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Fernand Doukhan : Dictature française en Algérie. Un coup de force

Article de Fernand Doukhan paru dans Le Libertaire, n° 320, 19 juin 1952


L’article que nous reproduisons ci-dessous est tiré de « L’Ecole républicaine », bulletin de la section d’Alger du Syndicat National des Instituteurs et Institutrices de l’Union Française, du mois de mai 1952.

Il nous a paru important de le communiquer à nos lecteurs, pour la position anticolonialiste du camarade Doukhan, position parallèle à celle que défend « Le Libertaire » dans la métropole.

Nulle part ailleurs plus qu’en Algérie le 1er Mai ne prenait sa signification profonde de journée de lutte :

— Une haute administration que de grasses sinécures ont mis au service d’un haut colonat de combat et qui réprime même les libertés reconnues par la constitution liberté d’association, droit de grève.

Rappelons-nous la répression des grévistes agricoles de Descartes, d’Ain-Taya. Une administration qui, dans l’exercice des mots d’ordre reçus, laisse accumuler le nombre d’analphabètes indispensables à l’exploitation des grandes propriétés et à l’érection de fortunes scandaleuses.

— Qui entretient la psychose de peur et qui légitime ses mesures par la découverte de soi-disant complots, et dont Claude Bourdet, Albert Camus, Jean Rous et Dechezelles ont dénoncé à Blida les procédés arbitraires.

— Qui, par les saisies et les amendes a supprimé la liberté de la presse pour certains journaux et l’a gravement compromise pour d’autres.

— Qui sévit contre les instituteurs de Mesaad, lesquels, en protestant contre la répression en Tunisie, n’ont pas fait autre chose que d’exercer leur droit le plus strict d’hommes et de citoyens, en dehors de leur activité professionnelle. Et, à ce sujet, le Bureau d’Alger a eu raison de signaler l’allégeance de l’Université à cette même administration et au ministère de l’Intérieur.

Cette haute administration a interdit le 1er Mai. Comment en aurait-il été autrement après les ratissages de Tunisie dont les détails édifiants ne sont tus que par ceux qui ne veulent ni voir ni entendre. Le colonialisme a montré sur quel terrain les travailleurs algériens et nord-africains doivent engager la lutte.

Et il faut dénoncer à ce sujet l’attitude de F.O. et de la C.F.T.C. approuvant cette mesure à Oran, afin qu’aucune confusion ne doive plus exister au sujet de la place des dirigeants du côté de l’exploitation et de la répression.

La C.G.T. a donné des mots d’ordre valables, mais se terminant par l’apologie de l’U.R.S.S. et, à ce sujet, tenue d’exécuter les mots d’ordre reçus, il lui était impossible de constituer un front de revendication et de protestation sur un programme minimum et ainsi soulever l’indignation de tous les travailleurs devant le coup de force du 1er Mai.

Elle parle de l’histoire du 1er Mai, histoire des martyrs de Chicago exécutés par une justice de classe, mais elle ne souffle mot du 1er Mai de la Libération où le parti collaborait au pouvoir, où il fallait produire, allonger la semaine de travail, bloquer les salaires et où la grève devenait « l’arme des trusts ».

Elle lutte contre la répression mais des témoignages dignes de foi existent suivant lesquels les syndicalistes, ceux qui veulent exercer les libertés fondamentales et sauvegarder l’indépendance des syndicats face au gouvernement, sont réprimés dans les démocraties populaires, et avec eux tous les adversaires politiques.

Les Autonomes se sont abstenus pour ce 1er Mai : il ne pouvait en être autrement, considérant leur corporatisme et l’esprit collaborationniste qui anime ces organisations.

— Le Bureau de la Section d’Alger a protesté : elle a été l’une des rares voix, bien faibles (pourquoi la protestation n’a-t-elle pas été publiée) qui s’est élevée contre le coup de force.

La situation est grave : en Tunisie, malgré la censure, la presse anglaise nous append qui la répression s’acharne tout particulièrement sur les syndicalistes libres. Les fonctionnaires peuvent être suspendus au gré du chef d’administration. « La menace pèse même sur les fonctionnaires français qui seraient tentés de se solidariser avec les Tunisiens. »

Les incidents de Mesaad, l’interdiction du 1er Mai nous indiquent que les mots d’ordre sont les mêmes pour toute l’A.F.N.

Que les instituteurs prennent parti, eux qui touchent du doigt la misère des populations et qui commencent à tomber victimes eux aussi de la répression.

Il y a donc une solidarité d’urgence à manifester sur le plan nord-africain dans le cadre d’un véritable front contre la répression, même avec les partis sur cet objectif seulement, front duquel les préoccupations électoralistes et parlementaristes disparaîtraient, ainsi que la propagande pacifique en faveur de l’un ou l’autre bloc d’Etats.

Il y a une solidarité a manifester contre la surexploitation colonialiste, contre la discrimination raciale con-cernant l’application des lois sociales.

— Que les instituteurs déterminent les conditions de création d’un comité d’entente avec le secteur privé, comité ayant pour but de supprimer les différences économiques entre les 2 secteurs, différences qui rendent impossible la véritable unité.

— Que sur le plan de l’unité ils sortent l’actuel comité de scolarisation de l’ornière où l’a embourbé la collaboration avec l’administration colonialiste et qu’ils envisagent les moyens virils pour faire appliquer « le plan de scolarisation ».

Et surtout qu’ils s’organisent en minorités syndicalistes lutte de classe, pour l’indépendance face à la démagogie des partis, face au Gouvernement quel qu’il soit, par l’action directe et pour l’indépendance face aux blocs impérialistes dans la lutte contre la guerre, par la solidarité internationale des travailleurs.

Fernand DOUKHAN

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