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Antifascisme, démocratie ou guerre de classes ?

Article paru dans Guerre de classes, n° 8, mars 1974, p. 6


Parmi les illusions entretenues tant par la « gauche » que par les gauchistes, il en est une que la crise et la situation mondiale porte au premier plan : l’antifascisme et son sous-produit le démocratisme. Pour nous le danger essentiel de ces idéologies réside dans la capacité éventuelle des réformistes de mystifier une fois de plus le prolétariat par ces sornettes réactionnaires.

Pour un révolutionnaire, la question centrale est de savoir ce qui permet d’affirmer ou non qu’une lutte est réellement anticapitaliste. Tout affrontement révolutionnaire devant mettre nécessairement aux prises bourgeoisie et prolétariat et relever le caractère violemment antagonique de ces deux classes.

Or c’est sur cette question même que butent les contradictions de nos « avant-gardes éclairées » qui éprouvent le besoin impérieux de se prosterner héroïquement devant les luttes du peuple. Le Chili attend cependant toujours les brigades internationales de la quatre… On en rirait s’il ne s’agissait pas d’un véritable dévoiement contre-révolutionnaire des luttes sociales.

En fait c’est sur une analyse erronée du capital défini comme une forme de propriété et non comme un rapport de production que reposent ces « apparentes erreurs tactiques ». Apparentes parce que, comme nous le verrons, ce sont en fait les éléments stratégiques conséquents d’une conception globale cohérents dans son réformisme.

Les réformistes, du « P.C.F. » à l’ex-ligue communiste, ne considèrent le fascisme que comme un coup de force de la fraction dure de la bourgeoisie, un accroissement de sa mainmise sur l’Etat. De là la solution, proposée d’une gestion démocratique des richesses nationales.

En fait le fascisme est un phénomène politique lié à toute période historique marquée par une situation de crise économique, de moindre résistance de l’Etat bourgeois et donc de danger révolutionnaire. La crise qui illustre la difficulté de la valorisation marque pour le capital les limites de sa production dans le cadre du marché mondial. D’où nécessité d’une concentration accrue et donc de la prolétarisation des classes moyennes. D’où aussi, les attaques contre les conditions de vie des ouvriers, l’impérialisme, etc.

Mais ce coup de force la bourgeoisie ne peut le tenter que si la situation intérieure du pays s’y prête. Et à ce niveau l’avènement du fascisme dépend alors du rapport de force prolétariat-bourgeoisie. Si en Allemagne, Hitler put s’imposer, il le dut en grande partie à la social-démocratie qui avait déjà brisé le mouvement ouvrier. En France par contre la classe ouvrière, non encore matée, présentait un obstacle et donc le fascisme comportait le risque de dynamiter la situation sociale. Aussi la bourgeoisie préféra se replier sur son aile gauche : le front populaire. Nous dirons deux mots sur cette période exemplaire dans là mesure où justement les mythes qu’en a hérité la classe ouvrière sont encore vivaces.

Dans cette période de crise marquée par une tendance au fascisme, la France voit son équilibre légendaire remis en cause. Le capital français, contrairement à l’allemand, peut cependant opérer une concentration dans les limites du territoire national en :

– Prolétarisant les classes moyennes non salariées au capital,

– Valorisant un capital neuf dans les colonies.

Ce qu’il faut dire ici c’est que cette évolution est normale et correspond au développement du mode de production capitaliste. Le problème réside dans le fait que la bourgeoisie ne peut sans risque opérer brutalement (fascisme). Elle doit de plus faire face aux revendications ouvrières et désamorcer les troubles sociaux. Pour ce faire la tactique consistera à brandir la menace fasciste afin d’amener les organisations ouvrières à se faire les gardiennes de la situation donnée.

Pour le prolétariat cependant une seule question est digne d’intérêt : l’abolition du système d’exploitation et son seul ennemi devrait donc être le capital.

Mais « P.C.F. » et « S.F.I.O. » (F.P.) incapables de voir l’aspect essentiel de la crise, n’en retiennent que l’aspect social de ses conséquences : pauvreté accrue, artisans sans commandes, entrepreneurs ruinés, etc. De même incapables de comprendre le jeu politique du capital, ils se lancent tête baissée dans l’antifascisme.

