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Notre défaite

Article paru dans Lutte de classe, pour le pouvoir des travailleurs, avril 1962, p. 1-3

Le Gouvernement algérien vient d’obtenir une indépendance relative.

Ce résultat est sans rapport avec les sacrifices consentis par des millions de travailleurs algériens. Dans le nouvel Etat, les paysans n’auront pas la terre, les ouvriers seront exploités dans les usines par des patrons « nationalistes ».

De cet échec, NOUS SOMMES LES PRINCIPAUX RESPONSABLES.

Les organisations soi-disant ouvrières ont joué leur rôle traditionnel. Leurs dirigeants osent prétendre aujourd’hui que la paix est due à leur lutte. Cette « lutte » a consisté à envoyer des motions aux gouvernants et à faire signer des pétitions contre la guerre. En fait, ils n’ont pas cessé de s’opposer aux tentatives de lutte véritable, quand ils n’ont pas pris eux-mêmes la direction de la répression.

C’est le parti « socialiste » qui, à partir de 1956, a mené une guerre d’extermination contre les algériens.

C’est le parti « communiste » qui a voté les pouvoirs spéciaux au gouvernement Guy Mollet. C’est ce même parti qui, en 1956, traitait de provocateurs les rappelés lorsque, appuyés en certains endroits par la population ouvrière (Grenoble, Saint-Nazaire, Rouen) ils refusaient de partir en Algérie.

Mais tous les travailleurs sont aussi responsables pour n’avoir pas su agir en dehors des organisations traditionnelles.

A part le mouvement des rappelés, il n’y a pas eu de mouvement de masse contre la guerre d’Algérie. Les travailleurs français n’ont jamais manifesté une solidarité active aux travailleurs algériens. Au mois d’Octobre 1961 encore, une manifestation pacifique contre le couvre-feu a été sauvagement réprimée sans que nous intervenions.

A défaut d’action contre la guerre d’Algérie, une lutte active pour l’augmentation des salaires ou pour une amélioration des conditions de travail, aurait apporté une aide indirecte à nos camarades algériens. Ainsi en 1955, le gouvernement Edgar Faure dût retirer 10.000 C.R.S. d’Algérie pour faire face aux grévistes de Nantes et de Saint-Nazaire ; généraliser la lutte, c’était obliger le gouvernement à dégarnir le « front algérien ». En empêchant toute généralisation au mouvement, les syndicats ont aidé le Gouvernement. Et là encore nous n’avons pas su nous organiser en dehors d’eux.

NOTRE FAIBLESSE N’A PAS PAYE. Depuis le début de la guerre d’Algérie notre pouvoir d’achat a diminué, la semaine de travail est toujours aussi longue, les cadences ont été intensifiées dans les usines. Face à la bourgeoisie, la lâcheté n’est pas rentable.

En luttant avec détermination, avec courage, les travailleurs algériens se sont montrés beaucoup plus avancés que nous. Mais leur échec final prouve aussi que le courage ne suffit pas : il faut encore savoir clairement pourquoi on lutte. L’indépendance nationale ne peut être un objectif. Il n’y a qu’une cause qui mérite que l’on combatte pour elle : l’établissement du pouvoir des travailleurs sur la production et la sur la société.


Depuis longtemps, certains travailleurs algériens ont compris la nécessité de lutter à la fois contre la bourgeoisie française et contre les patrons algériens. Voici ce que disait un Algérien, en 1958, racontant sa vie dans le livre « Le Front ».

Après avoir vécu dans le bled, il est venu à Alger pour trouver du travail. Son récit se situe à la fin de l’année 1947.

Il n’y avait pas de boulot, je cherche du boulot tout le temps, cavaler partout : j’avais demandé à travailler pour rien, pour rien, oh bien, rien du tout. J’ai pu trouver pour avoir l’argent pour partir en France, j’ai travaillé dans un machin d’emballage, une Société algérienne, enfin de musulmans, et je me rappelle, mon vieux, je m’étais crevé là. On faisait jusqu’à quatorze, quinze heures par jour. J’étais jeune encore, j’avais dix-sept ans. Quinze heures par jour uniquement pour ramasser du pognon ! Et le type ne voulait pas nous payer les heures supplémentaires. Et lui était un nationaliste ! Il estimait que parce qu’on était du M.T.L.D. (1), il avait pas à nous les payer.

Il nous a recrutés dans le M.T.L.D., ses ouvriers, environ 200 ouvriers, parce que tous étaient chômeurs, au M.T.L.D. On lui a dit, enfin, les dirigeants lui ont dit : « Si tu prends des ouvriers, prends des militants, quoi ». Alors, on nous a recrutés parce que qu’on était des militants. Et alors, il ne voulait pas nous payer. On a fait une réclamation ; on lui a dit : « Il faut que tu nous paies les heures supplémentaires, il n’y a pas d’histoires ». Et on a fait une grève et le type, il a sauté en l’air, et il a dit : « Comment, vous me faites ça, à moi ? » « Eh, bien sûr ! » Et alors, je me rappelle, c’était la première grève. Alors, le patronat, c’est le même partout, hein, des salauds, hein ! Qu’ils soient nationalistes ou pas nationalistes. Alors, il estimait que, parce qu’on était des nationalistes, il fallait qu’on lui remplisse, n’est-ce pas, ses poches et que nous, on se crève sans toucher notre salaire correct !


(1) Mouvement pour le Triomphe des Libertés Démocratiques. Parti nationaliste majoritaire à l’époque.

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