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M. Derval : La nouvelle étape

Article de M. Derval paru dans La Vérité des travailleurs, n° 125, avril 1962, p. 1-2

QUE le cessez-le-feu marque le point de départ d’une nouvelle étape en Algérie comme en France, nul n’en doute. Mais quels seront ses caractères ? Ni la fin de la révolution algérienne escomptée en même temps par le pouvoir et par la gauche respectueuse ; ni le recul du gaullisme et un retour aux libertés fondamentales et à la paix sociale espéré par les braves gens.

Les conditions dans lesquelles la guerre s’est déroulée et s’est terminée fournissent également le cadre de la nouvelle étape. Le fait que ce conflit se termine par la victoire (inachevée) du peuple algérien, sans aide de masse du prolétariat français, détermine à la fois, en Algérie, la précarité des accords d’Evian destinés à craquer sous la pression du bouleversement social consécutif à l’indépendance, et de durs affrontements dans l’« Hexagone » maintenant privé de ses colonies essentielles et où la bourgeoisie s’apprête à faire payer le prix de ses défaites aux travailleurs.

L’O.A.S., qui n’a actuellement de base sociale qu’en Algérie, et qui s’y est armée jusqu’aux dents grâce à la longue complicité de l’Armée, s’était préparée à semer le chaos, la guerre raciale, afin d’entrainer la cassure du corps des officiers et de provoquer l’instauration d’un Israël algéro-oranais. Tout semble maintenant montrer que les fascistes ont trop cru en leurs propres mythes, et qu’en particulier ils ont sous-estimé la capacité d’encadrement et l’autorité du F.L.N. sur les masses algériennes. Les plus atroces provocations — auxquelles les autorités gaullistes n’ont répondu qu’avec mollesse et que les cours martiales n’ont sanctionnées d’aucune condamnation à mort — n’ont pas réussi à déclencher un déchaînement des masses populaires contre les pieds-noirs où les hommes de Salan et de Susini mettaient leur dernier espoir d’un vaste mouvement de désobéissance militaire. Au contraire, ce gangstérisme a légalisé l’administration F.L.N. et imposé une collaboration des deux pouvoirs dans les villes.

Cette maîtrise admirable du peuple algérien — qui forme un tel contraste avec la sauvagerie incontrôlée des pieds-noirs — a finalement obligé les autorités gaullistes à entreprendre une certaine répression contre l’O.A.S. Elles y sont contraintes parce que c’est seulement en payant ce prix qu’elles peuvent espérer préserver en Algérie quelque chose ds positions économiques et militaires de l’impérialisme. Dans le même sens a joué aussi la colère du contingent attaqué directement par les fascistes et que ses officiers ont eu du mal à retenir (« Si nous les laissions faire, ce serait terrible » dit un officier interviewé par un journaliste du « Monde » 2-4-62). Il n’en reste pas moins que cette répression tranche par son indolence sur la sauvagerie de la répression contre les Algériens jusqu’au jour du cessez-le-feu.

Dans le bled, l’échec de l’O.A.S. est encore plus patent que dans les villes. Les spécialistes de la « guerre révolutionnaire », du type Gordes, avaient simplement oublié que, pour mener celle-ci, il faut avoir les masses avec soi. Ils l’ont appris à leurs dépens dans l’opération de l’Ouarsenis, abandonnés par le bachaga Boualem qui ne songe qu’à sauver sa peau, et traqués par les paysans armés de fourches.

Certes, l’O.A.S. ne quittera pas la scène algérienne sans violents soubresauts, mais d’ores et déjà ses espoirs se sont effondrés, et un glacial découragement succède chez les pieds-noirs à la fièvre des putschs. Ils peuvent déjà comprendre que si ce n’est pas l’armée française ou la force locale qui liquident maintenant l’O.A.S., l’A.L.N. en finira demain plus brutalement avec elle et qu’il ne fera pas bon servir de couverture aux nervis fascistes pour qui veut encore un avenir en Algérie.

Mais, par un paradoxe apparent, l’O.A.S. qui s’effondre en Algérie où elle avait une base, n’a d’avenir qu’en France où elle n’est présentement a peu près rien. En effet, demain, les « bâtisseurs d’empires » battus, aigris, pleins d’arrogance et de nostalgie pour leurs privilèges perdus, vont définitivement refluer sur la « métropole » méprisée et haïe. Officiers grassement payés à ne rien faire, colons indemnisés (grâce aux impôts prélevés sur les salaires ouvriers) de ce qu’ils n’auront pas pu emporter de leur butin algérien, tout ce beau monde va venir donner corps ou fascisme national. Les conditions de sa prise du pouvoir ne sont certes pas réunies (et surtout les conditions économiques), mais dans l’ombre indulgente du gaullisme, il aura tout loisir de prendre des forces en s’entretenant dans le terrorisme anti-ouvrier combiné à l’activité légale pour laquelle les couvertures ne lui manquent pas.

De bonnes âmes attendent de de Gaulle une politique plus gauche (associée au renvoi de Debré) sous le prétexte que le référendum-plébiscite a bénéficié de l’appui des partis « démocratiques » de feue la IVe République, qui ont volé ou secours de la victoire. Un élargissement de la base politique du pouvoir n’est pas impossible, avec ou sans élections, mais ce serait n’avoir rien compris au « système » que de croire qu’une telle opération empêcherait le dictateur de frapper des coups à gauche (ils seraient au contraire couverts alors par les M.R.P., les molletistes et consorts) et de conserver sa mansuétude à la droite fasciste.

Il se peut aussi que, pour quelques mois, l’euphorie du cessez-le-feu et des 90 % de oui, accompagnée de la désorganisation-réorganisation de l’O.A.S. fasse illusion et démobilise des militants dressés, sinon venus à la lutte, au long des sept ans de guerre en Afrique du Nord. Un répit de cette sorte avait suivi la guerre du Viet-Nam. Il ne saurait masquer longtemps la crise profonde de la Ve République ; et l’avant-garde nombreuse qui s’était comptée dans le vote « nul » au référendum (forme de vote qui exigeait et manifestait une conscience élevée alors que les grandes directions ouvrières se prononçaient honteusement pour le « oui ») doit mettre ce temps à profit pour serrer les rangs et se préparer à des combats décisifs contre le gaullisme et contre le fascisme, son frère jumeau.

M. DERVAL.

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