Article d’Hélène Varelin paru dans Le Monde libertaire, n° 280, 21 septembre 1978, p. 2
Mardi 10, 15 000 personnes, selon la presse, se réunissaient pour manifester de la République à la Bastille à Paris (côté parcours non plus, le changement n’est pas pour demain).
En tête, les éternels récupérateurs, ceux que les massacres (de droite) désignent tout naturellement comme les représentants officiels de l’indignation, la gauche parlementaire P.C.-P.S. dont on attend encore une réaction quant aux tueries mille fois plus importantes et plus sauvages qui ensanglantaient le Cambodge il y a quelques temps.
Car il ne suffit pas en effet d’être indigné par l’horreur d’une répression, il faut être avant tout indigné-P.C. ou indigné-P.S. pour crier son dégoût et sa révolte, faute de quoi, sévèrement tenu à distance par ce qui rêve d’être un jour une police politique, les derniers rangs vous sont attribués.
Quoi qu’il en soit, la Fédération Anarchiste était présente, et bien présente même, derrière l’O.C.T., scission d’on ne sait plus trop quoi, et devant l’O.C.I., qui confondra toujours manifestation et parade militaire. Une poignée d’autonomo-loubards est là, jouant les zorros en arborant des foulards noirs sur leurs visages, que la répression en Iran touche à peu près autant que leur premier biberon mais que la perspective d’un « baston » fait frétiller tout au long du parcours.
Triste manifestation en vérité, quand on songe surtout à ces étudiants iraniens exprimant leur « révolte » à travers des jérémiades liturgiques destinées à un dieu absent auquel s’adressaient aussi, quelques jours auparavant, ces milliers de manifestants de Téhéran qui devaient trouver la mort quelques instants plus tard.
Sans vouloir nier l’ignominie du régime du Shah comme l’ampleur de la répression que vient de connaitre (et notre présence à cette manifestation le prouve), et loin du discours imbécile que la presse gauchiste a cru bon de prononcer sur « la lutte des classes » qu’elle a cru déceler à travers les évènements de Téhéran, on songe avec amertume à certaines résistances aux dictatures, comme le Nicaragua aujourd’hui, où la dignité des hommes et des femmes ne s’effaçaient pas derrière des pleurnichements mystiques.
Aux singeries religieuses de la place de Jaleh à Téhéran sont venues s’ajouter les clowneries islamiques de la place de la Bastille. Le dieu des manifestants contre les détachements d’assassins du Shah, on peut encore observer aujourd’hui le résultat obtenu.
Face à la tyrannie, c’est un curieux moyen que de se soulever en s’agenouillant.
Hélène VARELIN