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Karim : Dette, dictature… contre développement, démocratie, l’Algérie en 4 dimensions

Article de Karim paru dans Courant alternatif, n° 24, décembre 1992, p. 27-28


La mise en place du Haut comité d’État (HCE) ne vise pas à garantir la sauvegarde des libertés démocratiques, mais bien plutôt le paiement de la dette et l’application des plans du Fonds monétaire international (FMI). Le HCE n’est pas le garant de la démocratie et de la modernité qu’il prétend être. Au contraire, l’État qu’il préserve est un État totalitaire, l’exemple de l’école algérienne le démontre.


Le mois d’octobre 1992 est un mois de trahison pour les peuples qui ont été colonisés. La mémoire collective inter­nationale dans l’hypocrisie générale n’a-t-elle pas, en effet, transformé le génocide des peuples indiens en une immonde fête ?

De même, en France, la manifestation commémorant le mas­sacre de plus de 200 Algériens le 17 octobre 1961 à Paris (par les sbires de Papon alors préfet de police de Paris) a été interdite. Pour cette mémoire sélective, il fallait préserver l’image de marque de notre chère cinquième République.

Mais en ce mois d’octobre 1992, la trahison pour les Algé­riens, c’est celle commise envers octobre 1988 et le 5 décembre 1988.

Ce jour-là, le ministre des affaires étrangères algérien fait un discours devant les Nations-unies :

« L’ordre de paix authentique ne sera pas simplement celui qui assurera à l’humanité qu’elle ne sera pas détruite, mais bien celui qui définitivement lui assurera les moyens de sa survie sûre et décente, en effet le sous-dévelop­pement a ses coûts économiques, mais surtout ses coûts politiques et sociaux, et nous les payons. Mais jusqu’à quels prix et jusqu’à quelles limites ? »

Au même moment, et le ministre ne le sait pas, la jeunesse lui donne une réponse cinglante. Les manifestations, fruits de l’aspiration démocratique de la jeunesse, vont subir la terrible répression d’un appareil d’État particulièrement violent. Mais sous les corps de centaines de morts, un vent de changement peut prendre appui. Le pouvoir tente par une nouvelle constitu­tion (23.02.89) de gagner du temps et d’enfermer l’opposition dans un débat sur les réformes politiques à travers des libertés surveillées. Des nouvelles lois sont adoptées, autorisant les asso­ciations à caractère politique. Mais les réformes juridiques ne font que suivre les mouvements sociaux et, entre 1984 et 1988, le nombre d’associations religieuses augmente de 240 %.

Premier temps fort, les élections communales remportées par le FIS. Le mouvement politique (plus de 40 partis politiques créés en 3 ans) réclame maintenant le pouvoir central ; dans un premier moment l’Assemblée nationale puis ce sera la Présidence. Le pouvoir lâche des élections pour juin 1991. Mais l’état d’urgence est proclamé face à la grève organisée par le FIS dont le programme réactionnaire inquiète à juste titre de nombreux Algériens. Le 26 décembre 1991 sont organisées à nouveau les élections législatives. Le FIS remporte ce premier tour avec presque la moitié des sièges au parlement, mais seulement avec un quart des voix (3 260 222 sur 12 millions d’électeurs).

Le 11 janvier 1992, le président annonce la démission et la dissolution de l’assemblée nationale dont le président aurait dû assurer l’intérim présidentiel. Or, celui-ci était proche du FIS, d’où ce court-circuitage constitutionnel. Mais, la constitution ne prévoyant rien dans un tel cas, le haut conseil de sécurité est réuni. Celui-ci déclare la poursuite du processus électoral impos­sible, proclame un haut conseil d’État avec Boudiaf comme pré­sident.

