Textes parus dans Informations Correspondance Ouvrières, n° 36, février 1965, p. 21-23
Pendant tout le mois de décembre des grèves ont éclaté dans les principaux centres algériens ; on en sait bien peu de choses.
– 4 jours de grève totale des 5 000 dockers d’Alger (port autonome, organisme semi-public), réclament 20 % d’augmentation, mais qui ont repris avec une prime journalière de 2.50 F après l’intervention du gouvernement algérien hostile à toute augmentation de salaire.
– augmentations de salaires aussi, après des grèves dans des usines de sociétés françaises : Sati-Michelin, Etablissements de Durafour, St Frères, Peugeot.
– contre des licenciements aux chantiers de construction du pipe-line Hassi-Messaoud-Arzew (société d’Etat).
– contre le retard dans le paiement des salaires sur un chantier public de construction (Hôtel Aurassi) –
– Manifestations de quelques centaines d’ouvriers des Manufactures de Tabac (ex-Bastos) à la villa Joly (résidence de Ben Bella) pour protester contre le retard dans l’établissement d’un statut. Dispersion par la police.
Le syndicat unique – l’UGTA – a condamné les grèves spontanées. Alger Républicain (quotidien du Parti Communiste algérien passé sous contrôle FLN) écrivait le 9 janvier :
« Comment se fait-il que les travailleurs en arrivent à utiliser dans un pays qui édifie le socialisme pour eux et pour leurs enfants, l’arme ultime de la grève dans une période d’activité où elle ne manque pas de nuire aux finances et au développement de la patrie ?… Trop de mouvements revendicatifs sont déclenchés sans que les responsables de l’UGTA soient consultés, ni même avertis « …
Depuis deux ans, la direction de l’UGTA est liée étroitement au FLN : c’est la conception classique du syndicat, instrument de la politique du parti au pouvoir (un dirigeant de l’UGTA est ministre du Travail).
Or, les cadres syndicaux d’entreprises semblent vouloir être autre chose que des instruments et voudraient pour eux une part plus grande dans la gestion des entreprises industrielles privées ; ce qui va à l’encontre de la politique du pouvoir, à l’égard des sociétés capitalistes, principalement françaises. « Syndicalisme mal adapté » titre Le Monde du 13/1/65.
Quant aux travailleurs, s’ils peuvent faire grève « sur ordre » pour servir la politique du pouvoir, ce droit leur est contesté au nom de la « patrie » dès qu’il s’agit d’avoir du travail, un salaire ou même de se faire simplement payer c’est-à-dire de leur intérêt.
LETTRE d’un camarade d’ALGER :
« Je vous demande de vous souvenir que mes précédentes lettres (d’il y a un an…) ont été rédigées de façon à prêcher avant tout l’indulgence et la patience… J’ai demandé de ne pas les brusquer mais de leur laisser le temps qu’il faut pour qu’ils s’y adaptent à leur situation nouvelle. Serais-je impatient à mon tour ? Je crois que les trois années qui vont être bientôt passées comportent bien des significations pour peser cette fois-ci le résultat. C’est dans ce sens que je fais ce papier en relatant des faits et circonstances et vous prie de m’excuser si la clarté fait un peu défaut mais les détails ci-après font pour moi un ensemble indissoluble.
Grèves à Alger : non seulement au Port, mais aussi aux Tabacs (SNTA = Sté Nationale des Tabacs et Allumettes). Comme le mouvement n’a pas été général, le « Pouvoir » a fait aligner ses C.N.S. (C.R.S. en France) et on s’est borné à virer les mécontents. Depuis « tout est rentré dans l’ordre »… Les mécontents ont été naturellement qualifiés de « contre-révolutionnaires »…
Au Port : comme fait indéniable, il y a eu un mouvement d’une semaine de grève au port. Disons le honnêtement qu’en Algérie il y a actuellement beaucoup trop de mécontents par rapport au peu de satisfaits (ces derniers = favoris du régime sinon les mignons du Roi ?). Nous sommes assez loin de Juin 62 pour dire que le mécontentement de la masse n’est pas l’oeuvre des contre-révolutionnaires mais la faute des responsables qui ont une politique stagnante de mendicité. L’observateur averti voit que le mouvement au Port d’Alger n’est pas encore le signal d’un mouvement plus vaste. Nous pouvons le considérer comme un signe d’avertissement. Il faut encore quelques mois pour que le malaise social pousse la masse nonchalante à rompre les chaînes d’un régime (policier), et il faut aussi que certains pays étrangers (USA-Chine) fournissent éventuellement des armes ! Personnellement je considère cela comme plus que probable !
Que s’est-il donc passé au Port d’Alger ?
