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Livres : « Le Vertige »

Article paru dans Pouvoir ouvrier, n° 85, juillet-août 1967, p. 14

« Clara se couche sur le ventre et remonte sa robe. Des cicatrices profondes rayent ses cuisses et ses fesses, comme si des bêtes avaient mordu ses chairs…

– Ça, c’est la Gestapo, dit-elle d’une voix rauque. Puis elle s’assied et montrant ses mains, elle ajoute :

– Et ça, c’est le N.K.V.D.

Les bouts de ses doigts sont comme broyés, violacés, gonflés. Elle n’a plus d’ongles ».

Non, ce n’est pas un récit de plus sur les camps nazis, mais celui d’une expérience vécue de la répression stalinienne contre les premiers bolcheviks, le « Vertige » ou « chronique des temps du culte de la personnalité », publié aux éditions du Seuil (mai 1967).

Arrestations massives, délations, interrogatoires, « méthodes spéciales », prisons, amalgame avec les « droits commun », exterminations directes, « transferts » par wagons vers les camps de Sibérie, morts lentes, travail forcé par – 40° y sont rapportés avec beaucoup de précisions et ce constat est à lui seul un terrible réquisitoire.

L’auteur, Evguénia Guinzbourg, communiste orthodoxe pourtant, femme d’un membre du Comité Central exécutif, est suspectée parce qu’elle a travaillé sous les ordres d’un historien accusé de déviation trotskyste. Exclue en 1937, privée de travail, arrêtée et « interrogée » à Kazan et Moscou, elle est condamnée à dix ans d’isolement pour appartenance à un « groupe terroriste, contre-révolutionnaire, trotskyste… visant à restaurer le capitalisme et à liquider physiquement les dirigeants du parti et du gouvernement ». En réalité, elle fait 18 ans de prison et de camps avant d’être libérée, réhabilitée, réintégrée dans le parti sous le Khroutchévisme. Elle enseigne aujourd’hui à Moscou.

Staline mort, les bureaucrates seraient-ils devenus si bons qu’ils toléreraient de pareils écrits ? Il faut dire que, prudence ou orthodoxie, l’auteur ne prononce pas elle-même les jugements les plus durs sur le stalinisme. Elle sait faire parler ses « rencontres » des camps, ainsi ce Garci :

– « Koba (Staline), c’est le 18 Brumaire. On extermine les meilleurs militants du parti qui faisaient ou auraient pu faire obstacle à l’instauration définitive de sa dictature. »

Et cette Clara Maliar, « inscrite au parti bien avant la révolution », qui compare le bon Staline au bon Tsar qui fit massacrer les ouvriers le 9 janvier 1905.

Et cette communiste allemande qui soutient que « les instruments utilisés pour obtenir des confessions sincères avaient été importés d’Allemagne ».

Il faut dire que, naïve orthodoxie ou tactique adroite d’auteur qui veut être édité, Evguénia Guinzbourg s’empresse de clamer bien fort dès la première page :

« Dans notre parti, dans notre pays, règne à nouveau la grande vérité léniniste. Dès maintenant nous pouvons raconter ce qui a été et qui ne sera plus ».

Mais on ne peut empêcher de rapprocher de cette proclamation les phrases suivantes beaucoup plus discrètes, un peu plus loin, noyées :

« Vous ne comprenez pas, les événements qui viennent pour vous, ce sera difficile.

– Il est probable que si je devais me retrouver maintenant dans une situation semblable, je me repentirais… »

De toute façon « l’orthodoxie » et les « repentirs » n’auront servi à rien. Le manuscrit du « Vertige », n’a pas été, jusqu’à présent, publié en U.R.S.S.

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