Boudiaf, le titulaire de la carte n° 1 du FLN puis créateur du Parti de la révolution socialiste (PRS), opposant au FLN qu’il qua­lifiait de fasciste dès 1962, emprisonné à cette époque, exilé en France puis au Maroc où il adopte les positions de « notre ami le roi » sur le Sahara occidental, devient l’homme providentiel. En effet, il apparaît comme propre, il n’a pas touché au pouvoir depuis 1963 ! Mais ses limites sont nettes, son programme ni figue ni raisin. Il soutient le HCE dont le « boucher », pardon, le général Nezzar, est membre (auteur du massacre d’octobre 1988). Toutefois, il gêne une partie de l’appareil d’État qui le fait assassi­ner le 29 juin 1992. Cette fois-ci, les militaires, les colonels algé­riens ont le champ libre. Ali Kafi devient président du HCE. L’Algérie échappe au totalitarisme du FIS pour tomber dans celui des colonels.

« Notre Algérie va échouer entre les mains des colonels, autant dire des analphabètes. J’ai observé chez le plus grand nombre une tendance aux méthodes fascistes. Ils rêvent tous d’être des sultans au pouvoir absolu. Derrière leurs querelles, j’aperçois un grand danger pour l’Algérie indépendante, ils n’ont aucune notion de la démocratie, de la liberté, de l’égalité entre citoyens. Ils conserveront du commandement qu’ils exercent le goût du pouvoir et de l’auto­ritarisme. Que deviendra l’Algérie entre leurs mains ? »

C’est à cette question que pose le colonel Lotfi que nous allons répondre.

Rentrée des classes, normalisation politique, économie de guerre

La rentrée de la classe militaro-politico-religieuse a été don­née par trois discours :

– Celui du ministre des affaires religieuses pour l’anniversaire du prophète Mohamed.
– Celui du premier ministre pour annoncer l’économie de guerre (mais contre qui ?)
– Celui d’Ali Kafi dans un discours à la nation.

Quelle est la légitimité du HCE ? Elle ne peut venir de l’ordre juridique constitutionnel algérien qui ne connaît pas de HCE, ni du peuple. Donc, légalement, celui-ci n’a aucune légitimité. Ali Kafi usurpe le titre de président, Belaïd Abdel « Salam » celui de premier ministre. A écouter le HCE, cette légitimité provient de la situation exceptionnelle du pays, de la nécessité de la continuité de l’État face à la violence et au terrorisme. Ainsi, tant que la vio­lence existe, le HCE serait légitime. N’a-t-il pas intérêt à ce que celle-ci continue très longtemps ? (La mort de Boudiaf devient plus claire).

C’est l’une des raisons qui font que le HCE est engagé dans un processus de normalisation politique sous deux aspects : création d’un conseil consultatif national et discussion avec les partis tolérés (ceux qui sont parasitaires de la vie politique).

Une des autres raisons est le retour à la stabilité réclamée par le FMI, la Banque mondiale et la CEE, car un des éléments de l’équation algérienne est le rôle de ces instances internationales. C’est pour leur compte que le pouvoir confisque les libertés publiques : liberté de presse, libertés politiques, mise en place de lois scélérates, suppression des élections. Pourquoi ? C’est qu’il faut détruire tout obstacle au paiement de la dette, à la vente des hydrocarbures algériens.

Or les deux partis en tête le 26 décembre 1991 (le FIS et son totalitarisme religieux et le FFS d’Aït Ahmed, membre de l’Inter­nationale socialiste dont Mauroy est le président) avaient déclaré qu’ils supprimeraient la loi cédant le propriété algérienne. En effet, cette loi et le paiement de la dette contreviennent à la sou­veraineté algérienne, au droit du peuple à disposer de lui-même et de ses ressources, mais aussi aux Droits de l’Homme !

Cette dette pèse sur la vie quotidienne des différentes classes sociales :

– Chômage et misère seront aggravés par cette économie de guerre imposée par le FMI.
– 40 % des entreprises sont en chômage technique en Oranie, 25 % tournent à 10 % de leur capacité car les importations sont réduites.
– L’Algérie perçoit 12 milliards de dollars annuellement, 9 milliards partant au service de la dette, soit depuis 1988 : 4 x 9 = 36 milliards. Or, la dette algérienne est de 25 milliards : elle a donc été déjà largement payée plus que de raison : c’est un pillage. Il ne reste que 3 milliards pour faire vivre 25 millions d’Algériens et faire tourner l’économie, les services publics. C’est pourquoi tout est cher. Avec le salaire moyen mensuel qu’il a, un travailleur ne peut acheter que 12 kilos de viande pour sa famille de 5 personnes. En cette période de rentrée des classes, les fournitures sont à prix d’or. Aller à l’école devient un luxe.

