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Georges Fontenis : « Quand l’Algérie s’insurgeait » 1954-1962

Article de Georges Fontenis paru dans Tout le pouvoir aux travailleurs, n° 29, 15 février-15 mars 1980, p. 11

Il y a 25 ans éclatait l’insurrection algérienne. Son souvenir a été estompé à travers une période de latence et d’occultation. Après un phénomène de rejet, de nausée, le drame algérien connaît aujourd’hui un regain d’actualité. Il a cessé d’appartenir au vécu pour entrer dans l’histoire.

Daniel Guérin vient de faire paraître son témoignage (1) sur cette lutte politique et militaire. Comme chacune des publications de ce militant, cet ouvrage est un événement pour le courant communiste-libertaire. Nous avons donc demandé à notre camarade Georges Fontenis, qui a bien connu cette période comme responsable de la Fédération Communiste-Libertaire, de parler de ce livre et de préciser le rôle de la F.C.L.


Cet ouvrage est présenté par Daniel Guérin, dans un « bref avant-propos », comme une volonté de rétablir dans leur vérité « un certain nombre de faits qui ont été déformés par les passions partisanes ».

Il faut dire d’abord que, dans l’ensemble, cet effort de recherche objective et de mise au point historique est atteint.

Pourtant le sujet était particulièrement scabreux et il n’était pas facile de tenir la barre en s’aventurant dans les obscures réalités qui jouèrent au sein du PPA-MTLD ou dans les luttes féroces qui opposèrent MNA et FLN. Et ce n’était pas un jeu que de situer Audin, Alleg et Jeanson.

Daniel Guérin a d’ailleurs, en 73, publié un ouvrage plus important, « Ci-gît le colonialisme », qui abordait, parmi les autres luttes anticolonialistes, la guerre d’Algérie.

Cela dit, il n’est pas sans intérêt de préciser pour nos camarades et lecteurs quelques points que le livre de Guérin néglige ou survole.

Sans doute, dès le problème central posé, l’auteur met nettement en lumière le rôle qu’assuma, dès le début de l’insurrection, la Fédération Communiste-Libertaire fondée quelques mois plus tôt. Mais on pourrait croire, à lire Guérin, que la riposte de la FCL aux carences de la gauche, à l’anti-insurrectionnisme du PCF et aux attitudes gouvernementales colonialistes de Mendès-France et de Mitterrand, date de l’accord avec le PCI (*) pour le meeting du 21 décembre 1954. Il faut préciser que « Le Libertaire », organe de la FCL, est saisi dès le n° 404 du 11 novembre, que les locaux de l’organisation sont perquisitionnés et les militants arrêtés. Une affiche (la seule à l’époque) intitulée « Vive l’Algérie libre », collée sur les murs de Paris dès le mercredi 10, a déclenché la répression commandée par le premier flic de France du moment, un certain François Mitterrand. La solidarité de D. Guérin et de notre camarade le poète Armand Robin s’exprime dans le numéro suivant du « Libertaire » qui clame : « Nous ne nous tairons pas ».

Le terrorisme d’Etat pendant la guerre d’Algérie

Rappelons à ce propos que la lutte acharnée que va conduire la FCL entrainera une telle répression (le journal sera saisi ou condamné un nombre impressionnant de fois) que la publication devenant impossible, les militants seront conduits à passer à la clandestinité en septembre 1956. C’est avec un certain nombre d’entre eux que se constituera « la volonté du peuple » que D. Guérin cite page 74, organisation clandestine qui regroupera également nombre de soldats refusant de partir en Algérie. Mais l’indifférence de l’ensemble de la population en ces premières années de la guerre, et la répression conduite par les diverses polices et par les tribunaux militaires auront raison de cette tentative. En juillet 57, l’emprisonnement des principaux militants en marquera la fin.

L’un de ces camarades, Pierre Morain, est d’ailleurs présenté par D. Guérin comme « un jeune militant ouvrier de tendances anarchistes »… alors qu’il est membre de la FCL à la création de laquelle il a pris une part importante.

Ce qui précède, et qui devait être dit, ne limite pas bien entendu la portée du livre. Nous ne pouvons pas analyser tous les chapitres, certes, mais il en est un qui nous paraît particulièrement utile à méditer. Il établit, sous le titre « divergences entre anti-colonialistes », que pour les militants anti-impérialistes de l’époque, dans leur énorme majorité, la distinction entre le MNA et le FLN fut longtemps confuse. Les exécutions sommaires, les massacres mêmes, ne firent qu’obscurcir le problème. Seuls quelques états-majors choisirent d’emblée et avec, d’un côté comme de l’autre, le plus parfait mépris pour une démarche moins partisane.

On peut aujourd’hui révéler qu’une équipe spéciale de la FCL contribua modestement sans doute, à équiper les maquis de l’ALN sans que le préalable « MNA ou FLN » soit posé. Finalement, la position de « soutien critique » à la lutte du peuple algérien prise par la FCL aboutit progressivement à un glissement des relations avec le MNA (au début très majoritaire dans les masses) vers des relations avec le FLN qui pratiquement se retrouver seul à animer l’ALN. Et cela sans que jamais nous ne soyons tombés dans la simplification, l’injure, l’invective contre telle ou telle fraction. Sans que nous n’ayons eu à souffrir des reproches des uns ou des autres.

Sans doute ne peut-on tirer de l’attitude de la FCL une totale justification et il y aurait toute une auto-critique à établir. Elle se fera. Cela dit, les illusions et parfois les naïvetés (Daniel Guérin reconnaît lui aussi en avoir parsemé son itinéraire) furent sans arrière-pensées, sans calculs et c’est peut-être plus rare qu’on ne l’imagine.

Pour en terminer avec l’ouvrage de D. Guérin, nous lui attribuerons l’énorme mérite de rappeler avec beaucoup de précisions des faits oubliés (et qui furent marquants) et les rôles que jouèrent, rarement à leur honneur, la plupart des politiciens.

Citons, pour les faits, notamment, le rôle du PS, celui du PCF, l’affaire du « bazooka », la tuerie de Charonne, les activités du réseau Jeanson, celles de l’OAS.

Citons, pour les individus que Guérin cloue au pilori avec la vigueur qu’on lui connait, les Mollet, les Lacoste, les Frey, les Michel Debré et combien d’autres personnages aujourd’hui en « surface ». Encore un mot, on lira sans surprise que c’est bien le lieutenant tortionnaire Erulin qui, devenu colonel, commandera les troupes françaises envoyées au Shaba en mai 78 et sera décoré par Giscard lui-même.

Le camp colonialiste ne manque pas de suite dans ses activités… raison de plus pour faire connaître le livre de Daniel Guérin.

Georges Fontenis


(1) Edité par la Pensée Sauvage et Spartacus.

* Organisation trotskyste.

MNA : Mouvement National Algérien.

FLN : Front de Libération Nationale.

ALN : Armée Libération Nationale.

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