Éditorial paru dans Les Cahiers du communisme, n° 2, février 1962, 38e année, p. 5-9
AU moment où nous écrivons ces lignes, le peuple de Paris, au cours d’obsèques solennelles et grandioses, accompagne à leur dernière demeure les huit martyrs antifascistes tombés sous les coups de la police gaulliste le 8 février dernier.
L’assassinat de ces travailleurs, dont sept d’entre eux étaient communistes, a soulevé dans tout le pays et à l’étranger une émotion profonde et une réprobation unanime.
C’est pour protester et s’élever contre le danger grandissant du fascisme, contre la poursuite des plasticages criminels des hommes de l’O.A.S., pratiquement jamais inquiétés ou restant impunis, que la classe ouvrière et le peuple se sont dressés en de puissantes manifestations antifascistes. Mais c’est contre elles que le pouvoir gaulliste a dépêché ses forces policières et répandu le sang.
La diversion anticommuniste du gouvernement pour tenter de justifier sa sauvagerie policière, éclaire un peu plus sa nature profondément réactionnaire, éclaire sa collusion de fait avec l’O.A.S. Elle montre d’une façon tragique que le pouvoir gaulliste, pouvoir des monopoles s’attaque en fin de compte à tous ceux : communistes, socialistes, catholiques, démocrates et républicains qui entendent faire barrage à l’O.A.S. et n’acceptent pas de vivre sous le joug d’une dictature personnelle synonyme d’oppression, de misère et de guerre.
Contre la montée du péril fasciste, l’idée que le peuple doit compter désormais sur ses propres forces unies pour lui barrer la route a fait d’importants progrès.
L’union réalisée, notamment au soir du 8 février, le démontre. Cette union s’est d’ailleurs puissamment renforcée lors de l’appel à la grève générale le jour des obsèques des victimes lancé par toutes les organisations syndicales parisiennes, auxquelles se sont associés notre Parti, le P.S.U., le Mouvement de la jeunesse communiste, le Mouvement de la paix.
Même les décisions de grève et de manifestation de la C.F.T.C., F.O. et de la F.E.N., du Parti socialiste S.F.I.O., lancées pour le lundi 12 février, bien qu’elles contiennent une part d’arrière-pensée et de manœuvre sont avant tout l’expression du puissant mouvement de masse contre le fascisme qui se développe actuellement.
Une telle prise de conscience du danger O.A.S. et un tel développement de l’action unie pour lui faire échec, sont avant tout le résultat de la juste politique et de l’action courageuse menée par notre Parti.
Dénonçant, d’une part, sans relâche la nature du pouvoir personnel ouvrant la voie au fascisme, travaillant, d’autre part, sans relâche à l’union de toutes les forces ouvrières et démocratiques, notre Parti s’est révélé, une fois encore, la force principale dans la lutte antifasciste, le Parti qui montre, non seulement, au peuple la voie de l’intérêt national, mais organise son combat pour reconquérir les libertés et la démocratie.
Le grand problème du moment réside donc dans l’organisation rapide et puissante de toutes les forces ouvrières et démocratiques afin de dresser un barrage infranchissable aux fascistes de l’O.A.S. et de les écraser.
Mais la lutte antifasciste ne saurait se mener efficacement et aboutir victorieusement sans avoir la claire conscience que le danger O.A.S. ne se limite pas uniquement à l’éventualité d’un coup de force.
En effet, l’attitude complice du pouvoir à l’égard de l’O.A.S., la persistance des dirigeants socialistes de droite à refuser l’unité ouvrière, à prôner l’anticommunisme, à afficher certaines thèses rejoignant celles de l’O.A.S., montrent parfaitement que certains milieux n’ont pas abandonné l’idée d’un compromis avec les factieux. S’il est vrai que l’O.A.S. ne repose sur aucune force populaire, qu’elle n’a aucune audience dans le peuple de notre pays, par contre, elle tire sa force et son arrogance de la mansuétude du pouvoir gangréné par ses hommes, elle tire aussi sa force de la politique de division et de capitulation des dirigeants socialistes de droite et de certains hommes politiques se réclamant de la démocratie.
La vigilance et la nécessité de tout mettre en œuvre pour répondre à un éventuel coup de force fasciste ne sauraient donc nous faire oublier que les méthodes du néo-fascisme revêtent d’autres formes, celles par exemple de l’utilisation du compromis politique, et cela notamment sous prétexte d’éviter la guerre civile.
C’est pourquoi, il est nécessaire d’analyser et de dénoncer systématiquement l’attitude complice du pouvoir gaulliste en même temps que la politique de division des dirigeants socialistes de droite.
Il est bien évident que si des contradictions réelles, mais secondaires opposent le pouvoir aux hommes de Salan, il n’en reste pas moins que ce pouvoir du capital monopoliste et de la haute banque conserve comme adversaire principal : les masses populaires qu’il tente de courber toujours plus sous son joug.
