Recension de Jean Regany parue dans La Révolution prolétarienne, n° 45 (346), décembre 1950, p. 30-31
Général « El Campesino » : LA VIE ET LA MORT EN U.R.S.S. « Les Iles d’or ». Librairie Plon. (Transcription de Julian Gorkin — Traduction de Jean Talbot).
Valentin Gonzalez, « El Campesino », premier commandant communiste pendant la guerre d’Espagne, s’est évadé des « camps de la mort » staliniens, et raconte à celui qui fut son ennemi et qu’il faillit faire fusiller en Espagne, J. Gorkin, sa vie en U.R.S.S. de 1939 à 1949.
Le 14 mai 1939, un navire soviétique emportait vers Léningrad les principaux militants communistes espagnols, en compagnie du « fameux Ilya Ehrenbourg », chargé de donner, à celui qu’on pouvait considérer comme le principal chef de l’émigration espagnole, la première leçon de patriotisme et d’obéissance soviétiques.
Mais cette leçon sera bien inutile. Dès son arrivée à Léningrad, El Campesino s’indigne de la brutalité des miliciens russes à l’égard de la foule « d’hommes sales et déguenillés, de femmes échevelées, et misérablement vêtues… » qui encombrent les quais, ce qui lui vaut ce conseil éclairé de la part de l’interprète :
« En U.R.S.S. tu peux choisir entre les meilleures maisons et la Sibérie. Je vois que tu n’as pas changé ici il faudra que tu te corriges complètement, sinon cela ira mal pour toi. »
Mais un Espagnol, même communiste, même un « général » qui a gardé de la guerre civile une réputation de « bandit sanguinaire », ne sait pas accepter cette discipline de caserne, cette atmosphère de « prostitution généralisée au service de l’espionnage communiste », ce « régime fondé essentiellement sur le travail forcé » — et une solde de général soviétique à 1.800 roubles par mois (avec l’espoir d’arriver à 5.000) tandis « que le salaire moyen d’un ouvrier ne dépasse guère 250 à 300 roubles » (chiffres de 1940 sans doute).
De sorte que celui qui avait « poursuivi avec acharnement en Espagne ceux qu’on appelait les « trotskystes », croyant servir ainsi la cause du communisme… », se voit à son tour accusé de trotskysme, expulsé de l’Académie militaire, condamné à travailler au métro de Moscou en mars 1941 pour moins de 300 roubles par mois (200 roubles après déduction des diverses retenues).
Tentatives d’évasion, prisons, camps de travail forcé d’une frontière à l’autre, rencontres de vieux bolcheviks qui n’ont pas désarmé, aventures amoureuses sans lendemain, la lutte pour la vie par tous les moyens — les chapitres de cette confession d’un homme qui a tout osé et n’a jamais désespéré de la liberté se lisent comme un roman d’aventures terrifiantes, où un tremblement de terre providentiel apporte enfin les clefs de la liberté.
Sur la vie en U.R.S.S. pendant la guerre, et notamment en juin 1941 au moment de l’effondrement du front russe sous la ruée des armées hitlériennes, El Campesino nous apporte des souvenirs précis de l’U.R.S.S. « à deux doigts de la catastrophe » : Staline en appelant au peuple : « Mes frères, mes sœurs, mes amis », avec des larmes dans la voix, la garde du Kremlin confiée à des communistes espagnols, la promesse faite en 1942 de liquider les kolkhoses et sovkhoses, de supprimer le contrôle d’État, de rétablir l’artisanat, etc…
L’ancien militant communiste ne mâche pas ses mots :
« L’U.R.S.S. tout entière, dit-il, peut être considérée à la fois comme un vaste bordel et un immense marché noir… »
Et il ajoute un peu plus loin :
« Dans une telle société ne peuvent vivre — et de quelle triste vie ! — que le bureaucrate et le bandit. Que personne ne se scandalise de ma brutale sincérité : moi qui pouvais être un bureaucrate militaire de rang élevé, j’ai préféré être un bandit en U.R.S.S.. vivant dans la compagnie des bandits, des prostituées et des fonctionnaires prévaricateurs… »
Confession lucide s’il en fut, et courageuse ! Nos critiques « modernes » qui s’enthousiasment pour tant de romans plus ou moins autobiographiques où l’auteur raconte ses vices, ses vols ou ses crimes, admettront-ils que pour la « conquête de cette liberté » qui n’est plus un mythe ou une construction de l’esprit un communiste ait accepté de mentir, de voler, de tuer peut-être ?
Pour parler aussi au nom de vingt-trois millions d’esclaves !
Pour en appeler à la conscience des peuples encore libres, des malheurs du « peuple russe qui est, tant par nature que par tradition, un des plus accueillants et fraternels de la terre ».
J. REGANY.