comme une marque de l’intérêt supérieur que ses chefs portent au peuple allemand. Ce mépris le plus complet pour ce qu’on nomme la liberté, sont les traits saillants de cette psychologie, formée à partir de l’« imago » du bon soldat.

Le respect et la peur de l’autorité renforce le désir d’en exercer une parcelle. Notre boutiquier qui présente avec enthousiasme son derrière aux coups, fait aussi des rêves de grandeur ; dans la grande armée fasciste il s’imagine caporal ou sergent et se voit, en possession d’une grande matraque, assommant les adversaires de l’Ordre. Fidèle défenseur du peuple allemand, il s’attribue la noble tâche de participer activement au maintien des lois. Les parlementaires, les ministres, les têtes corrompues des classes dirigeantes s’abandonnaient aux douceurs de la vie et ne brandissaient plus que mollement le sabre exterminateur ; lui, représentant d’une classe qui travaille et qui méprise les jouissances saura se substituer à ces autorités défaillantes et fera respecter l’ordre de la façon la plus énergique, s’identifiant à son « Führer » redouté, il le surpassera en bassesse et en cruauté.

Ce dernier trait psychologique fournit la note dominante du comportement des fascistes. Leur délire sadique, leur rage destructrice s’expliquent par ce mécanisme ; ils rêvent d’une société militaire dont ils conçoivent, ce qui est logique, les rapports humains suivant un type sado-masochiste. L’armée est le modèle de tels rapports ; la négation de l’individu, l’obéissance passive, la servilité à l’égard du plus fort et la férocité envers le plus faible sont à la base de son organisation et de sa conservation. Aussi, est-ce à bon escient qu’ils l’admirent, imitant en cela, comme en bien d’autres choses encore. les vieilles cliques réactionnaires du passé qui ont toujours donné son esprit et ses méthodes en exemple à la société.

L’ENTHOUSIASME DE LA JEUNESSE

On a maintes fois vanté cette belle jeunesse hitlérienne dont l’enthousiasme, la santé morale, et les aspirations généreuses forment paraît-il un contraste étonnant avec le reste du mouvement. Poussant le paradoxe un peu loin, certains vont jusqu’à lui prêter des sentiments socialistes et la définissent comme une force révolutionnaire. Il s’agit de s’entendre une fois pour toutes sur ce chapitre. Si l’on considère que l’apologie de l’autorité, le sens d’une discipline aveuglément subie, la négation droits de la personne humaine et l’abdication de toute fonction intellectuelle sont les marques suprêmes de l’esprit révolutionnaire, alors, évidemment, la jeunesse fasciste répond à la définition qu’on en donne, elle est une force révolutionnaire. Mais si, comme nous le pensons, des sentiments socialistes s’expriment avant tout dans la haine de l’oppression et du mensonge, s’ils s’accompagnent chez les jeunes d’un ardent désir de vivre libres, de développer leur personnalité et leur conscience, s’ils se confondent avec l’exaltation de valeurs libertaires et profondément humaines, n’hésitons pas à qualifier de réactionnaire dans ses fins et ses moyens, l’enthousiasme déplacé de la jeunesse naziste.

Anatole France écrivait, à l’époque de l’ Affaire Dreyfus que la réaction utilise l’énergie et l’impatience des jeunes en les enrôlant dans l’armée. Ceux qui, dans la vie civile auraient employé leur temps et leurs forces à dépaver les rues pour construire des barricades, se dressent contre leurs frères exploités quand ils ont revêtu l’uniforme et qu’on leur place un fusil dans les mains.

C’est une bien triste remarque mais qui est malheureusement juste. Les jeunes générations, surtout celles d’après-guerre, se distinguent par leur impatience et leur inconscience ; durement touchées par la crise, précipitées dans le chômage, elles voient leur avenir sacrifié à l’existence d’un régime qui ne leur laisse aucune issue ; désireuses d’agir, elles veulent des solutions immédiates, et, comme elles sont dépourvues de culture et de traditions, elles deviennent la proie facile des pires démagogies. Le fascisme, avec ces jeunes, joue sur le velours. Promettant la Lune et le Soleil, quitte à ne rien donner, Il exploite habilement leur désir de solutions rapides : – Qu’avez-vous besoin de réfléchir ? Pourquoi vous inquiéter ? Hitler pourvoira à tout.

Inversement les révolutionnaires se trouvent devant une tâche ardue ; ils ne peuvent conquérir la jeunesse qu’en lui formant une Conscience, en substituant une claire compréhension de la question sociale à sa soif de réalisations immédiates. Travail d’hercule qui ne peut être entrepris efficacement que par un parti révolutionnaire armé d’une do.:trine sûre et de méthodes souples.

La jeunesse hitlérienne partage l’idéal fasciste ; avide d’autorité, corrompue par l’esprit militaire, elle n’aspire qu’à une fraternité de caserne où chacun, sous la trique du chef, ne sera qu’une unité dans le troupeau. C’est ce qui a perdu l’Allemagne.

CORRUPTION PARLEMENTAlRE

Une autre rengaine « révolutionnaire » des fascistes, c’est la corruption du monde actuel. Le relâchement de l’autorité et la ruine de la discipline sociale ont pour conséquence, selon eux, une dégénérescence morale, une malpropreté envahissante, qui ne peuvent cesser que par une régénération profonde, un renouveau de pureté dont ils se disent les champions, En France déjà les publicistes fascisants emploient, à propos de l’affaire Stavisky, colonnes sur colonnes à décrire « l’abcès » parlementaire, la putréfaction du régime, et appellent à grands cris le coup de balai, le nettoyage purificateur de la révolution nationale.