Cette contradiction fondamentale entre la classe exploiteuse ou pouvoir et les masses laborieuses, que notre Parti a toujours éclairée ne saurait en aucun moment s’estomper. C’est elle, au contraire, qui explique que pour continuer à mener une politique antipopulaire et antinationale le pouvoir gaulliste se trouve tout naturellement entraîné à pactiser avec les factieux, à les utiliser, et, par conséquent, à composer avec eux.
Dans le conflit algérien, la recherche d’une solution la moins défavorable possible à l’impérialisme français se trouve ainsi aidée par la pression politique que représente l’agitation factieuse.
De plus, le pouvoir ne peut se priver de l’instrument de répression et d’oppression que représentent pour lui les forces du fascisme dans la lutte contre l’action grandissante des forces démocratiques et nationales.
Toutes ces constatations d’aujourd’hui confirment combien notre Parti avait apprécié justement — et dès son avènement — la nature du pouvoir gaulliste qui porte en lui la menace du fascisme déclaré.
Les tentatives de compromis de certains milieux de gauche avec la bourgeoisie s’illustrent par des prises de position identiques, notamment à propos de l’Algérie.
Guy Mollet s’acharne toujours à réclamer sur le problème algérien des « garanties pour la minorité européenne » qui s’apparentent plus à des garanties de caractère colonial qu’à des garanties légitimes. En fait cette position rejoint les exigences colonialistes de de Gaulle et remet sans cesse en cause l’idée de l’application sans restriction du droit des Algériens à l’autodétermination et à l’indépendance.
Il en va de même des positions énoncées par Maurice Faure, président du Parti radical, sur cette question. Elles rejoignent aussi les déclarations politiques d’hommes comme Jules Romain, André Morice, Lacoste et Lejeune qui, sous couvert d’un prétendu « comité de la gauche », parlent à propos des négociations franco-algériennes du « dédain manifesté au peuple français d’Algérie ».
Mais aujourd’hui, étant donné les reculs des forces colonialistes et le développement continu de l’action populaire, rien ne doit s’opposer à la conclusion d’un accord aboutissant à la paix en Algérie.
L’accord politique entre certaines formations de gauche et la grande bourgeoisie au pouvoir ne se limite pas seulement à ce problème. Que ce soit sur la constitution antidémocratique imposée par de Gaulle, le Pacte Atlantique ou le Marché commun, de nombreux autres points d’accord unissent ces formations au pouvoir.
Ainsi, comme le déclarait Paul Laurent dans son rapport devant le Comité central de Choisy-le-Roi :
« Certains chefs politiques de la bourgeoisie, y compris les socialistes de droite, inquiets des difficultés plus grandes des monopoles capitalistes à continuer leur politique antipopulaire et antinationale, se préoccupent d’en redorer le blason, encore une fois sous le couvert d’une « pseudo troisième force ». Sans porter atteinte le moins du monde au système du pouvoir personnel, ils proposent, dans un soi-disant but d’apaisement, de capituler devant certaines exigences de l’O.A.S. »
Ainsi au cours de la grande bataille engagée par notre peuple contre le péril fasciste, il est absolument indispensable de battre en brèche la politique de capitulation et de compromission des dirigeants socialistes de droite.
Le danger O.A.S. actuel, inséparable de la désastreuse politique pratiquée par le pouvoir depuis trois années, n’est-il pas issu de la politique de division, de la politique de collaboration de classe pratiquée précisément par les dirigeants socialistes qui, sous couvert d’anticommunisme et par crainte du peuple, aidèrent de Gaulle à se hisser au pouvoir ?
L’anticommunisme — et cela apparaît de plus en plus aux yeux des masses actuellement dressées et unies dans le combat antifasciste — recouvre toujours la poursuite de la politique d’en tente avec la grande bourgeoisie.
La répression sanglante organisée le 8 février dernier par le pouvoir gaulliste à l’égard des forces populaires dressées contre le péril O.A S. a découvert le vrai visage de la politique tyrannique, de la politique de classe de ce régime. Elle a souligné en même temps la gravité du danger fasciste, la nécessité et les possibilités de l’unité des forces ouvrières et nationales pour y mettre un terme.
Elle a montré dans sa tragédie tout le bien fondé de la politique nationale de notre Parti qui, avec confiance et persévérance, n’a cessé d’alerter et de travailler au rassemblement de toutes les énergies ouvrières et démocratiques afin d’en finir avec la guerre d’Algérie et son corollaire, le fascisme.
La bataille n’est pas terminée, c’est pourquoi les communistes redoubleront d’efforts pour continuer à créer et à renforcer des milliers et des milliers de comités antifascistes dans les entreprises et les quartiers. Ils poursuivront aux côtés de tous les combattants de la paix la lutte pour imposer la solution négociée du problème algérien. Ils continueront à propager avec audace et fierté la politique claire et unitaire de notre Parti qui se révèle à travers les événements comme la seule juste et valable.
Ils renforceront dans cette période d’intense activité, l’organisation et les rangs de notre glorieux Parti, le Parti des martyrs de la liberté.
13 février 1962