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Remarques sur le livre « Présent et avenir » de Jung

Article paru dans les Cahiers de discussion pour le socialisme de conseils, n° 3, octobre 1963, p. 12-15

Dans « Présent et Avenir », la psychologie prend la valeur d’un dogme. Cette sorte de testament spirituel dans lequel sont condamnées la pensée rationnelle et la science comme des éléments responsables de l’aliénation de l’homme et de l’individu, ne suffit pas à nous éclairer, même avec ses méthodes psychanalytiques, sur la vraie nature des contradictions dans lesquelles les hommes ce débattent depuis des siècles.

Les éléments économiques et historiques d’une société que nous connaissons depuis plus de deux mille ans comptent peu dans son analyse. La psychologie est l’élément moteur de sa pensée, et la connaissance de soi la panacée par laquelle l’homme pourra se libérer de l’esclavage de l’Etat. Ces deux formes de l’esprit de l’homme sont détachées des autres éléments qui constituent l’ensemble des activités humaines. C’est dans cette mesure que son testament nous donne l’impression tout en critiquant la méthode des églises, de créer une nouvelle mystique autour de l’homme capable de se connaître, et de connaître les autres. La société est un problème qui dépasse le cadre dans lequel Jung se place. Cela l’oblige à commettre des erreurs indignes de son génie. On sait que toute communauté humaine nécessite une éthique, une religion ou une philosophie qui caractérisent le comportement moral de la société. Aucun Etat, aucune dictature, aucune démocratie, aucun royaume ne sont concevables sans une « vérité abstraite » où la pensée individuelle est étouffée ou bien par la violence ou bien dans la plupart des cas par l’abêtissement collectif des masses.

Nous renversons les procédés d’analyse en affirmant que pour arriver à nous connaitre nous-mêmes, il faut connaître les autres.

De tous temps ont existé des rites. Ils viennent de l’ignorance de l’homme et sont liés aux superstitions, à la magie. Le comportement psychologique ne change pas son sentiment d’insécurité, malgré l’invocation des Dieux. L’effet magique dans la psychologie de l’homme réside en principe dans l’acte d’exécution plus que dans les conséquences de l’action. De là les réformes continuelles des pratiques religieuses et magiques, en fonction de l’augmentation constante des connaissances humaines. Cette évolution prend deux chemins différents, dans les décisions et actions de l’homme. Celles qui sont dues à l’expérience ont un caractère rationnel. Celles qui sont dues à l’intuition méconnaissent les résultats. Il faut situer ces deux formes d’actions dans un contexte historique donné, car la psychologie des peuples primaires diffère fondamentalement de celle des peuples modernes. La science du 20ème siècle définit l’inconnu comme quelque chose de normal. C’est une nouvelle attitude psychologique des savants devant toute action à caractère mystique.

Je ne vois pas de grandes différences entre le but de la religion et celui de l’Etat, comme Jung croit le voir. Dans toutes les périodes de l’humanité les rites magiques et plus tard les religions ont obéi, à mon avis, à des facteurs d’ordre économique et social. Dans cet ordre d’idées, la religion a puissamment aidé l’Etat. Elle aidait à satisfaire une société toujours insatisfaite. Il ne faut pas oublier le rôle de l’Eglise dans le comportement moral ou psychologique du monde civilisé. Dieu et l’Etat sont deux croyances similaires. L’Eglise a imposé une discipline communautaire aux masses de son temps. L’Etat moderne accomplit l’œuvre que l’Eglise anachronique a été incapable de réaliser, c’est-à-dire le maintien de millions d’esclaves au seul profit d’une minorité. Il n’y a pas d’État moderne sans une réserve de millions d’esclaves. Cette disponibilité permet à chaque pays de développer son économie. Dans les pays dits socialistes, toutes les réformes et activités économiques s’opèrent selon les mêmes principes que dans le reste du monde. Laisser mourir de faim des milliers de paysans et disposer de quelques millions de travailleurs gratuits est un indice que dans ces pays les contradictions sont aussi fortes et les crises aussi aiguës que dans les pays capitalistes.