Le « P.C.F. » s’est toujours senti une vocation de rassembleur de la nation contre la petite minorité de parasites (les 200 familles) qui s’approprient honteusement les richesses nationales. On réclame alors le retour à l’équilibre passé, on propose des plans de redressement économique, une gestion démocratique. On se targue d’être le seul défenseur des classes moyennes. Et bien sûr on en vient au nationalisme, à la relance des antagonismes nationaux (substitut efficace à la lutte des classes).

Face à la bourgeoisie qui avait choisi de fixer les couches moyennes dans la défense de leurs positions et de confier au prolétariat la sauvegarde des structures actuelles du capital, on peut dire que le F.P. n’a pas démérité.

Embourbés dans leur problématique réformiste et politiquarde (lutte antifaciste) les gauches ne voient jamais que des problèmes de gestion là où se pose la question des structures.

Face à la crise qui permet l’action révolutionnaire du prolétariat, on hurle à l’économie nationale dirigée (comme si ce n’était pas là une tendance inéluctable du capital en période de développement difficile).

En conclusion nous dirons que le F.P. a pris une série de mesures antifascistes dictées par le capital lui-même. Mais son plus grand mérite est sans doute de s’être montré à la hauteur de la tâche historique que lui a confié la bourgeoisie en faisant du prolétariat une force endormie, un partenaire du capital.

En muselant la classe, la gauche permet au capital de faire l’économie du fascisme.

La bourgeoisie doit se féliciter d’avoir confié au prolétariat la défense de ses institutions et de sa légalité car du même coup elle lui indiquait que la lutte antifasciste ne passait que par ses propres institutions, que par la légalité et l’unité nationale…

Cet épisode du Front Populaire conserve une grande valeur d’exemple. Qu’il nous suffise de penser à l’expérience chilienne et nous retrouvons les mêmes idéologies, les mêmes défaites pour le prolétariat. L’U.P. n’a été qu’une solution de rechange pour le capital. Ici comme ailleurs toute explication doit s’enraciner dans la crise économique qui frappe plus durement les maillons faibles comme le Chili. Dans cette situation les nationalisations et la tendance au capitalisme d’Etat tendent naturellement à s’imposer. Sur la question du redressement économique U.P. et armée ne divergent pas vraiment quant au fond. La différence essentielle est politique : comment contrôler le mécontentement populaire. Et là la solution ne dépend pas d’un choix délibéré du capital qui doit compter avec l’état de résistance des classes lésées. A ce titre la mystification de l’U.P. était nécessaire en cela qu’elle désarmait le prolétariat. Au Chili comme en France les réformistes sont les chantres de l’alliance avec les classes moyennes, de la défense du capital national. C’est l’U.P. qui a réprimé les mineurs, les ouvriers agricoles, les sans-logis des bidonvilles. C’est bien elle qui a désarmé les cordons et appelé au pouvoir les militaires. C’est elle qui n’a cessé d’endormir la classe ouvrière avec ses sornettes sur le loyalisme de l’armée. Allende et Corvollan (P.C.) sont tout autant responsables que Pinochet. La bourgeoisie n’a toléré l’U.P. que le temps que cette dernière lui était nécessaire et lorsqu’elle présenta un danger, il fut aisé de l’abattre. Il apparaît que la gauche au Chili comme en France et partout n’est rien que la gauche du capital. Une fois de plus la classe ouvrière aura été mystifiée, désarmée et précipitée dans la défaite.

Et chaque fois on retrouve la même phraséologie facile et démagogique. Par une terminologie confuse qui procède non de l’analyse matérialiste mais d’une ahurissante couche d’idéologie, on masque la réalité. On mélange pêle-mêle des notions abstraites de démocratie, de liberté, de nation et une vague référence à la classe ouvrière (merci pour elle). Le résultat de cette salade contre-révolutionnaire étant la participation aliénée du prolétariat à la défense du capital. Défense qui peut aller jusqu’à la guerre capitaliste avec sa destruction massive de moyens de production et donc du prolétariat le plus menaçant (14-18, 39-45).