En quoi consiste donc pour un fasciste la pourriture morale du régime ? Avant tout dans le déchaînement des intérêts individuels, le débridement des appétits, la course aux jouissances que favorise et qu’entretient la faiblesse du pouvoir. Les milieux même qui gravitent autour de ce pouvoir, et que composent les « politiciens pourris » de la République, donnent l’exemple de la corruption et des basses voluptés. Noceurs, jouisseurs, aimant le luxe et les femmes, les politiciens satisfont leurs cyniques désirs aux dépens de la sueur du peuple. Ce qu’il faut avant tout remarquer, c’est que l’accent de la révolte et de l’indignation porte moins, chez les fascistes, sur les privations des uns que sur les jouissances des autres. Le fasciste désirerait faire de la misère au’il subit une règle commune à laquelle personne ne pût échapper. C’est là réaction classique de l’envie, soutien éternel de l’inégalité parce qu’elle est plus dirigée contre le malheureux oui s’évade de son malheur que contre le riche lui-même. L’évasion de la nécessité, la multiplication des jouissances, que le socialisme se propose comme but, à moins d’être déformé lui-même par un ascétisme réactionnaire, constituent justement pour le fascisme le comble de l’abomination morale.

Autant le fascisme ouvre l’écluse aux instincts agressifs et au sadisme sous toutes ses formes, autant il répudie en idéalisant la privation, les instincts dont la satisfaction favorise le développement de la vie et de l’intelligence, et au premier rang la jouissance sexuelle, symbole ultime à ses yeux de la malpropreté (1). Ce qu’il, décorent du nom de « pureté » n’est qu’un alliage monstrueux de férocité débridée et d’appétits vitaux réprimés.

Les bêtes noires du fascisme sont affublées par lui des caractéristiques opposées « marxisme et juiverie » se distinguent à ses yeux par l’esprit d’humanité, l’horreur des armes, qu’ils appellent veulerie, et par le goût des jouissances matérielles, qu’ils appellent saleté.

LA « REVOLUTION MORALE »

A la corruption du gouvernement parlementaire, accusé de rafler les deniers du peuple et traité couramment dans leur propagande de « gouvernement des coquins et des arrivistes » les fascistes prétendent opposer des institutions politiques à bon marché, dont la probité et l’économie seraient la règle. En fait, rien n’est plus faux et dans leur conception même du Pouvoir ils font une large place aux dépenses somptuaires. Les dirigeants nazis ne peuvent vivre simplement ; partout ils doivent « représenter » et leurs moindres déplacements font l’objet de parade ou le colossal le dispute au clinquant. L’esprit militaire que l’on veut inculquer au peuple se forme et s’entretient par des manifestations de cet ordre et il est toujours dangereux de priver la foule de tels excitants psychiques – sans remonter à l’époque napoléonienne qui en est un exemple classique, l’histoire du dernier règne en Allemagne le montre surabondamment. – Hitler aujourd’hui s’évertue à battre tous les records dans ce domaine et il n’est pas douteux que le coût des parades militaires et les frais de représentation des chefs et chefaillons fascistes excèdent les dépenses somptuaires de l’Etat démocratique Mais comme le remarquait avec juste raison, Renan, ce qui semble monstrueux pour une assemblée de 500 citoyens habillés comme tout le monde, apparaît parfaitement légitime lorsqu’il s’agit d’une tête couronnée ou d’un dictateur. Les dépenses de l’Etat hitlérien symbolisent le culte rie la force et la puissance coercitive de cet Etat. A ce titre elles sont du pain bénit pour n’importe quel fasciste.

Dans leurs attaques contre le « bolchevisme culturel » (entendez simplement les idées libérales) les fascistes insistent toujours sur la dissolution de la famille qui entraîne fatalement la ruine du principe d’autorité dans l’Ordre Social, et s’accompagne d’un relâchement général des mœurs, destructeur de toute discipline individuelle. Ces deux grandes conquêtes de la civilisation, l’atténuation de la contrainte que les parents exercent sur leurs enfants et l’émancipation de la femme qui participe de plus en plus activement à la vie sociale, leur apparaissent comme de monstrueux attentats contre la morale. Ils condamnent avec violence les facilités relativement plus grandes de rapprochement entre les sexes, jettent l’interdit sur toutes les manifestations osées de la vie sexuelle, pourchassent l’érotisme jusque dans la danse, le cinéma et le costume de bain. Leur idéal en cette matière se définit par des rapports purement bestiaux empreints de la plus grande brutalité, entre l’homme et la femme. Le fascisme n’éprouve pour cette dernière qu’un mépris souverain, tout symbole féminin est absent de son éthique ; admirateur exclusif de la virilité, il ne commence à prendre la femme en considération que lorsque celle-ci, devenue mère, donne des soldats au peuple allemand. Les jouissances amollissent les guerriers, un bon Allemand doit se garder par une vie chaste et ascétique de ces plaisirs corrupteurs qui émousseraient son énergie morale et feraient de lui un être efféminé, c’est-à-dire humain et civilisé. Père de famille tyrannique, mari austère et dominateur, moraliste sévère autant que bon soldat il réalise le type parfait de la brute. Sa femme et ses enfants lui feront honneur en restant sagement à la place que la morale leur assigne : pour la première, la marmite, l’église et les admonestations fréquentes restaureront la saine vie du foyer ; quant aux seconds, l’obéissance obtenue à l’aide de vigoureuses corrections continuera pour eux une excellente préparation à leur métier de soldat.

(à suivre)

DELNY et P. BENICHOU


(1) Il suffit de remarquer avec quelle obsédante attirance un Léon Daudet se débat dans des peintures scatologiques de l’immoralité républicaine pour comprendre que la manie ablutionniste et l’obsession de « propreté » sont issues chez les fascistes d’une répugnance morbide pour la sexualité conçue sous forme scatophilique.

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