Depuis septembre 64 on disait ouvertement à Alger que Boumendjel doit sauter. En décembre, ce fut décidé et en janvier c’est Zaïbek qui reçoit le portefeuille démembré d’un ministère de TP, puis la reconstruction passe aux mains de l’ancien secrétaire de Ben Bella tandis que Zaïbek ministre des PTT et des TP se voit « doublé » par un secrétaire d’Etat, ancien administrateur de la SN.REPAL… Boumendjel ayant « kabylisé » son ministère et malgré que le tout puissant ACHOUR soit en tôle pour détournements, il y a encore des fragments de son ancien clan qui y tiennent, il faut donc « dékabyliser ». L’ex-chef de cabinet de Boumendjel, Mouloud AIT KACI étant directeur au port d’Alger – licencié en droit par la France – a bien tissé les ramifications dans son service. Un ingénieur d’origine bretonne, nommé COUDERC, marié, avec une parente à Boumendjel (ah ! les mariages mixtes !) commande la subdivision de l’outillage tandis que KLIOUA, Kabyle, catholique, buveur de whisky et pédéraste authentique, revendiquant la nationalité française, manipule la subdivision de la Statistique et de la main d’oeuvre, cumulant ces fonctions avec le titre de l’Inspecteur de Travail des dockers… puis un autre, Kamal CHEROUATI, ex sous-lieutenant, sorti de CHERCHELL, ancien officier de S.A.S., avec les minables bagages d’un instituteur de formation accélérée, se voit « nommé » à la place des trois ingénieurs subdivisionnaires : bâtiments, travaux maritimes, et bureau d’études ; et pour terminer avec le tableau de l’état-major du port, parlons aussi de son secrétaire général. Il y avait le nommé BEN HALLA, ex commentateur de la TV française à Alger, ex sous-préfet de l’Algérie Française de Tlemcen, il a foutu le camp d’Alger, et ayant opté pour la nationalité française, il est actuellement journaliste à Paris, à la RTF. Sa succession est disputée par un nommé DJOUAHER et son acolyte SALMY. Djouaher, ex instituteur quelque part en France… emporte et la victime ne sera pas Salmi mais un vrai cadre, le nommé RADJEF, ingénieur qui se voit tellement emmerdé à la tête de la subdivision de l’exploitation commerciale du Port qu’il démissionne. Succédé d’abord par un grec de nationalité douteuse, Salmi le relève finalement.
Voici les messieurs qui ont la prétention de « diriger » le port d’Alger, pour le plus grand bien des ouvriers.
Plus bas, nous voyons par exemple ce HENDEL Messaoud, ancien ouvrier menuisier qui est « conducteur de travaux »… un autre, ancien chauffeur d’un directeur également « promotion sociale », etc. prônant les ouvriers et mouchardant…
Les délégués du personnel ? Malgré qu’ils mettent leur cravate du dimanche le directeur les fout à la porte avec leurs revendications… et c’est tout. Syndicat ? Parlons-en. D’abord pas d’esprit de syndicat parmi les ouvriers qui ont peur de perdre leur place, puis ce qui est pis, encore moins d’esprit de syndicat à l’UGTA. Je vous ai déjà dit que l’UGTA est une boite aux lettres de la Villa Joly. Son rôle consiste à « prendre la température des ouvriers »…
Donc, le mouvement au port a eu d’autres sources. Sinon ? Les GNS l’auront écrasé comme aux Tabacs.
La réalité, c’est que les âmes charitables ont bien voulu aider les « revendications » afin de faciliter la « purge » à venir contre les résidus de l’équipe Boumendjeliste. Ils ont demandé un rajustement de salaire par suite de réduction des heures d’activité. Et ils ont obtenu… un tout petit peu… N’ayant pas été bâclés comme aux Tabacs, c’est la preuve que leur « mouvement » a été bel et bien béni d’en haut. La révision des salaires du port (été 64) a déjà enlevé les avantages que les ouvriers ont arraché aux Patrons… avant l’Indépendance (supplément familial, etc.). Ce décret fabriqué par AIT KACI démontre le sens de leur socialisme.
Après ces détails sur la grève, il faut le dire, ça va de mal en pis à Alger. D’ailleurs, il faut s’y attendre. Quand le pays aura connu la misère noire, il se peut que la masse fournira des responsables capables.
Qu’on attende la fin des accords d’Evian… L’Economie décidera, en fonction de ce que De Gaulle réserve comme coup à nos . En attendant on enlève, on torture, les écriteaux « FFS » se laissent voir, par exemple sur la route entre Tizi-Ouzou et Philippeville. On retient les impôts sur les salaires, et on presse les étrangers à payer le maximum avant leur départ, on bombarde les incapables de titres enviables, créant l’atmosphère 33/35 d’Allemagne…
L’aide des pays étrangers et la richesse que les Pieds noirs ont laissée permettra encore de vivre un bout de temps. Mais la masse ne veut déjà plus entendre parler des docteurs Bulgares… Par contre on achète beaucoup de bagnoles et on apprécie surtout ces « gentilles » femelles qui débarquent, refoulées de Pigalle et qui servent à merveille de ce que l’on appelle ici la « paillasse à melon » (50 % de la coopération) – une pagaille, quoi ! »