L’antifascisme ramène la lutte anticapitaliste à un combat contre l’une des formes politiques du capital. En posant l’alternative fascisme ou démocratie on ne fait que contraindre la classe à choisir entre deux formes de domination du capital. On fait de la démocratie bourgeoise une légalité au-dessus des classes. L’antifascisme en tant que lutte interne au système ne peut donc que tourner à l’avantage de la bourgeoisie. Ce faux dilemme est le paravent derrière lequel se dessine une attaque généralisée du capital contre le prolétariat. Ce qu’il faut retenir c’est qu’en entraînant la classe dans cette impasse la gauche et les gauchistes préparent la défaite du prolétariat. Fascisme, démocratie et réformisme agissent en forces solidaires au service du capital.

C’est pourquoi il ne peut y avoir de meilleures formes de domination car la bourgeoisie ne cède le pouvoir à la gauche que si celle-ci est sa meilleure défense dans la situation donnée.

Un révolutionnaire ne saurait donc accorder aucune priorité à l’antifascisme par rapport à l’anticapitalisme.

Le danger essentiel de ces idéologies contre-révolutionnaires réside dans leur capacité éventuelle d’encadrer idéologiquement le prolétariat et donc dans la période actuelle de masquer la réapparition d’une perspective révolutionnaire. Ce danger est d’autant plus grand qu’il est colporté par des gens affublés du titre de révolutionnaires.

La crise menace à nouveau de s’attaquer aux prolétaires et la bipolarisation des classes s’accentue. La nécessité pour le capital de museler la classe afin d’imposer ses volontés réapparaît en même temps, resurgit dans le prolétariat la radicalité révolutionnaire. L’autoritarisme croissant de la bourgeoisie n’exclut pas qu’elle soit amenée à choisir la « solution de la gauche au pouvoir ». On a de fortes chances de se retrouver devant le faux dilemme fascisme-démocratie et déjà la gauche et les gauchistes sautent à pieds joints dans le piège démontrant par là leur nature profondément antiprolétarienne.

A propos du Chili chacun y va de son indignation et de sa diatribe antifasciste. On crée des comités de soutien au peuple chilien et déjà la tromperie démocratique bat son plein. Pour faire l’unité de tous les « démocrates » les trotskistes refusent la critique de l’U.P. et de toutes ses illusions (y compris celle du loyalisme de l’armée). Le P.C.F. ne reproche en fait à la junte que son manque de confiance dans la capacité de l’U.P. à maintenir l’ordre capitaliste.

Et pourtant la tâche urgente de l’heure est de tirer les leçons de cette victoire totale du capital, de dénoncer tout « frontisme ». Faut-il s’étonner que cela ne soit pas fait lorsque « ROUGE » appelle à voter pour l’union de la gauche et y décèle un vote de classe ?

C’est avec les cadavres des ouvriers chiliens que les trotskistes tendent de mystifier le prolétariat. Ils apparaissent bien comme ce qu’ils sont : les ennemis jurés de l’autonomie prolétarienne.

Corvallan est sans doute un révolutionnaire alors que Puig Antich militant espagnol condamné à mort ne mérite ou’un soutien du bout des lèvres. Il est vrai que ses méthodes de lutte ne favorisent guère la démagogie. La violence révolutionnaire dans toute sa radicalité et le trotskisme, ça fait deux !

Pour nous, il ne saurait en tout cas être question de participer à ces comités Chili ou quoi que ce soit d’autre dont la création correspond plus à un besoin de faire apparaître des organisations qu’à une solidarité avec le prolétariat chilien. Nous laisserons staliniens et trotskistes utiliser le sang qui coule au Chili pour mettre en place leur salade contre-révolutionnaire.

Ils n’en ont plus pour longtemps…

LA SEULE UNION REVOLUTIONNAIRE SERA L’INTERNATIONALISME PROLETARIEN !

La seule façon d’abattre le fascisme c’est de mener une lutte sans compromission contre le capital et cela, seule la classe ouvrière autonome peut le réaliser.

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