Sans aucun doute, il n’y a pas de grandes différences entre les méthodes des « deux systèmes ». Peut-être le capital accumulé est-il plus grand en Occident et de là, une plus ou moins grande brutalité d’exploitation de l’homme. Mais les systèmes de production et de répartition de la richesse accumulée sont aussi barbares d’un côté que de l’autre.

Selon Jung, l’Eglise a enrichi la personnalité de l’homme. Il voit dans le Christ un élément important dans la communication de l’homme et de Dieu. Il considère ce phénomène comme une protection très efficace contre l’influence dévastatrice de la suggestion collective. Il oublie le caractère institutionnel de l’Eglise et des religions en général, où l’homme disparaît en tant qu’individu. La machine administrative de l’Eglise et la hiérarchie pontificale aboutissent à la griserie collective, où l’homme se trouve immanquablement diminué intellectuellement. Contrairement aux affirmations de Jung, l’homme ne peut pas se protéger, en établissant une relation directe avec Dieu, de l’influence dévastatrice de la suggestion collective. Si l’homme a créé à son image, il créé en même temps son propre esclavage intellectuel. Je ne vois pas de différence entre Dieu et le dictateur, si nous convenons que le premier est le produit de l’imagination de l’homme. L’un et l’autre sont nés dans des conditions sociales et économiques bien définies. Les « avenirs qui chantent » et une « vie meilleure dans le paradis » reposent sur les mêmes fondements idéaux.

A l’Est comme à l’Ouest, nous vivons dans une société, avec des réalités économiques et des impératifs qui en découlent : discipline, contrainte et violence.

Jung affirme que le plus grand danger dans l’époque actuelle c’est la séparation du conscient et de l’inconscient. Ces deux facteurs sont pour lui la base de toute action harmonieuse. Problème mal défini, comme le bien et le mal, éléments de spéculation dans les pays dits socialistes comme dans les pays capitalistes.

Nous pourrions nous demander si l’inconscient c’est-à-dire l’intuition (Jung) peut se manifester dans la société moderne d’une façon spontanée devant les problèmes complexes d’aujourd’hui. A mon avis, la conscience c’est l’accumulation des connaissances, pouvoir d’assimilation où la mémoire ouvre la porte à l’expérience rationnelle. L’intuition pourrait avoir une valeur pour l’homme primitif, dont les problèmes moraux et matériels ne dépassent pas l’état de la condition animale. Si la morale est demeurée stationnaire et arriérée ce n’est pas l’intuition (l’inconscient) qui aidera la raison à supprimer les dangers qui pèsent sur l’humanité. A mon avis, Jung est incapable de nous définir la nature de l’inconscient.

L’inconscient, c’est le côté le plus instable que possède l’homme, c’est-à-dire l’ignorance, facteur d’inquiétude devant l’inconnu où l’homme cherche à résoudre les problèmes ou bien avec des moyens rationnels grâce aux connaissances qu’il possède, ou bien avec des moyens d’ordre magique ou mystique. Dans les deux cas, les deux résultats sont peut-être négatifs, mais les deux systèmes s’opposent. Nous avons spéculé dans les milieux révolutionnaires avec les conditions objectives et subjectives de la masse comme une nécessité vitale pour l’émancipation des opprimés. Ces deux formules dont l’équivalence saute aux yeux sont à rejeter.

Cette séparation fort grossière tend à prolonger la confusion dans la lutte pour la libération de l’homme. De même, l’inconscient disparaît quand nous avons des éléments qui constituent la conscience.

Jung constate avec raison la soumission de l’individu, dans la société moderne, aux besoins de l’Etat. Mais les raisons de cet esclavage ce n’est pas l’atomisation ou l’isolement psychique de l’individu, comme il le croit, mais des données purement sociales et économiques héritées d’un passé que Jung refuse d’analyser. Ce sont ces données qui sont les moteurs de toutes les activités humaines avec les conséquences psychologiques qui découlent de ce processus depuis que nous connaissons l’histoire de l’humanité. Contrairement à Jung, nous pensons que la justice dans les relations humaines sera effective dans la mesure où les hommes auront surmonté ce manque de conscience générale.

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