Une école totalitaire

Dans cette école, les enseignants n’ont aucune liberté péda­gogique. Ils sont prisonniers de fiches pédagogiques qu’ils sont tenus de recracher, d’où un appauvrissement cruel du contenu de l’enseignement.

Le lieu de ce conflit traditionnel, la mosquée, a été remplacée par l’école :

– conflit linguistique (arabe-français-amazigh)
– conflit idéologique (modernité/archaïsme, démocratie/nationalisme totalitaire).

En Algérie, 60 % de la population a moins de 25 ans. L’éduca­tion est donc un secteur clé. Or, 53 % des enfants sont exclus du système en troisième. 70 à 80 % du restant seront exclus avant la terminale. Usine à exclusion, l’école crée des armées de tra­vailleurs informels qui rejoindront l’économie parallèle du « tra­bendisme » (contrebande) dans le meilleur des cas, le FIS dans le pire.

Ce n’est pas simplement le caractère sélectif de cette école qu’il faut combattre, mais les valeurs qu’elle propage. Soumettre l’enfant futur citoyen-sujet à un gavage idéologique pour obtenir son adhésion à des valeurs qui légitiment et légitimeront l’État et que celui-ci représentera aux yeux de ce citoyen. L’instrumentali­sation de l’école algérienne n’a donc pas pour objet d’arracher à l’ignorance et à l’obscurantisme des enfants en poursuivant le développement de la pensée rationnelle, de l’esprit critique, de la tolérance au détriment du fatalisme. On peut en effet poser cette question comme le fait un sociologue algérien :

« La tenue afghane (c’est-à-dire intégriste) portée parfois ostentatoirement dans nos rues a-t-elle à voir avec ce qui est enseigné, c’est-à-dire avec un endoctrinement par l’école ? »

La réponse est oui ; l’école joue un rôle déterminé par rapport et dans un État totalitaire. Celui-ci est fondé sur un mythe : l’islamité, l’arabité de l’Algérie comme élément identitaire national. L’État ne reconnaît pas la liberté religieuse : les non-musulmans n’existent pas dans le droit algérien, la laïcité non plus. On enseigne donc le Coran dans les écoles, interdisant dans les faits la liberté de conscience et la liberté religieuse. En promouvant depuis 1962 le caractère isla­mique de l’Algérie, le FLN a fait le lit du FIS. Les deux fronts ont des programmes totalitaires comportant des analogies :

– Tous les deux sont des fronts.
– Tous les deux proposent une délivrance : Libération et Salut sont synonymes.
– De plus, d’après la constitution, National et Islamique for­ment le caractère identitaire des deux organisations.

Comme le dit le journal satirique El Manchar n°44 (La Scie), « le père du FIS est le FL Haine ».

Les valeurs défendues par l’État algérien sont donc des valeurs nationalistes dans un sens totalitaire. Est-ce cela que le HCE défend ? Si oui, il n’est pas le défenseur de la modernité qu’il prétend être, car il participe à cette confiscation de l’histoire de l’Algérie depuis 1830 et aussi depuis 1962.

Le contenu de son existence est donc à rechercher ailleurs que dans la défense de la modernité que représenterait l’État.

Réfléchir sur ces problèmes de la confiscation de l’histoire, sur le problème de la dette, c’est rechercher les éléments de la solution de cette crise. Ces éléments sont le non-paiement de la dette, la réappropriation de l’histoire du peuple algérien.

« L’histoire de l’Algérie n’a pas commencé ni le premier novembre 1954, ni depuis la conquête coloniale, ni à l’arrivée des arabes, pas plus qu’elle n’a commencé depuis la conquête romaine. Elle s’étend surplus de 25 siècles, depuis que notre peuple a émergé de la préhistoire et qu’il s’est dénommé les Ama­zighs, c’est-à-dire les hommes libres ».

Dixit ? Un colonel, bien sûr…

Karim – Reims

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